Quels enjeux pour le grand ministère du numérique ?

Pour le nouveau quinquennat, Gilles Babinet, Digital Champion pour la France auprès de la commission européenne et coprésident du Conseil national du numérique (CNum) estime nécessaire d'appuyer les dynamiques qui font que le numérique sort du sillon technocratique pour devenir un enjeu politique avec des arbitrages et un pilotage interministériel. Ce qui plaide selon lui pour quatre ministères traitant des sujets numériques.
(Crédits : Aprendices / Wikimedia (CC-BY-SA-4.0))

Quel est le bilan de l'action du gouvernement sortant dans le numérique ?

Cédric O s'est surtout attaché à faire décoller l'écosystème des startups. J'entends beaucoup de voix très critiques de son action, qui a surtout consisté à aider à la réalisation de l'objectif fixé par le président d'avoir 25 unicornes en 2025 (elles sont désormais 26). Je pense au contraire que ces entreprises sont nécessaires et que Cedric O a eu un rôle très tangible à cet égard. Qu'on apprécie ce type d'acteurs ou pas, il faut être conscient que ce seront les grandes entreprises de demain. Il y aura des morts, des faillites (comme Sigfox) mais sur le fond une dynamique schumpétérienne est désormais en place.

Il y a également des critiques de son action sur les enjeux de souveraineté. Or, mis à part faire des politiques industrielles très colbertistes et qui ne marchent pas, je ne vois pas ce qu'on peut faire à court terme. Certes on peut réorienter la commande publique - je pense que cela sera fait dans ce nouveau mandat - et surtout accroître la qualité des formations. Ce dernier point est à mon sens l'écueil de ce gouvernement passé. Je ne sais pas qui aura le poste qu'occupe Cédric. mais je pense que ça sera une femme qui a déjà passé beaucoup de temps au contact de l'écosystème des startups ; deux trois noms reviennent beaucoup.

Signataire de la tribune publiée dans La Tribune qui plaide pour l'existence d'un grand ministère du numérique, il me semble surtout nécessaire d'appuyer les dynamiques qui font que le numérique sort du sillon technocratique pour devenir un enjeu politique avec des arbitrages et un pilotage interministériel.

A cet égard, je serais encore plus favorable d'avoir quatre ministères traitant de sujets numériques :

(i) un pour la compétitivité de l'écosystème numérique, Frenchtech... Ce que faisait Cedric O.

(ii) un second pour la transformation de l'Etat, des territoires et de l'expérience utilisateur.

(iii) un troisième pour la réindustrialisation, la décarbonation.

(iv) et un quatrième pour l'éducation, le code, la formation, la littérature numérique, en coordination avec la recherche.

Tous les quatre auraient le terme numérique dans leur titre et auraient des modes de collaborations renforcés. Ça aurait des répercussions très significatives, y compris à l'international.

Le chantier qui me préoccupe le plus va directement à l'enseignement et à la recherche. Nous devrions sérieusement en débattre. Lorsque le ministre Blanquer est arrivé, tout le monde lui a tressé des louanges, sans voir que le projet était très faible et que l'idée de remonter dans les classements n'était pas évoquée parce que cela signifie engager des réformes très impopulaires.

Ces réformes n'existeront que si un consensus se crée sur ce qu'il faut faire. Or, si le système ne sait pas faire le minimum, compter, lire, écrire, il ne faut même pas envisager d'y ajouter des thématiques numériques. Au-delà, nous n'avons pas de stratégie d'attractivité des chercheurs parce que nous savons que l'enseignement supérieur est sous-financé et sous gouverné. Il ne faut pourtant pas rêver : il n'y aura pas de "French Digital Nation" réellement souveraine sans une recherche et un enseignement supérieur de haut niveau. Avec 3,5% d'affectation du PIB français sur ce sujet, on est loin des 6% des meilleurs. Il faut engager les réformes indispensables de financement et de gouvernance des universités et de la recherche, que personne n'a osé toucher depuis les réformes Pécresse de 2007.

Quelle initiative nouvelle pourrait prendre le gouvernement à venir ?

Le sujet de l'inclusion devrait être mis en avant. Egalement celui de la débureaucratisation par le numérique. C'est un gros chantier, mais nécessaire. Je suis convaincu que la complexité administrative et la faible qualité de l'expérience utilisateur des services publics a eu sa part dans des mouvements sociaux comme les gilets jaunes. Ce qui serait également intéressant serait de faire cette nation écologique que vantait le candidat Macron, mais en rupture avec une écologie punitive. Or, l'une des opportunités que permet le numérique c'est de faire plus avec beaucoup moins. Partout autour de nous, nous avons du gâchis d'énergies, de ressources. Je travaille actuellement à l'Institut Montaigne sur un rapport concernant la façon d'accélérer la décarbonisation avec la technologie, nous sommes convaincus qu'il existe un potentiel inexploré.

Concernant le web3, est-ce un domaine où l'Etat devrait être présent ?

Oui et non. D'un coté les acteurs du web3 sont en train de nous faire le même coup que lors de l'émergence de l'internet et du web 2.0 : en substance, "ne nous régulez surtout pas".   Ça a abouti à des concentrations de pouvoir, à une évasion fiscale de masse et à une déstabilisation de la démocratie à une échelle jamais vue. Il faut donc que l'Etat s'en mêle mais de façon intelligente : pas de politique industrielle comme on l'a trop fait et plutôt un accompagnement pour favoriser les meilleurs usages. Inter-compatibilité entre formats de blockchains et metaverses, ouverture des données d'intérêt général, cadre fiscal ambitieux et fait en comparaison avec ce qui se fait ailleurs... Et à nouveau accélérer sur les sujets d'éducation et de formation. La France pourrait se positionner de façon astucieuse dans de domaine si nos vieux démons ne s'en mêlent pas. 

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Gilles Babinet est un entrepreneur dans le domaine digital. Il est contributeur de l'institut Montaigne sur les questions numériques et travaille actuellement sur les enjeux liés au numérique et aux émissions de CO2.

Retrouvez mon nouveau livre "Refondre les Politiques Publiques avec le Numérique"

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Commentaire 1
à écrit le 12/05/2022 à 8:47
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Ne n'est qu'un caprice d'adolescent qui veut faire mieux que les autres mais qui est loin d'être un objectif résilient!

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