"Réconcilier la République et les catégories populaires" Patrice Vergriete

OPINION. Trois mois ! Il ne reste que trois mois pour aller chercher ces millions de Français, particulièrement nombreux au sein des catégories populaires, en rupture de ban avec la République et avec celles et ceux qu'ils considèrent être ses « élites ». Ministres, députés, journalistes, magistrats... A leurs yeux, tous seraient coupables d'être déconnectés de la vie quotidienne des Français. Le dernier baromètre du CEVIPOF illustre bien à quel point la défiance est devenue le marqueur de la société française. Par Patrice Vergriete, Président de la Communauté urbaine de Dunkerque et Maire de Dunkerque
(Crédits : DR)

Les causes profondes qui nourrissent ce ressentiment sont connues des élus locaux. Tout d'abord, les populations ont aujourd'hui davantage besoin de sens, de comprendre le pourquoi des décisions prises. Ce que le niveau national peut difficilement garantir compte tenu de la distance au citoyen. On le voit notamment dans les services publics de l'Etat où les agents font face à des décisions lointaines, qu'ils ne comprennent pas toujours, alors même que leurs conditions de travail sont souvent négligées. La déconnexion entre, d'un côté, les problèmes du terrain et, de l'autre, des orientations dénuées de toute contextualisation est alors abyssale.

Cette distance alimente par ailleurs dans la population un sentiment d'impuissance et d'injustice lorsqu'elle se traduit par un recul de la puissance publique. Une maternité ou un tribunal qui ferme et c'est tout de suite un sentiment d'abandon qui se développe. Dans un contexte de transformation profonde de nos modes de vie (perçue aussi comme imposée par le haut), s'installe alors inévitablement une peur de l'avenir, la peur de perdre ses repères.

Vécues comme injustes et « hors sol », les injonctions nationales induisent une incompréhension qui amène beaucoup de nos concitoyens à chercher dans chaque initiative où est le biais, l'entourloupe voire l'intérêt personnel. Tout cela aboutit au sentiment que la République profite à certains (« puissants » ou « assistés »), mais pas à tout le monde ! 60% des Français pensent ainsi que la société est « injuste » !

Face à cette évolution inquiétante pour notre démocratie, il est urgent que la campagne présidentielle aborde les grands enjeux nationaux à travers ce qu'ils sont concrètement dans la vie des Français. C'est notamment le cas de l'enjeu climatique et environnemental, qui les touche directement dans leur quotidien. Une appropriation par la population des défis à relever et des nouvelles pratiques est essentielle. Ce qui exige à la fois un débat sur la justice des mesures mises en œuvre mais aussi une culture de l'action. Si, à Dunkerque, nous avons réussi à doubler la fréquentation du transport public en trois ans, grâce en particulier à la gratuité, c'est parce que nous avons offert à la population une alternative écologique concrète à des pratiques de déplacement, une alternative positive et en réponse directe aux besoins quotidiens.

La question de nos repères communs doit aussi être soulevée. Oui, notre pays a besoin d'un grand débat, non pas sur l'identité nationale comme l'extrême droite le martèle dans l'espoir d'éloigner plus encore la République des classes populaires, mais sur le lien social, sur ce qui nous unit ou nous rassemble, sur ce qu'est notre patrimoine (matériel et immatériel), sur les valeurs que nous portons collectivement. En effet, même si une majorité de nos concitoyens considère encore que nous avons

« beaucoup de choses en commun », c'est en France que cette idée est la moins partagée parmi les 27 pays de l'Union européenne ! La laïcité et la primauté des lois de la République, l'égalité entre hommes et femmes, la lutte contre l'exclusion et le sens du collectif, voilà quelques exemples de valeurs qui doivent faire sens commun.

« Les commissariats, les palais de justice pourraient être confiés aux intercommunalités, à l'image de ce qui se fait aujourd'hui pour les écoles gérées par les communes »

Au-delà des enjeux qui touchent concrètement les populations, la campagne présidentielle doit aussi proposer une nouvelle organisation de la République qui réponde au besoin de sens et de proximité. La crise sanitaire a révélé les forces et les faiblesses de notre modèle étatique : un Etat providence protecteur à l'échelle globale, mais en grande difficulté dans la régulation fine au niveau des territoires. Cet enseignement de la crise illustre parfaitement le défi à relever pour l'avenir : bâtir un pacte avec les élus locaux pour refonder la République, non plus seulement autour de l'Etat, mais autour de deux niveaux de gouvernement : le niveau national et le bloc communal représenté par le diptyque intercommunalité-communes.

Cela signifie associer plus concrètement le bloc communal aux politiques nationales. Dans les moyens matériels alloués aux services publics de l'Etat tout d'abord, les commissariats, les palais de justice pourraient être confiés aux intercommunalités, à l'image de ce qui se fait aujourd'hui pour les écoles gérées par les communes. Le bloc communal pourrait en outre avoir une plus grande place dans la lutte contre l'échec scolaire, dans le domaine de la santé (en se voyant confier la gestion d'établissements de proximité chargés de garantir l'égalité d'accès aux soins), dans la politique du logement...

La construction de ce pacte républicain avec les élus locaux s'appuierait par ailleurs sur une nouvelle relation entre l'Etat et les territoires : une nouvelle fiscalité locale pour garantir aux collectivités une plus grande autonomie, une nouvelle politique contractuelle fondée sur une logique d'adaptation des normes nationales, mais aussi de nouvelles pratiques en matière d'aménagement du territoire. L'intérêt national ne peut plus s'imposer d'en haut, il doit se négocier, être porteur de garanties fiables et durables. Accueillir un site de production énergétique, une infrastructure d'envergure, ne peut plus se faire sans contrepartie. Or aujourd'hui, on ne peut même pas garantir totalement les retombées locales en termes d'emplois d'un grand chantier !

A celles et ceux qui prétendent aujourd'hui à la présidence de notre République, je dis : réveillez-vous ! Nous ne sommes plus dans les années 1960, au temps d'un pouvoir tutélaire qui s'appuyait sur une technostructure d'Etat puissante et légitime. Aujourd'hui, la République est mise en doute car elle n'a pas su se réformer, s'adapter au besoin de sens et de proximité des populations. Il y a urgence à proposer des solutions innovantes pour rapprocher la République des citoyens qui en sont le plus éloignés, pour leur redonner prise sur les enjeux de leur quotidien, pour enfin faire porter le débat sur cette question essentielle de ce que doit être l'exercice du pouvoir au 21e siècle.

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Commentaires 8
à écrit le 21/01/2022 à 9:38
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pensée unique d un chef de guerre ! en résulte un échec. restons donc à l écoute des 60 000 scientifiques qui ont informés hier dans la presse

à écrit le 21/01/2022 à 9:37
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pensée unique d un chef de guerre ! en résulte un échec. restons donc à l écoute des 60 000 scientifiques qui ont informés hier dans la presse

à écrit le 21/01/2022 à 9:37
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pensée unique d un chef de guerre ! en résulte un échec. restons donc à l écoute des 60 000 scientifiques qui ont informés hier dans la presse

à écrit le 21/01/2022 à 9:37
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à écrit le 21/01/2022 à 9:37
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pensée unique d un chef de guerre ! en résulte un échec. restons donc à l écoute des 60 000 scientifiques qui ont informés hier dans la presse

à écrit le 21/01/2022 à 9:37
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pensée unique d un chef de guerre ! en résulte un échec. restons donc à l écoute des 60 000 scientifiques qui ont informés hier dans la presse

à écrit le 20/01/2022 à 9:52
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Quelle condescendance! C'est toujours la faute du peuple souverain, s'il ne comprend pas la pédagogie d'une caste élitiste!

à écrit le 20/01/2022 à 9:38
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Quand on voit à quel point les élites françaises ont "balisé" devant le Covid-19, on se dit qu'effectivement, elles sont déconnectées des réalités. La réalité du peuple, c'est faire bouillir la marmite, c'est pas de se calfeutrer au moindre rhume

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