Vision et changement : un duo gagnant  ?

OPINON. Véritable colonne vertébrale de l'organisation, la vision fait le lien entre les différentes composantes de celle-ci : finalités, objectifs, moyens, processus, ressources... Par Arnaud Hautesserres, Directeur Associé, Meltis
Si Gaudi, architecte de l'emblématique Sagrada Familia, n'avait pas eu de vision claire de son œuvre future en 1882 lors du début de sa construction, il y a fort à parier que les travaux - aujourd'hui programmés pour s'achever en 2026, soit 144 ans après - se seraient arrêtés il y a bien longtemps.
Si Gaudi, architecte de l'emblématique Sagrada Familia, n'avait pas eu de vision claire de son œuvre future en 1882 lors du début de sa construction, il y a fort à parier que les travaux - aujourd'hui programmés pour s'achever en 2026, soit 144 ans après - se seraient arrêtés il y a bien longtemps. (Crédits : Regis Duvignau)

À la fois vivante et holistique, la vision est ce qui - dans l'entreprise - relie le court et le long terme. Elle permet ainsi de voir aboutir des projets d'envergure ayant conservé leur esprit d'origine. Elle n'est pas synonyme de conservatisme ou d'immobilisme, mais peut s'assimiler à un cap à atteindre, peu importe que la navigation soit parfois perturbée par un environnement changeant. Si Gaudi, architecte de l'emblématique Sagrada Familia, n'avait pas eu de vision claire de son œuvre future en 1882 lors du début de sa construction, il y a fort à parier que les travaux - aujourd'hui programmés pour s'achever en 2026, soit 144 ans après - se seraient arrêtés il y a bien longtemps. Ainsi vision et changement seraient-ils intrinsèquement liés, l'un entravant ou encourageant l'autre ? Au sein des environnements complexes dans lesquels évoluent les entreprises, la réponse à cette question n'est évidemment pas binaire.

Changement et vision : frère et sœur ennemis ?

Les temporalités associées à ces deux notions semblant complètement irréconciliables, la vision peut le plus souvent apparaître comme un frein au changement. Une impression d'autant plus renforcée par l'avènement de l'agilité ayant pour principes de base de fluidifier les processus afin d'accélérer les prises de décision... À quoi servirait une vision précise alors que l'agilité nous permettrait d'être plus performant en continu ? L'actualité de l'entreprise, sa survie à court terme, ou encore les nouvelles attentes des collaborateurs nécessiteraient-elles des réactions immédiates et instinctives par-delà le cadre fixé par la vision qui promeut plutôt le changement à long terme ? L'objectif de la vision est de pérenniser l'entreprise - donc souvent d'investir et potentiellement de creuser les déficits - afin d'améliorer la performance et ainsi conserver ses parts de marché, ses collaborateurs, sa dynamique... L'incompréhension et les interprétations liées à la communication autour de ces notions sont souvent contreproductives. Avec des objectifs qui apparaissent antinomiques, comment être sûr que ce qui va être dit au niveau de la gouvernance et mis en œuvre par les RH soit correctement perçue, interprété, retenu et appliqué ?

La vision, un allié du changement à court terme...
sous réserve de convergence

Ces interrogations légitimes pour toute structure trouvent toutefois une réponse dans la construction de la vision et dans son utilisation au quotidien. Pensée comme une colonne vertébrale et non comme une contrainte, la vision est un outil de cohérence, pivot du changement à long, moyen, mais aussi court terme. Si elle reste subjective, elle permet l'appropriation et influe en partie sur le sentiment d'appartenance. La clé, pour que cette vision se traduise en actions concrètes, est de l'articuler et de la décliner autour de six notions et étapes fondamentales de l'entreprise : la vocation, l'ambition, les valeurs, les principes de management, les priorités stratégiques et les plans d'action. Ainsi malgré une structure en apparence rigide, la vision - mouvante, itérative - s'adapte au rythme de l'entreprise et à son environnement.

Pour exemple, la charte managériale d'une entreprise peut changer pour s'adapter aux collaborateurs actuels et être plus en phase avec des changements stratégiques ou opérationnels destinés à assurer la pérennité de l'entreprise. La principale difficulté dans les organisations est alors d'obtenir une convergence de la part des différentes parties prenantes, si ce n'est pas un accord complet. Lors d'un travail sur la vision, la convergence est souvent préférable au compromis (la décision prévaut sur l'accord de tous, même si elle est imparfaite) ou au consensus (l'accord de tous prévaut sur la décision, même si elle est incomplète). Par ailleurs, la convergence permet de s'attaquer aux aspects long terme de la vision que sont les principes, les valeurs et la vocation. Il est essentiel de préserver l'essentiel à long terme pour pouvoir faire varier le court terme !

La vision, moteur de l'engagement portée par la fonction RH...
pour un changement à long terme

Identifié comme condition sine qua non de la performance de l'entreprise, l'engagement est largement influencé par la gestion du changement et des transformations, elle-même souvent déterminée par l'autonomie laissée aux collaborateurs et leur responsabilisation. C'est ici que la vision joue pleinement son rôle : donnant à chacun une mission comme une place particulière dans l'équipe et l'organisation, elle est responsabilisante. Elle est un socle et un presque « prétexte » pour partager, mettre à plat les représentations, pratiquer l'ouverture et encourager la confiance. Fil rouge du quotidien, mais aussi de la formation, elle fait le lien entre tous, entre les dispositifs, les obstacles et les réussites, individuelles comme collectives.

Ainsi il est essentiel, à travers cette vision, de pouvoir « embarquer » tout le monde, y compris les plus réticents et divergents. C'est ici un défi majeur pour les RH qui travaillent à relayer cette vision et à la valoriser au quotidien auprès des collaborateurs, des futures recrues et des managers. Ce travail consiste - via de l'écoute individuelle, du coaching, des ateliers de partage, des enquêtes internes ponctuelles ou des baromètres continus - à résoudre les incompréhensions, à clarifier les attentes, et à mesurer l'engagement. Le manager, épaulé par la RH, mais aussi par des parcours dédiés, doit aussi être le lien entre cette expression du cap collectif et les individualités. Trop souvent perçu comme une démarche « top down », le travail sur la vision peut aussi relever d'une logique « bottom up » via l'écoute active des acteurs terrains et leur implication dans l'élaboration de la stratégie de l'entreprise. Ainsi, en suivant la règle des 3A (Analyser - Approprier - Adapter), la vision peut être à la fois boussole et radar pour maintenir le cap de l'organisation.

Une fois encore, si Gaudi n'avait pas eu cette audace architecturale et cette vision forte, la Sagrada Familia n'aurait pas fédéré les forces, les espoirs, les engagements et les encouragements des ouvriers, architectes, artistes, mécènes et simples visiteurs qui font de ce chef d'œuvre un monument vivant unique depuis plus d'un siècle. Ainsi, comme dans l'architecture ou dans l'art, l'audace est probablement l'élément clé pour faire de la vision l'ingrédient décisif du changement et de la performance dans l'entreprise !

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