À l'échelle communautaire, le « Pacte vert pour l'Europe » fixe un objectif de 25% de surfaces en agriculture biologique à atteindre en 2030. Pour l'heure, le marché bio français occupe la deuxième place du classement européen, juste derrière l'Allemagne. Toutefois, la réalité du marché a vite rattrapé ces ambitions. Depuis 2010, le gouvernement a incité de nombreux jeunes à s'installer en bio, sans forcément penser aux conséquences. La dotation jeune agriculteur (DJA) est une aide financée à 80% par l'Union européenne et 20% par l'État. Une aide qui s'arrête au bout de cinq ans.
Samuel Bulot, lui, est en deuxième partie de carrière, son bâtiment est remboursé et il vit en autosuffisance avec sa production de fourrage. L'agriculteur ne regrette pas son choix de conversion. En revanche, il s'inquiète pour les jeunes générations et pour les années à venir.
« Aujourd'hui, nous produisons trop de bio par rapport à la demande. Le pire serait que demain, il n'y ait plus assez de producteurs de lait bio », déplore-t-il.
« Depuis que le prix du bio a chuté de 15% en 2021, 2/3 de mes collègues sont passés en conventionnel et 1/3 a totalement arrêté l'activité ».
Samuel Bulot, agriculteur éleveur possède une soixantaine de vaches laitières
Vendre des vaches plutôt que de racheter du fourrage bio
C'est à environ 15 minutes de Dijon, en Côte-d'Or, que Samuel Bulot, 50 ans, producteur de lait biologique, élève une cinquantaine de vaches. Son exploitation est autosuffisante : il produit les fourrages qui nourrissent son élevage.
« Après la crise laitière de 2015, j'ai décidé de franchir le pas, car finalement mon système n'était pas si éloigné du cahier des charges biologique », confie Samuel Bulot.
« Même en produisant moins, car je donne toute ma production de fourrage aux vaches, je devais m'y retrouver en vendant plus cher mon lait », poursuit-il. La réalité est plus complexe. Le réchauffement climatique fait notamment peser un risque sur les récoltes de fourrages. « Les années sèches, où je n'ai pas produit assez de fourrage, je dois vendre des vaches, car je n'ai pas les moyens de racheter du fourrage bio », explique Samuel Bulot.
Du bio vendu au prix du conventionnel
Le marché du bio - qui avait connu une forte croissance en 2010 (+10%) - est fortement redescendu (il a connu un recul global de 4,6% par rapport à 2021, selon les chiffres du ministère). Aujourd'hui, sur trois litres de lait produit en bio, un litre est vendu au prix du conventionnel, faute de trouver un acheteur.
« C'est ce qu'on appelle le déclassement », précise Hélène Bourgade, Coordinatrice de la campagne « Prenez en main la bio ». Or, les agriculteurs qui s'engagent dans la production bio doivent répondre à un cahier des charges plus contraignant. Même le différentiel entre un lait conventionnel vendu 42 centimes le litre et un lait biologique qui est vendu 48 centimes le litre est injustement faible.
Le lait en excédent absorbé par la restauration collective ?
Le lait bio de Samuel Bulot est racheté par une coopérative, Eurial, qui se situe dans l'Yonne. Son produit est ensuite transformé en yaourt à boire et crème dessert en marque distributeur. Toutefois, l'agriculteur espère voir un autre débouché se développer pour éviter de vendre son lait bio au même prix que le conventionnel.
« Un quart du lait d'excédent pourrait être absorbé par la restauration collective », assure Samuel Bulot.
Et pour cause, selon la loi Egalim, les repas servis en restauration collective dans tous les établissements chargés d'une mission de service public devraient - depuis le 1er janvier 2022 - compter 50% de produits de qualité et durables, dont au moins 20% de produits biologiques. Deux ans après, le constat est sans appel : les quotas sont loin d'être respectés.
Dans les structures médico-sociales par exemple, le taux de produits bio atteint péniblement les 5%, selon le CNIEL. Parmi les bons élèves, figurent tout de même les établissements scolaires, qui frôlent avec les taux minimums obligatoires. C'est le cas, par exemple, au collège Clos de Pouilly à Dijon qui accueille environ 650 élèves.
Éric Giraud, chef de cuisine du collège Clos de Pouilly à Dijon
Des contraintes persistent
Mais là encore, la réalité du terrain est loin d'être aisée. « Avant la loi Egalim, j'avais 15 fournisseurs. Aujourd'hui, j'en ai 53... Cherchez l'erreur ! », s'exclame Éric Giraud, chef de cuisine du collège Clos de Pouilly à Dijon. Pour se mettre en conformité avec la loi, ce dernier a en effet dû rechercher plusieurs petits producteurs locaux pour approvisionner sa cantine qui reçoit chaque jour près de 600 élèves.
« La viande bio est hors budget », avoue Éric Giraud. « En revanche, quasiment tous nos légumes sont bios et locaux », poursuit-il. Le chef cuisinier réussit à atteindre presque les 20% exigés par la loi grâce, en particulier, à de grandes quantités de pâtes biologiques, dont les collégiens sont friands. Il faut réinventer des filières et des écosystèmes pour faire correspondre l'offre et la demande.
Par exemple, les producteurs de légumes biologiques fournissent habituellement les légumes « en l'état ». Pour preuve, le chef cuisinier nous montre plusieurs kilos de carottes biscornues couvertes de terres « Je vous laisse imaginer le temps que nous allons passer à les nettoyer et à les éplucher ! »
Autre difficulté : les producteurs ne sont pas forcément de bons distributeurs. « C'est encore un autre métier, car il faut mutualiser les tournées dans différents établissements afin d'optimiser les coûts de transport », explique Christine Ducroux, gestionnaire de cuisine du collège Clos de Pouilly.
Des économies sur le gaspillage et les compléments alimentaires
Pour aider les collectivités à respecter la loi dans le cadre de la restauration collective, tout en rentrant dans leur budget, le CNIEL organise des formations pour apprendre à faire des économies, notamment sur le gaspillage alimentaire. Le collège Clos de Pouilly utilise un logiciel spécial. Celui-ci permet d'optimiser les quantités avec des portions bien précises. « Depuis que nous utilisons ce logiciel, notre taux de gaspillage se situe entre 1% et 5% », témoigne Éric Giraud.
« Pour les EHPAD, par exemple, des économies peuvent être réalisées en mettant plus de produits laitiers bio dans les repas », explique Hélène Bouriane.
« Sources de protéines, ils sont mieux assimilés par l'organisme et peuvent être une alternative aux compléments alimentaires relativement coûteux », poursuit-elle.
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