Prix du lait : le système « gagnant-gagnant » de Bel avec les éleveurs

En pleine crise agricole, alors que Lactalis et ses fournisseurs s'écharpent sur les prix du lait, le groupe Bel connu pour ses marques La Vache qui rit, Kiri, Babybel et Boursin, établit chaque année avec ses éleveurs un prix annuel. Il respecte leur prix de revient, et leur garantit une visibilité.
Giulietta Gamberini
Le prix convenu par Bel et ses fournisseurs inclut chaque année une rémunération de la transition écologique engagée par les éleveurs.
Le prix convenu par Bel et ses fournisseurs inclut chaque année une rémunération de la transition écologique engagée par les éleveurs. (Crédits : Reuters)

Des prix « rémunérateurs » pour les producteurs : c'est l'une des principales revendications des agriculteurs en colère, celle qui fait consensus chez tous les syndicats agricoles. En annonçant la mise en place de « prix plancher », lors de l'inauguration chahutée du Salon de l'agriculture, le 24 février, le président de la République a d'ailleurs fait de cet enjeu l'une des priorités des discussions concernant le cadre de l'évaluation promise des lois Egalim 1 et 2, lesquelles, depuis respectivement 2018 et 2021, tentent justement de protéger le revenu des agriculteurs.

Pourtant tous les industriels ne sont pas montrés du doigt par les éleveurs comme peut l'être Lactalis, dont les prix du lait sont contestés depuis des mois et que l'accord récemment trouvé entre les deux parties (autour de 425 euros les 1.000 litres de lait de base) ne porte que sur le premier trimestre 2024. Un autre grand industriel français du lait, Bel, affiche en effet des relations bien plus apaisées avec ses éleveurs. Et ce grâce à un modèle contractuel pionnier, expérimenté depuis sept ans avec l'organisation de producteurs réunissant tous ses fournisseurs de lait en France : l'Association des producteurs Bel de l'Ouest (APBO), qui réunit quelque 700 fermes dans le grand-ouest.

Visibilité et pas de vente à perte

Chaque année depuis 2017, Bel et l'APBO signent un accord fixant le prix du lait pour les douze mois à venir. Cette stabilité du prix constitue une importante garantie pour les éleveurs, souvent soumis à des prix fixés au trimestre voire au mois. La visibilité  assurée aux producteurs s'accompagne de l'engagement de Bel (connu pour ses marques La Vache qui rit, Kiri, Babybel, Boursin) d'acheter un volume annuel. Mais aussi de la prise en compte pour fixer le prix du lait des coûts de production moyens établis par l'Institut de l'élevage, même si ces derniers sont toutefois partiellement adaptés.

Lire aussiAgriculture : les prix planchers d'Emmanuel Macron, une proposition qui divise le monde agricole

« C'est essentiel que les producteurs ne vendent jamais leur lait à perte », souligne la directrice générale de Bel France, Anne-Sophie Carrier. « Ce coût de production moyen de l'Institut de l'élevage est d'ailleurs l'indicateur le plus fiable et le plus juste dont on dispose », rappelle-t-elle, en soulignant que « peu d'exploitations affichent des coûts supérieurs », et que « lorsque c'est le cas, l'enjeu est aussi de travailler sur une amélioration des rendements ».

Par ailleurs, l'accord et le prix incluent chaque année une rémunération sur la transition écologique engagée par les producteurs de Bel. Notamment une prime de 21 euros les mille litres pour compenser les coûts d'une alimentation des vaches sans OGM et leur accès aux pâturages. La totalité des exploitations de l'APBO en bénéficient aujourd'hui. C'est d'ailleurs la proposition par l'APBO de s'engager dans cette voie, ce qui a initialement permis la contractualisation avec Bel, souligne le président de l'organisation de producteurs, Frédéric Dorilleau.

Des volumes en hausse

Ainsi, le tout dernier accord, conclu le 21 novembre 2023, prévoit qu'en 2024  Bel paiera à ses fournisseurs 456 euros pour mille litres de lait conventionnel, et 525 euros pour mille litres de lait bio. Après deux années de revalorisation, ce prix baisse de 15 euros les mille litres par rapport à celui convenu l'année dernière, tant pour le lait conventionnel que pour le lait bio.

« Nous estimons, en effet, que le coût de l'énergie va continuer à augmenter, mais pas celui des aliments et des engrais », a expliqué à plusieurs médias, lors de la signature du contrat, Frédéric Dorilleau, président de l'APBO : « Vu le contexte inflationniste, nous avons tenu à faire preuve de responsabilité ».

Lire aussiAgriculture : pourquoi 80% des agricultrices constatent des inégalités avec les hommes

La baisse du prix est toutefois compensée par une hausse des volumes achetés, qui passent de 415 à 421 millions de litres par an. « C'est aussi un indicateur fort : il existe de réels débouchés pour les produits laitiers et cela est rassurant pour l'avenir », a observé à ce propos Frédéric Dorilleau. Une prime supplémentaire de 10 euros les mille litres est en outre prévue, à compter du second semestre 2024, pour les éleveurs choisissant d'utiliser un complément alimentaire réduisant les émissions de méthane entérique des vaches. L'accord entre Bel et l'APBO inclut également une stratégie de réduction de l'empreinte carbone des fermes.

A titre de comparaison, le coût moyen de production du lait conventionnel de plaine est actuellement fixé à 442 euros les mille litres, alors que la moyenne payée sur les douze derniers mois dans la filière laitière est de 450 euros les mille litres, indiquait le 26 février Pascal Lebrun, président de la Coopération laitière, lors d'une conférence de presse au Salon de l'agriculture.

Des clauses de révision en amont et en aval

Afin de faire face à la volatilité des coûts de production depuis deux ans, conformément à Egalim 2, le contrat entre Bel et l'APBO intègre des clauses annuelles de révision du prix. Elles sont indexées sur un indicateur élaboré par la Direction des statistiques d'entreprises (DSE) : l'indice des prix d'achat des moyens de production agricole (IPAMPA), qui mesure les variations des prix d'achat supportés par les exploitations agricoles pour leurs intrants de production et leurs dépenses d'investissement. « Nous nous accordons sur l'évolution de cet indice qui pourrait déclencher, deux fois par an, une révision du prix du lait », explique Frédéric Dorilleau.

Lire aussiPologne: le blocus des agriculteurs à la frontière n'impacte pas les livraisons d'armes à l'Ukraine selon Kiev

Afin de compléter le mécanisme, Bel a instauré des « clauses de révision en miroir » lors de ses négociations commerciales annuelles avec ses distributeursnote Anne-Sophie Carrier. Les relations avec ces derniers sont en effet facilitées par la transparence du prix du lait convenu entre l'APBO et Bel, publié chaque année dans un communiqué commun, estime la directrice générale France du groupe laitier, qui se réjouit de la « satisfaction mutuelle » engendrée par ce modèle. « C'est un accord gagnant-gagnant », convient Frédéric Dorilleau.

Encore des tensions pour la crème et le beurre

Pour les ingrédients utilisés par Bel qui sont hors du champ de cette démarche, comme la crème et le beurre, les tensions entre les maillons de la chaîne autour des prix des matières premières agricoles persistent. « Cette année, nous avons pu conclure avec certains distributeurs dés accords équilibrés », estime Anne-Sophie Carrier.

« Mais la question de comment concilier des prix accessibles pour les consommateurs avec une juste rémunération des producteurs et une juste rentabilité pour les industriels et les distributeurs » reste ouverte, note la directrice générale de Bel France, qui regrette qu' « elle empêche de discuter d'autres enjeux majeurs, comme la transition écologique ». « D'où la nécessité de sanctuariser l'ensemble des matières premières agricoles, comme prévu par les lois Egalim », signale-t-elle.

Bel et l'APBO s'accordent toutefois sur la nécessité de mieux appliquer les lois existantes, plutôt que de tout revoir de fond en comble. « Il ne faut pas casser Egalim », plaide Anne-Sophie Carrier, qui se dit notamment opposée à une suppression du caractère annuel des négociations commerciales entre industriels et distributeurs comme à une refonte des règles de transparence qui nuirait au secret des affaires.  Elle suggère toutefois d'améliorer le cadre législatif sur les clauses de révision, notamment sur les seuils d'activation, et d'assurer que les centrales de négociation européennes appliquent la loi française en vigueur.

Giulietta Gamberini

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 11/03/2024 à 11:11
Signaler
La coopérative cantaveylot paie le litre de lait 0,55 euros à ses producteurs .Quant à la qualité il faut déjà choisir entre le lait entier ou demi écrémé , pas le même gout et faut savoir que les laiteries ont des critères de qualité , elles font ré...

à écrit le 11/03/2024 à 7:20
Signaler
Très bien, maintenant on s'attaque à la qualité du lait ! ... Ben ils sont tous partis où ? ^^

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.