Tests Covid : la précipitation dans le Grand-Est

Les autorités locales veulent acquérir massivement des tests Covid. Mais elles hésitent encore à passer leur commande à la biotech strasbourgeoise Biosynex, ou à un autre fournisseur.
A l'instar de l'Allemagne (ici, un centre de dépistage à Munich), le Grand-Est veut déployer à grande échelle des tests Covid sur sa population.
A l'instar de l'Allemagne (ici, un centre de dépistage à Munich), le Grand-Est veut déployer à grande échelle des tests Covid sur sa population. (Crédits : Reuters)

Prendre tout le monde de vitesse. Pour les élus locaux réunis autour de Jean Rottner, président (LR) de la région, c'était la condition essentielle pour réaliser l'achat de 3 millions de tests sanguins Covid et les mettre en oeuvre dès l'issue du confinement, le 11 mai. La société mixte d'économie locale (SEML) Dynamise, créée le 17 avril par le conseil régional du Grand-Est à Strasbourg, est prête à passer commande.

"Le marché des tests est une foire d'empoigne et le public doit prendre la main, quitte à encourir tous les risques", prévient sous couvert d'anonymat l'un des patrons qui suivent l'action économique de la région. "L'Alsace, premier territoire touché par le coronavirus, veut s'en sortir plus vite que le reste du pays. Ces tests vont être la clé de la reprise. La société strasbourgeoise Biosynex, qui est l'une des seules en mesure de fournir ces tests, se fait déjà draguer par tous les côtés. On est dans une guerre économique industrielle", observe le même économiste.

L'écueil de l'aide d'Etat

La SEML Dynamise a été établie en un temps record : 48 heures avec l'aval des services de l'Etat, du directeur de la Banque des Territoires Olivier Sichel et de Nicolas Théry, président du Crédit mutuel Alliance Fédérale. Le capital (100 000 euros) se répartit entre le Conseil régional du Grand-Est (51 %), la Caisse des dépôts - Banque des territoires (25 %) et le Crédit Mutuel Equity (24 %). Les deux premiers cités apportent 5,25 millions d'euros en compte courant d'associés. Le Crédit mutuel apportera la même somme sous forme de prêt rémunéré à 0,5 %. "Ce montage nous met à l'abri d'une requalification éventuelle en aide d'Etat", précise Patrick François, directeur régional de la Banque des Territoires à Strasbourg. En préambule de ses statuts (28 pages) rédigés en ce temps record, Dynamise expose son objet : "permettre le plus rapidement possible le rétablissement des conditions du développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique sur l'ensemble du territoire de la région Grand-Est" en faisant "l'acquisition en gros de kits de tests sanguins Covid-19".

Créer une filière post-Covid

Les porteurs du projet sont-ils allés trop vite ? A l'origine, au mois de mars, deux entrepreneurs locaux, Stéphane Eimer et Eric Goetzmann, ont imaginé la mise en place d'un groupement pour l'achat massif de tests Covid. Dans l'idéal, les commandes auraient été passées directement à l'entreprise locale Biosynex. Depuis le 26 mars, cette société de biotech commercialise un automate couplé à un test Covid par dépistage moléculaire. Le succès apparaît fulgurant, porté par les ventes internationales : le chiffre d'affaires de ce spécialiste des tests de diagnostic rapide a bondi de 44 % au premier trimestre. "Il fallait passer très cette commande massive à Biosynex, comme élément de garantie permettant de ne pas nous faire doubler", rapporte Catherine Trautmann, vice-présidente (PS) de l'Eurométropole de Strasbourg, écartée de l'actionnariat initial de la SEML mais dont les services ont veillé à consolider les attaches locales de Biosynex. "Je n'ai pas reçu de commande officielle de la Région, mais il y a eu un accord de principe", confirme Larry Abensur, président de Biosynex. Sa société (180 salariés) cotée sur le marché d'Euronext a annoncé le 17 avril la cession de l'intégralité de ses actions auto-détenues, soit 434 000 actions représentant 4,75 % de son capital social, pour un montant de 7,25 millions d'euros. "Nous avons besoin de cette trésorerie pour couvrir nos besoins en fonds de roulement et pour un investissement industriel à venir. Fin 2020, nous pourrions multiplier par deux ou par trois de notre chiffre d'affaires", prévoit Larry Abensur. A Strasbourg, les élus rêvent d'accompagner la constitution, autour de Biosynex, d'une filière scientifique et industrielle post-Covid. Pour l'instant, les tests vendus par Biosynex sont importés de Chine. La relocalisation de la production à Strasbourg créerait une centaine d'emplois.

Coup de frein

Les 22 avril, les services du conseil régional ont fini par appuyer sur le frein. "La première commande sera passée après un appel d'offres. Il y a eu des soupçons de délit d'initié chez Biosynex", tranche Alexandre Mora, directeur de cabinet de Jean Rottner. "Cet appel d'offres sera européen parce que le montant en jeu dépasse 200 000 euros", confirme Valérie Debord, vice-présidente de la Région et administratrice de la SEML Dynamise. Entre la publication et les résultats de l'appel d'offres, il pourra se passer deux semaines. "Nous arriverons encore à temps pour le 11 mai", souffle Alexandre Mora. Le temps pour Biosynex et pour ses concurrents, dont la société bretonne NG Biotech, d'obtenir l'évaluation attendue du Centre national de référencement, qui fait toujours défaut. "L'urgence devrait permettre de se passer d'appels d'offres, mais on ne fera les achats que lorsqu'on aura la confirmation de la labellisation des produits", concède Patrick François. Deux semaines qui permettront aussi à la Région de se conformer à la doctrine de l'Etat, toujours pas établie sur la question des tests massifs de la population.

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Commentaires 2
à écrit le 22/04/2020 à 23:15
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Cet épisode de la crise illustre parfaitement la faillite morale et politique de l'Etat sous Macron. On assiste à la prise en main, par les baronnies régionales, de la gestion d'une crise sanitaire mondiale qui aurait du relever de la compétence nat...

le 23/04/2020 à 8:20
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la grande nation française!! je me regarde et je le désole . vivement le rattachement de l 'Alsace lorraine à la grande Allemagne . pas une mauvaise idée , qui devrait faire son chemin à l avenir .

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