Vivement dimanche ! Villes invisibles et villes qui marchent

A partir du 8 mai, l'avenue des Champs-Elysées sera rendue totalement piétonne un dimanche par mois. L'occasion, en déambulant (ou pas) sur "la plus belle avenue du monde", de réfléchir à la place de l'homme dans son environnement urbain et de retrouver la ville où l'on vit, plutôt que celle où l'on travaille et où l'on dort.
Oui, les Champs-Elysées redevenus piétons, voilà un mois de mai pas comme les autres, qui réjoui les « city lovers », que nous sommes, les amoureux des espaces publics pour tous, ces « poumons » du mieux vivre ensemble dans un monde urbanisé.

Le dimanche 8 mai, nous fêtons le 71e anniversaire de la chute de Berlin. Avec des plaques apposées dans de très nombreux lieux, nos villes en Europe nous rappellent partout cette tragique période. Ces rues que nous voyons aujourd'hui, ces immeubles, stades, écoles, portent aussi ces traces devenues invisibles et qui sont pourtant sous nos yeux. Des traces de l'horreur nazie quand la mort, la haine, la destruction, voulaient s'imposer face à la vie, à l'amitié, à la fraternité, à la diversité.

Ce même dimanche 8 mai, la plus belle avenue du monde, les Champs-Elysées, lieu également chargé d'histoire, cœur emblématique de Paris Ville-Monde, deviendra interdite aux voitures et sera rendue totalement piétonne, un dimanche par mois. Voilà, la vie qui revient avec les hommes, femmes, enfants, personnes âgées, qui pourront à leur guise déambuler, flâner, se promener, se réapproprier cet espace public. Une décision qui insuffle de la vie à nos villes et la rend plus vivante, humaine, et bienveillante.

Une telle mesure a-t-elle des effets sur la santé des urbains ? Assurément. Une étude mondiale « Walking and Cycling to Health: A Comparative Analysis of City, State, and International Data » a montré le lien direct entre la lutte contre l'obésité, une menace majeure pour la santé publique dans le monde, et l'accessibilité des commerces, services, parcours, promenades et déambulations à pied ou à vélo. Des villes qui marchent sont des vies qui marchent.

Voilà donc cette ville qui se révèle à nous sous d'autres formes, quand les piétons ne sont plus de piétons mais simplement des habitants qui vivent dans une ville et  qui incarnent, et portent la vie dans les espaces publics.

Des villes invisibles

Dans Les villes invisibles de l'écrivain Italo Calvino, un passant demande son chemin pour rejoindre la ville de Penthésilée. On lui répond d'un geste qui signifie peut être « ici » ou alors « plus loin », ou « tout autour » ou « de l'autre côté »... D'aucuns lui disent devant son insistance pour trouver la ville : « nous venons ici tous les matins pour travailler », d'autres « nous revenons ici pour dormir »... Mais alors « où est-elle la ville où on vit ? » insistait- il... « Elle doit être par-là » lui dit-on, et il voit, nous dit-il, « les bras qui se tendent vers des polyèdres opaques, à l'horizon, tandis que d'autres, indiquent derrière des flèches fantomatiques »... « Ai-je dépassé ? » ... « Non, essaie de continuer un peu »... « Alors passer la ville est-ce passer d'un limbe à l'autre sans arriver à s'en sortir ? »...

Voilà un extraordinaire dialogue, comme chacun de ses dialogues imaginaires de ce superbe texte, qui reste d'une parfaite actualité, 44 ans après sa publication... « Les villes aussi se croient l'œuvre de l'esprit ou du hasard, mais ni l'un ni l'autre ne suffisent pas pour faire tenir débout leurs murs ; Tu ne jouis pas d'une ville à cause de ses sept ou soixante-dix sept merveilles, mais de la réponse qu'elle apporte à l'une de tes questions. »

Vivre dans nos villes, au XXème siècle, a signifié un espace urbain bâti pour assurer le développement d'un monde construit autour du développement économique au travers du paradigme du pétrole, des industries avec ses fabriques qui fournissaient de l'emploi, du travail salarié comme centre de la vie, de l'habitat collectif dit social avec le paradoxe de la perte du lien social et humain entre les habitants, de l'accès à la propriété et de la possession de biens comme symbole de réussite tels la voiture individuelle, la maison secondaire, les objets de toute sorte...

Mais dans cette même ville, au travers des continents et des pays, ont émergé plusieurs villes, ces villes invisibles, qui donnent le nom à ce texte. Italo Calvino, nous interroge sur nous, êtres vivants et nos villes : la ville et la mémoire, le désir, le regard, le nom, les signes, les échanges, le ciel, les morts, les villes continues, effilées, cachées...

L'âme des villes

Qu'avons nous donc fait de nos villes, défigurées par des boulevards pour des centaures mécanisés toujours pressés ? Quid de ces bâtis froids et fonctionnels qui ôtent la vie à nos rues, nos places, nos murs, nos parcs ? Quid de l'eau et des arbres quand nos sources ont été asséchées, nos terres bitumées et notre air vital raréfié? Où est son identité ? Où sont-elles ces histoires de vies racontées et partagées au seuil de portes, sur les trottoirs ou les bancs publics par les  hommes, femmes, vieux et enfants ? De quoi alors est-elle aujourd'hui le nom ?

Aujourd'hui au XXIème siècle, comment ne pas nous interroger sur cette ville qui nous interpelle, qui s'adresse à nous dans sa détresse plus que nous ne l'écoutons. Car chacune de nos villes possède une âme qui comme un fil conducteur traverse les siècles. Elle est à découvrir et à cultiver.

Alors oui, la question posée par ce passant reste entière : « où est la ville où on vit ? ». Les villes, beaucoup parmi elles millénaires, ont survécu aux royaumes, aux empires, aux nations, aux états et aussi aux guerres, aux crises et à toute sorte d'événements. La ville, de manière intrinsèque, en elle même est plus durable que toute organisation humaine. Elle est un repère solide et constitue le socle majeur de l'expression des habitants face aux défis d'hier, d'aujourd'hui et de demain, écrivais-je, il y a peu, prolongeant les propos de Saskia Sassen.

Un homme hybridé aux repères changés

C'est dans la ville que le cycle de vie des hommes se développe majoritairement aujourd'hui. De la naissance à la mort, le monde urbain est l'univers, l'espace et le temps des humains. Naître dans une ville est déjà une appartenance à une culture urbaine, citadine, empreinte du rythme et du mode de vie des villes, métropoles, mégalopoles, de ces concentrations urbaines qui sont devenues des villes-monde. De l'enfance à l'adolescence, du passage à l'âge adulte et au vieillissement, plusieurs univers urbains de vie coexistent.

Naître, grandir et vieillir au XXIème siècle dans des villes a changé profondément la nature des liens entre les humains. La ville devient à la fois sensorielle, sensible, à visages multiples. Malgré tout, elle doit rester vivante, et le combat pour qu'elle soit respirable, à tout point de vue, est un enjeu vital.

Dans ces villes, trouver le fil d'Ariane qui nous guide dans l'univers du corps de l'humain et de l'esprit urbain est une priorité.

La puissance des révolutions technologiques, la massification de l'ubiquité via les outils numériques mis à notre disposition, l'internet des objets et le tout-connecté ont profondément changé la relation entre l'homme et son corps. Nos corps sont transformés par l'impact du numérique dans nos vies. Cela donne lieu à de nouvelles formes d'intelligence individuelle et collective, ainsi qu'à des expressions inédites de collaboration et de partage. L'homme, ainsi hybridé, vit dans la ville où ses repères ont changé de nature. Habiter, se déplacer, travailler, se soigner, se divertir, se loger, tout est désormais traversé par le numérique devenu incontournable.

« Dire bonjour à quelqu'un, c'est lui dire tu existes ! »

L'homme a-t-il volé le feu de la création ? Ou bien les créatures numériques qu'il a créées, réelles ou virtuelles, le détachent de la réalité.

Quelle est la vraie frontière, à l'aune de nos mutations corporelles, sociétales, technologiques et urbaines, entre utopie, dystopie, imaginaire et réel ?  Une nouvelle culture urbaine à l'ère de l'internet des hommes et des objets est née, générant de nouveaux usages et de nouvelles perceptions du corps.

Toutes ces questions que nous nous posons aujourd'hui, ne retrouvent du sens que si la ville et l'espace urbain où nous vivons nous redonne de l'émotion, des sensations, du plaisir, que si la mémoire de ce que nous fûmes vient nourrir la construction de ce que nous serons, que si nos pierres anciennes nous parlent et que si nous parlons avec elles et avec les nôtres, nos familles, nos amis, nos voisins. Je cite Edgar Morin, lors du Forum Smart City 2015 de Paris, « dire bonjour à quelqu'un, c'est lui dire tu existes ! »

La ville sensorielle, affective, la ville interactive, la ville qui est en mouvement, offre ainsi aux habitants un autre regard, une autre expérience. Elle n'est plus seulement  la ville où l'on travaille, ou la ville où l'on dort... Retrouver la ville où l'on vit est finalement la question clé qu'il faut se poser.

Oui, les Champs-Elysées redevenus piétons, voilà un mois de mai pas comme les autres, qui réjoui les « city lovers », que nous sommes, les amoureux des espaces publics pour tous, ces « poumons » du mieux vivre ensemble dans un monde urbanisé.

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Commentaires 2
à écrit le 08/05/2016 à 20:33
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toutes les villes qui ont restreint leur circulation et stationnement voient leur centre ville mourir et se vider ; encore un truc de bobos parisien pour faire mousser leurs élus

le 13/05/2016 à 8:49
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je crois que malheureusement votre analyse est tout à fait fausse ; par contre cette démarche de piétonnisation doit être réfléchie pour prendre en compte la problématique de stationnement et de déplacement.

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