Voilà un peu plus d'un an, vous preniez la direction générale du Women's Forum. Quel bilan pourriez-vous tirez aujourd'hui ?

Mon premier constat et j'en suis très fière d'ailleurs, c'est l'impact incroyable que le Women's Forum peut avoir au niveau mondial et son influence notable lorsqu'il s'agit notamment de changer le monde. C'est en grande partie grâce à lui si une prise de conscience efficiente s'est réalisée ces dernières années quant à la nécessité évidente de la mixité économique. De fait, aujourd'hui, en France, il existe entre 600 à 700 associations dédiées à la promotion des femmes ; beaucoup sont au Women's Forum. Nous avons réussi à faire comprendre aux femmes que le networking et l'entraide étaient absolument nécessaires. Les femmes ont par ailleurs une place plus visible dans la vie économique française, pas assez, nous sommes d'accord, mais lorsque l'on considère que conformément à la loi, 40% d'entre elles ont réussi à entrer dans des conseils d'administration, dans un temps record... On peut être satisfaits! Et si les femmes aujourd'hui sont prêtes à intégrer les conseils d'administration, le Women's Forum a certainement joué un rôle.

Joué un rôle grâce à ses actions d'influence ?

Tout à fait. Regardez l'influence de notre initiative CEO Champions. Grâce à elle, nous sensibilisons et accompagnons des grands patrons dans la valorisation des femmes à des postes clé dans l'entreprise. Et très souvent, nos meilleurs ambassadeurs sont les patrons qui viennent témoigner de la valeur ajoutée de la mixité dans le corps dirigeant de leur entreprise. La diversité est un levier de croissance ; les études le démontrent parfaitement bien. Selon le rapport de McKinsey « Women matter », la mixité générerait tout simplement 12 billions de plus dans l'économie mondiale en 2025 et plus de 240 millions d'emplois créés. Une autre initiative du Women's Forum qui porte ses fruits depuis 10 ans, c'est Rising Talents. Nous dénichons des femmes talentueuses dans le monde entier, nous les valorisons. Il s'agit désormais d'un formidable réseau de 220 femmes dans le monde entier et dans tous les secteurs. Au regard de tout cela, le Women's Forum est véritablement une pépite et l'on se doit de faire en sorte que cette initiative ait de plus en plus d'impact dans ce monde en plein bouleversement.

Quelles sont justement les mesures que vous avez initiées pour générer plus d'influence et d'impact ?

Impact ! C'est notre engagement depuis 2017. Nous avons décidé de passer d'un think tank et d'un diagnostic, somme toute nécessaire à un do thank. Il est maintenant temps d'agir. Et pour cela, nous nous entourons de ceux qui partagent nos valeurs et nos ambitions ; de ceux qui veulent vraiment changer le monde. C'est pourquoi nous avons décidé de créer un comité stratégique, 12 à 15 grands groupes, avec qui nous travaillons au quotidien pour, ensemble, réfléchir à la façon dont on peut vraiment faire bouger les lignes ; et pas uniquement sur les questions de genre mais plus que jamais sur les enjeux actuels comme le changement climatique. Car si nous voulons un monde meilleur, commençons d'abord par résoudre le problème du climat. Nous nous questionnons également énormément sur les enjeux de l'intelligence artificielle qui est en train de créer un nouveau monde à une vitesse extraordinaire. Tout va très vite, trop vite et il faut être très vigilants sur la gestion des algorithmes qui, à 99% sont créés par des hommes, tout simplement parce qu'il n'y a pas assez de femmes ingénieurs. Comment s'étonner ensuite, car cela a été dénoncé il y a peu, que le robot assistant de Google ou encore Alexa, celui d'Amazon ne sont pas programmés pour faire face à des propos sexistes ? Il est évident qu'on ne peut pas construire un monde égalitaire avec une seule vision, celle des hommes. De la même manière, on ne peut pas envisager la ville du futur à travers un seul prisme masculin. On ne peut pas envisager le monde de demain uniquement avec des urbanistes, ingénieurs et architectes hommes. Il est nécessaire d'imaginer la mobilité, les transports, l'habitat, nos modes de consommation et les nouveaux usages au travers d'un regard mixte et global. Il est donc primordial que les femmes soient présentes dans les conseils d'administration et les COMEX des grandes entreprises, et partout là où les décisions se prennent dans la sphère politique et économique. C'est même une priorité aujourd'hui.

Une priorité que le Women's Forum peut mettre en œuvre. Comment concrètement pouvez-vous accélérer les choses ?

En rappelant dans un premier temps pourquoi il est inimaginable que de grands groupes au cœur de la transformation ne mettent pas le « gender equality » au sein de leur priorité. D'autant plus, et c'est d'ailleurs une évidence, que lorsque des femmes siègent dans les instances dirigeantes, la stratégie de l'entreprise s'opère différemment ; la mixité est une valeur ajoutée. Je le vois moi même dans les conseils d'administration dans lesquels je suis, que ce soit chez April ou à la RATP, nous, les femmes, apportons un regard différent aux réflexions. De fait, cela enrichit la stratégie. Et pour asseoir ce diagnostic, je compte sur le comité stratégique que nous sommes en train de créer ; il aura un rôle très concret et un impact puissant pour changer le monde. Nous y comptons d'ores et déjà la BNP, Microsoft, Google parmi d'autres.

Concrètement, nous allons mettre en place des « daring cercles » : des groupes de travail très stratégiques dans lesquels nous nous entourons de nos grands champions mondiaux de la mixité. Nous souhaitons que les grands patrons, hommes et femmes nous rejoignent et nous accompagnent dans la durée. Ensemble, nous allons décider de la stratégie à opérer et choisir les speakers et contenus de nos événements ensemble. Et bien sûr nous choisirons d'être actifs dans des zones d'influence.

C'est-à-dire ?

Nous voulons aller là où les choses se décident. Les 10 et 11 mai prochain nous organisons le Women's Forum Canada à Toronto car le Canada est le pays hôte du G7 cette année. Nous travaillons donc avec le cabinet du premier ministre canadien, avec l'ambassadrice du Canada en France qui a été nommée coprésidente du conseil consultatif pour l'égalité des sexes du G7 aux côtés de Melinda Gates. Plus que tout, nous voulons agir, avoir de l'influence, avoir un impact sur le monde. Nous voulons être écoutés et faire accélérer les choses. C'est pourquoi aussi les 12 et 13 septembre nous serons à Singapour qui depuis janvier 2018 préside l'ASEAN (Association des Nations d'Asie du Sud Est). L'ASEAN, ce sont des pays clés, là où il y a la croissance, là où émerge le monde de demain. Il est normal que nous fassions en sorte que les femmes prennent dès maintenant la place qu'elles méritent aussi dans cette région du monde. Souvent les femmes y ont déjà du pouvoir, mais elles sont n° 3 ou n°4, elles ne sont pas n°1. Exception notoire de la présidente de Singapour, Halimah Yacob, première femme présidente de l'histoire de Singapour. D'ethnie malaise et musulmane, elle est le symbole de ce que nous revendiquons : le bridging humanity, c'est-à-dire la mise ne place de passerelles entre génération, entre continent, entre culture, entre religion. C'est ce que nous prônons : ouverture d'esprit et acceptation des autres. En fait, Toronto et Singapour sont des villes multiculturelles et ouvertes. A Singapour le thème que nous allons porter est l'innovation dans tous les domaines ; Singapour Smart City, vitrine de la mobilité. Et c'est là, par la voix des femmes que nous pouvons apporter notre grande contribution. Innovation en politique mais également en gestion du patrimoine ; on investit de façon plus responsable, plus éthique, on investit là où l'on se sent utile. Et bien entendu, chaque fois, il ne s'agit pas de critiquer ce qui existe, nous ne voulons pas stigmatiser ; nous faisons du Name & Prime, nous voulons récompenser et valoriser.

Plutôt que dénoncer, vous choisissez de montrer les exemples à suivre...

Exactement ! Nous mettons en évidence les best pratice et les succes stories pour donner envie à d'autres de suivre l'exemple. A Singapour, nous allons rendre public notre index mondial du Women's Forum qui va classer les 100 premières entreprises au monde qui ont le mieux intégré la « gender equality » dans leur stratégie. Nous voulons encourager les dirigeants d'entreprise dans une saine émulation à promouvoir les femmes dans l'entreprise. Nous voulons construire un monde plus éthique avec les hommes et non pas contre eux. Pour l'instant 94% des grands patrons au monde sont des hommes ; en France seulement 1% de femmes sont CEO. Et même si aujourd'hui il y a une prise de conscience générale de la place des femmes dans la société qui doit être juste et équitable, le chemin à parcourir est encore long. Nous sommes convaincus que c'est ensemble, femmes et hommes que nous pourrons changer le monde.

D'ailleurs, au sein du Women's Forum, nous avons des ambassadeurs hommes qui sont convaincus que c'est la bonne façon d'avancer. Le « bridging humanity » que nous déclinons sur toutes les zones d'influence où nous sommes actifs, nous rappelle chaque jour que c'est la mixité globale qui fera bouger les lignes. C'est d'ailleurs pour cela que nous souhaitons accueillir au minimum 30% d'hommes dans notre public lors de notre Global Meeting les 14,15 et 16 novembre 2018 au Carrousel du Louvre. La mixité des genres est une richesse inestimable qui porte les prémices d'un monde résolument meilleur.