Disney a 100 ans : les trois défis vitaux de l'empire du divertissement

Fragilisé depuis le début de l'année, Disney peut toujours se reposer sur ses parcs d'attractions mais le géant hollywoodien fait face à une triple crise au cinéma, dans la télévision traditionnelle et dans le streaming. Et même son patron historique, Bob Iger, sorti de sa retraite en catastrophe il y a un an, peine à redresser le groupe.
Sylvain Rolland
Fin 2022, Disney a fait revenir en catastrophe son ancien PDG, Bob Iger, pour redresser la barre.
Fin 2022, Disney a fait revenir en catastrophe son ancien PDG, Bob Iger, pour redresser la barre. (Crédits : Carlo Allegri)

Lors de ses adieux au royaume de Mickey Mouse, en février 2020 et après quinze années de succès, Bob Iger, l'emblématique patron de Disney, voyait l'empire du divertissement plus fort que jamais pour son centième anniversaire trois ans et demi plus tard. Il partait avec le sentiment du devoir accompli : cours de Bourse euphorique, lancement stratosphérique de la plateforme de streaming Disney+, succès sans cesse renouvelés au cinéma grâce à des franchises plébiscitées du grand public, fréquentation grandissante des parcs d'attraction... Son successeur, Bob Chapek, n'avait qu'à surfer sur la vague.

Mais rien ne s'est passé comme prévu. A tel point que ce 16 octobre, jour anniversaire, l'heure n'est pas vraiment à la fête. L'entreprise, qui a fait revenir en catastrophe Bob Iger fin 2022 pour redresser la barre, entre dans sa deuxième centaine d'années dans un état de fragilité et de fébrilité qu'elle n'avait pas connu depuis longtemps. Heureusement, les parcs d'attraction tiennent toujours bon et ils ont même généré une croissance de 13% de leurs revenus en 2023. Mais le reste de l'empire Disney vacille, qu'il s'agisse du streaming vidéo avec Disney+, du cinéma, ou encore de la télévision traditionnelle. Le tout dans un contexte de crise pour Hollywood tout entier, avec une grève historique des scénaristes -le conflit vient enfin de trouver une fin heureuse- et des acteurs qui, eux, continuent la grève. La production des films et séries est à l'arrêt depuis mai 2023 et les conséquences drastiques de ce shutdown se feront véritablement sentir dès le début de l'année prochaine, ce qui va fragiliser l'ensemble des majors comme Disney. En attendant cette passe difficile, le groupe de Bob Iger a quelques mois pour tenter d'infléchir la spirale infernale de 2023 et redéfinir une stratégie.

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  • Cinéma : crise de créativité et franchises fatiguées

Peut-on surfer à l'infini sur les franchises populaires ? Il semblerait bien que non. Grâce aux rachats des studios Pixar, Lucasfilms, Marvel et 21st Century Fox, Bob Iger a mis la main dans les années 2010 sur un savoir-faire et des franchises synonymes de pluies de dollars sur le groupe. Logiquement, Disney ne s'est pas privé pour les exploiter jusqu'à la lie, notamment le fameux Marvel Cinematic Universe (MCU), avec 32 films produits depuis 2007 et 12 à venir. Mais avec « seulement » 463 millions de dollars au box-office, le dernier Marvel, « Ant-Man et la Guêpe : Quantumania », a été considéré comme un échec : il a fait en moyenne moitié moins bien que les trois films du MCU sortis en 2022 et que le troisième film de la saga « Gardien de la Galaxie », sorti en mai dernier, lui-même moins populaire que le deuxième volet sorti en 2017.

Contre-performance ou problème de fond ? L'industrie s'inquiète et parle même de « crise de créativité » pour le groupe tout entier. Et pour cause : non seulement la plupart des franchises de Disney semblent sur le déclin, mais ses nombreux studios semblent incapable de créer un nouveau phénomène en dehors des recettes existantes. Le dernier-né de Pixar, « Elemental », le film « Manoir Hanté » inspiré d'une attraction du même nom des parcs Disney, ou encore le dernier film de la franchise « Indiana Jones », tous sortis en 2023, ont tous déçu au box-office et dans les critiques, malgré leur énorme budget de production.

Il va donc falloir se réveiller. Soit en trouvant le moyen de ressusciter la magie des franchises existantes, soit, encore mieux, en trouvant de nouvelles recettes inédites de succès, à l'image du rival Warner Bros Discovery qui a signé le succès de l'année avec Barbie. Les contenus étant le socle de l'empire Disney tout entier, des parcs d'attractions au service de streaming Disney+, la capacité du groupe à rester pertinent et innovant est la principale clé de sa longévité exceptionnelle, passée et future.

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  • Disney+ : une position à consolider d'urgence

L'un des autres gros défis de Disney dans les mois et années à venir, sera assurément de trouver sa place sur le marché embouteillé de la vidéo à la demande sur abonnement (SVoD). Pourtant, tout avait si bien commencé pour Disney+ : lancement en fanfare fin 2019 (50 millions d'abonnés en cinq mois), puis croissance fulgurante en 2020 (73 millions fin décembre), 2021 (118 millions fin décembre) et 2022 (164 millions en fin d'année), en partie grâce au Covid-19 qui a accéléré l'adoption de la SVoD pour le grand public. Euphorique, Disney espérait même en 2021 grimper jusqu'à 230 voire 260 millions d'abonnés en 2025... avant de déchanter.

Car depuis le début de l'année 2023, Disney+ est en panne de croissance. En partie à cause de la perte des droits du championnat de cricket en Inde, son deuxième marché mondial après les Etats-Unis, le service enchaîne les désillusions et est passé de 164 à 147 millions d'abonnés en neuf mois. L'intensification de la concurrence -notamment l'arrivée de Max (Warner Bros Discovery) et Peacock (Universal) aux Etats-Unis- a joué. Mais Disney+ se retrouve surtout victime de l'inflation et de la crise énergétique, qui conduisent les ménages à sacrifier une partie de leur budget alloué au divertissement. Or, quand il faut faire des économies, les utilisateurs préfèrent garder Netflix, Hulu, Max et même Prime Video que Disney+. La faute à un catalogue trop restreint et trop dépendant du MCU.

Revenu aux commandes, Bob Iger semble avoir renoncé au rêve de détrôner le numéro un mondial Netflix, qui, lui, progresse encore en 2023 avec 238 millions d'abonnés. A la place, il vise la rentabilité à tout prix : augmentation générale des prix au dernier trimestre 2023, développement des offres avec publicités, annulations et suppressions de films et séries du catalogue pour faire baisser son coût d'exploitation. Conscient que Disney+ seul ne suffit pas, le groupe semble déterminé à acquérir la plateforme Hulu, qu'il détient déjà à 66%, en rachetant les 33% restants au rival Comcast. Les deux géants doivent se mettre d'accord d'ici à l'expiration de leur deal actuel, qui court jusqu'à 2024. Très populaire aux Etats-Unis avec 44 millions d'abonnés, Hulu propose de nombreux inédits et dispose surtout de la meilleure plateforme publicitaire du marché de la SVoD, ce qui fait de lui le seul grand service de streaming rentable avec Netflix. Une fusion entre Hulu et Disney+ permettrait enfin à ce dernier d'obtenir la taille critique nécessaire et l'attrait publicitaire qui lui font défaut.

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  • Que faire de la télévision traditionnelle, business en perdition ?

Enfin, le troisième grand défi stratégique de Disney concerne ses actifs dans la télévision traditionnelle, notamment ABC, ESPN et National Geographic, entre autres. Ce business historique est en perte de vitesse depuis 20 ans et le début de la révolution numérique, mais le déclin s'est accéléré depuis le Covid-19. Les revenus publicitaires s'effondrent au fur et à mesure que l'audience vieillit et que les téléspectateurs fuient vers les plateformes comme TikTok, YouTube et les services de streaming.

Autrefois pilier du groupe, la télévision traditionnelle a-t-elle encore un avenir chez Disney ? Pas si sûr : Bob Iger a levé le tabou de la vente à venir de certains actifs dans ce domaine. ABC, qui hébergeait autrefois des séries cultes et très fédératrices comme Dr House, Desperate Housewives ou Lost, n'est plus que l'ombre d'elle-même en termes d'audiences et de succès populaires, et semble particulièrement sur la sellette. ESPN serait moins menacée et Bob Iger tient, d'après ses déclarations devant les analystes en août, à garder des parts dans la célèbre chaîne sportive. Reste que ces actifs ne sont pas attractifs, donc difficiles à vendre, et que Disney devra certainement les brader s'il souhaite s'en séparer pour se recentrer sur ses parcs d'attraction, le cinéma et le streaming.

Sylvain Rolland

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Commentaires 4
à écrit le 16/10/2023 à 23:51
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Sans compter le wokisme revendiqué par Disney qui a tendance à lasser les spectateurs. Les univers des personnages sont dénaturés dans un but affirmé de propagande. Une bonne partie des parents ne laissent plus leurs enfants devant un Disney moderne...

le 17/10/2023 à 8:35
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"Sans compter le wokisme revendiqué par Disney qui a tendance à lasser les spectateurs." Absolument pas c'est seulement une obsession des commentateurs d'extrême droite.

à écrit le 16/10/2023 à 23:45
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L'idéologie woke est en train de tuer leur business ...

à écrit le 16/10/2023 à 15:57
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Trop de finance et pas assez de créativité, la même dérive en moindre quand même et aux conséquences moins graves, que les laboratoires pharmaceutiques.

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