
Bosch continue d'accélérer sur les puces. Après avoir annoncé l'an passé un vaste plan d'investissement dans les semi-conducteurs, le groupe allemand vient désormais de racheter TSI Semiconductors, une entreprise américaine spécialisée dans le développement et la production de puces. Son usine, basée à Roseville, au nord-est de Sacramento, emploie 250 personnes.
« Bosch prévoit d'acquérir la production (les bâtiments, les machines, l'infrastructure, etc.), ainsi que les actifs de l'activité semi-conducteurs de TSI Semiconductors. Au cours des prochaines années, Bosch a l'intention d'investir plus de 1,5 milliard de dollars dans le site de Roseville et d'amener les installations de fabrication de TSI Semiconductors à la pointe de la technologie », confie Pascal Clerc, chargé de la communication chez Bosch, à La Tribune.
Des puces destinées aux véhicules électriques
TSI Semiconductors est spécialisé dans la production de plaques de silicium de 200 mm pour les circuits intégrés spécifiques à une application (ASICs), pour le compte d'autres développeurs de semi-conducteurs.
Bosch entend profiter de cette acquisition pour produire, dès 2026 et sur le sol américain, des semi-conducteurs de puissance en carbure de silicium (SiC, pour silicon carbide), un type de puces que le groupe allemand a commencé à produire en décembre 2021 dans son usine de Reutlingen, après plusieurs années de développement. Les puces SiC peuvent fonctionner à des températures, des tensions et des fréquences plus élevées que les autres semi-conducteurs, ce qui les rend très utiles dans des domaines comme la 5G, les énergies propres, l'aérospatial et le véhicule électrique.
« Bosch est l'un des rares équipementiers automobiles au monde à fabriquer et commercialiser ses propres semi-conducteurs de puissance en carbure de silicium. Ils constituent des éléments clés pour l'électromobilité, car ils permettent jusqu'à 50% de perte d'énergie en moins pour les véhicules hybrides et entièrement électriques. Les puces SiC garantissent ainsi une autonomie plus importante, en moyenne, environ 6 % de plus par rapport aux puces en silicium », affirme Pascal Clerc.
Un marché d'avenir, selon Ambrose Conroy, fondateur et directeur général du cabinet de conseil Seraph. « Le marché des puces SiC va continuer à croître de 30% par an, porté par la transition vers le marché automobile. »
Un véhicule électrique requiert en moyenne deux fois plus de semi-conducteurs que l'un de ses homologues à essence. À mesure que ceux-ci gagnent des parts de marché, l'appétence des constructeurs pour les semi-conducteurs, déjà insatiable, ne va faire que s'accroître.
Bosch, fleuron européen des semi-conducteurs ?
Dans ce contexte, ce nouvel investissement va permettre au groupe allemand, qui produit des puces pour ses propres besoins, et pour d'autres entreprises, de répondre à la demande croissante de ses clients et de renforcer sa chaîne de valeur.
« Bosch vend plus d'une vingtaine de puces différentes à des constructeurs automobiles tiers. La diversification depuis l'Allemagne vers la Californie semble ainsi une stratégie raisonnable. Les 10.000 mètres carrés de Roseville vont aider le groupe à répondre à la demande de ses clients et à accroître la stabilité de ses différents secteurs d'activité », analyse Ambrose Conroy.
Selon l'expert, les ambitions du groupe allemand sont à suivre de près. « Bosch est un fabricant de puces de niche, mais il compte parmi les fabricants stratégiques européens. Leur importance peut être comparée à celle d'Intel, Infineon, STMicroelectronics et Global Foundries. Bosch est idéalement positionné, avec une chaîne de valeur complète autour de l'électronique. L'ajout des capacités de TSI Semiconductor va lui permettre de capitaliser sur la demande croissante de puces émanant du marché automobile, d'améliorer leur expertise autour des semi-conducteurs ainsi que d'établir une présence sur le marché stratégique nord-américain. »
Outre ces investissements sur le sol américain, Bosch a annoncé l'été dernier qu'il allait investir 3 milliards d'euros supplémentaires dans son activité de semi-conducteurs sur le Vieux Continent. Au cours des dernières années, l'entreprise a investi de manière soutenue dans ce secteur, en ouvrant par exemple un nouveau site de production à Dresde en juin 2021.
Le site de semi-conducteurs historique de Reutlingen est également progressivement étendu : jusqu'en 2025, Bosch va y investir environ 400 millions d'euros dans l'extension de sa capacité de fabrication. La surface des salles blanches devrait ainsi passer d'environ 35.000 à plus de 44.000 mètres carrés d'ici fin 2025, selon les prédictions de l'entreprise.
Récolter les fruits du CHIPs Act
Pour le groupe allemand, cet investissement stratégique aux États-Unis est aussi l'occasion de profiter du CHIPs Act, un ambitieux plan de revitalisation de l'industrie des semi-conducteurs américaine de 52 milliards de dollars. Signé par Joe Biden en août 2022, il prévoit notamment des subventions pour les entreprises produisant des puces sur le sol américain. Le processus permettant aux sociétés concernées de demander des subventions a été ouvert début mars.
« Bosch a l'intention de demander un financement dans le cadre du CHIPs and Science Act. La portée totale de l'investissement prévu à Roseville dépendra fortement des opportunités de financement fédérales disponibles via le CHIPS and Science Act ainsi que des opportunités de développement économique au sein de l'État de Californie », confie ainsi Pascal Clerc, ajoutant que « la croissance en Amérique du Nord est un élément essentiel de la stratégie de croissance du groupe. »
D'autres entreprises des semi-conducteurs devraient également bénéficier du passage du CHIPs Act. Intel, qui construit actuellement une usine dans l'Ohio et agrandit ses opérations en Arizona et au Nouveau-Mexique, pourrait toucher entre 10 et 15 milliards de dollars de subventions sur les cinq prochaines années. GlobalFoundries et Micron, deux autres fabricants, ont également annoncé des investissements dans des capacités de production aux États-Unis immédiatement après le passage du CHIPs Act.
La guerre du silicium
Outre les perspectives de croissance qu'offre le marché américain, la démarche de Bosch s'inscrit aussi dans une logique de découplage entre les blocs économiques. Les États-Unis s'efforcent depuis plusieurs années de réduire l'accès des entreprises chinoises aux semi-conducteurs les plus stratégiques, une démarche amorcée sous Donald Trump et poursuivie par son prédécesseur.
Après avoir convaincu les gouvernements japonais et néerlandais de leur emboîter le pas, les États-Unis semblent également avoir obtenu la coopération du gouvernement allemand. Celui-ci songe actuellement à limiter l'exportation vers la Chine de produits chimiques nécessaires à la production de semi-conducteurs. Dans ce contexte, Bosch s'efforce de se préparer à un monde fracturé, où la résilience des chaînes de valeur va devoir être repensée, selon Ambrose Conroy : « Dans le contexte actuel de guerre froide entre l'Occident et la Chine, Bosch s'efforce de diversifier sa production. Il s'agit de l'investissement le plus sûr qu'ils puissent faire dans la mesure où il va leur permettre de faire face à la hausse de la demande et ainsi se positionner comme l'une des entreprises leaders hors de Taïwan. »
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