« L’intelligence artificielle a un potentiel formidable, y compris pour réduire notre empreinte environnementale », Michaël Trabbia (Orange)

Michaël Trabbia est responsable de l’innovation d’Orange. Passé par le cabinet du Ministre délégué à l’Industrie, diplômé de Polytechnique et Telecom ParisTech, il est persuadé que la pédagogie et le débat sont les meilleurs moyens de convaincre les réfractaires au progrès technique. À condition de s’assurer que l’éthique est bien respectée dans les technologies sensibles comme l’intelligence artificielle. (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°7 Décembre 2021)
(Crédits : DR)

L'innovation est une notion parfois difficile à cerner. Quelle est votre définition ?

Michaël Trabbia Pour moi, il s'agit d'apporter un service nouveau qui va permettre de simplifier ou d'enrichir la vie des utilisateurs. Ce type de services est très présent dans l'industrie du numérique. Dans un monde menacé par le dérèglement climatique, l'industrie du numérique peut-elle s'affranchir d'une réflexion sur son empreinte carbone ? Chez Orange, nous plaidons pour une innovation à impact positif, pour l'usager comme pour la société. Le bitcoin est un bon exemple. II y a un vrai sujet sur la consommation énergétique de cette technologie (estimée à 115 TWh, soit plus que les Pays-Bas, ndlr). C'est un point que l'on ne peut ignorer. L'innovation doit être bénéfique pour l'utilisateur, mais dans le cadre d'une démarche soutenable.

Quels sont les exemples de technologies qui peuvent aider à lutter contre les émissions de GES (gaz à effet de serre) ?

M.T. Le numérique, en nous permettant de communiquer à distance, a permis de limiter les déplacements. Nous sommes passés de la lettre manuscrite au téléphone, puis au courriel et maintenant aux outils de communication collaborative. Nous avons vu en cette période de Covid que le numérique nous a donné la possibilité de continuer à travailler en étant confinés. Si nous sommes capables d'ajouter un ou deux jours de travail à distance pour la moitié des salariés dans le monde, nous aurons un impact énorme dans la limitation des émissions de CO2. Autre exemple : le bâtiment. Avec les objets connectés, il est possible de faire baisser de 20 % à 30 % la consommation d'énergie. L'optimisation de la logistique avec de l'IA est un autre élément important de cette baisse des émissions de GES. Si vous avez des conteneurs de déchets connectés qui peuvent alerter lorsqu'ils sont pleins, vous minimisez les trajets de collecte. Le digital a cela de formidable que c'est un outil puissant d'optimisation. Prenons les réseaux ferroviaires, de transport d'électricité, de distribution d'eau. Dès lors que vous y placez des capteurs, vous optimisez la maintenance, du point de vue de la sécurité et de la consommation d'énergie. Sans oublier les gains en termes de perte énergétique ou de gaspillage d'eau.

Certains avancent que le progrès technologique peut résoudre tous les défis qui sont devant nous. Est-ce aussi simple que ça ?

M.T. Non, bien sûr. Mon avis est que l'innovation technique est nécessaire. Nous en avons absolument besoin pour remplir nos objectifs notamment ceux de l'Accord de Paris (contenir le réchauffement à +1,5 ° à l'horizon 2050, ndlr). Refuser l'innovation, c'est être certain de ne pas y arriver. Pour autant, on ne peut pas considérer que la technologie est bénéfique par nature. Elle est ce que l'on en fait.

Une partie de la société semble de plus en plus réticente face aux innovations techniques : la 5G, l'IA, les compteurs Linky. Comment réconcilier ces sceptiques, parfois virulents, avec le progrès et la technologie ?

M.T. Il existe des interrogations dans la société que l'on ne peut balayer et des dérives potentielles qu'il faut intégrer. Mais ce n'est pas parce qu'il y a un risque, réel ou fantasmé, que l'on peut se passer des bénéfices de l'innovation. Un risque, ça se gère. Il faut arriver à un équilibre, parfois difficile à obtenir.

Comment rassurer ces anti-progrès : par la pédagogie ? le débat ?

M.T. Il existe effectivement une demande forte de débat. La technologie ne doit pas être réservée aux chercheurs et aux ingénieurs. Il faut faire entrer dans le débat public d'autres points de vue. Nous travaillons actuellement sur la 6G, la technologie de la prochaine décennie, à travers notamment le projet de recherche Hexa-X de l'Union européenne (avec Atos et le CEA, ndlr). La première question que l'on se pose est : à quoi cela va servir ? Quel est l'objectif ? Ce n'est pas forcément d'avoir plus de débit ou de vitesse, mais de travailler sur la résilience, la sécurité, l'impact environnemental de bout en bout. On a souvent tendance à découper les choses et à optimiser chaque élément. Or, l'important est d'optimiser globalement. Par exemple, si un réseau consomme un peu plus d'énergie, mais que cela augmente la durée de vie des batteries des objets connectés de 20 %, vous aurez un bilan environnemental positif car ils fonctionneront plus longtemps. En effet, il est prouvé que l'empreinte carbone est beaucoup plus forte pour la fabrication des équipements que pour leur usage. Nous plaidons pour que nous puissions associer la société civile aux objectifs de la 6G. La première réponse est donc plus de démocratie et de débat.

Quelles sont les autres réponses à cette méfiance ?

M.T. La deuxième, c'est de partir de bases scientifiques et de tester. C'est essentiel pour détecter les dérives potentielles. Quand on parle d'IA, on en voit bien les bénéfices pour nous simplifier la vie. Par exemple, une traduction instantanée quand on discute avec un interlocuteur étranger. Dans le domaine de l'entreprise, cette technologie va nous aider à améliorer nos process, faire du contrôle de qualité sur une chaîne de production, etc. Mais, simultanément, l'IA peut produire des biais négatifs en matière d'inclusion, de diversité. Chez Orange, nous avons mis en place un Conseil d'éthique de la Data et de l'IA de 11 personnalités indépendantes présidé par notre P-DG Stéphane Richard. Il a pour objectif de s'assurer que les systèmes à base d'IA développés par le groupe ont bien intégré dès leur conception des principes de non-discrimination et d'équité, ou encore qu'ils ne présentent pas de risques d'atteinte à la vie privée. On voit dans certains pays des intentions d'utiliser ces outils de manière coercitive, qui ne sont pas conformes à nos valeurs. L'IA a un potentiel formidable, y compris pour réduire notre empreinte environnementale. Mais il faut pouvoir prévenir les dérives possibles. Sinon, il y a un risque de perte de confiance dans la population.

Comment redorer le blason de l'innovation technique ?

M.T. Il faut d'abord s'intéresser aux causes de ce phénomène. Certains sont devenus anti-tout : 5G, OGM, vaccin, nucléaire, éolien. Heureusement, c'est une minorité. La France est en pointe dans ce phénomène de défiance qui est beaucoup moins présent dans les sociétés en croissance, en Afrique, en Asie ou en Amérique du Sud. Là-bas, les innovations sont vues positivement, car les gens sont convaincus qu'elles vont contribuer à améliorer leur vie. Il faut aussi éviter le mépris en traitant ces gens de complotistes, car cela peut provoquer ce que j'appelle une fracture du progrès. En fait, la plupart sont juste inquiets. Surtout quand ils ne s'informent que sur les médias sociaux : le biais des algorithmes nous met en relation principalement avec des gens qui pensent comme nous. Il ne faut surtout pas hystériser le débat, car on ne va faire que renforcer ces oppositions qui peuvent même déboucher sur de la violence. Il faut absolument débattre sur la base d'études scientifiques et d'évaluations chiffrées. Et s'il y a besoin de corriger les effets d'une innovation, on le fera. Quand on se trouve face aux défis du dérèglement climatique, du vieillissement de la population, de la pauvreté et de la faim, impossible de dire : on ne va pas prendre le risque d'innover.

Restez-vous optimiste par rapport à l'acceptation du progrès technologique comme réponse aux enjeux de société ?

M.T. Oui, c'est une conviction profonde. Mais cela ne se fait pas tout seul. Cela nécessite un débat démocratique et une mobilisation collective. Les enjeux vitaux sont les mêmes partout sur la planète. Je reste confiant sur notre capacité à les affronter grâce à l'innovation.

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Cet article est extrait de "T" La Revue de La Tribune n°7 - DOIT-ON CROIRE AU PROGRES? Décembre 2021 - Découvrez sa version papier disponible en kiosque et sur notre boutique en ligne.

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Commentaires 3
à écrit le 14/02/2022 à 11:03
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Le potentiel de l'intelligence artificielle ou la propagande commerciale de ceux qui ont oublié leur cerveau dans le Cloud...

à écrit le 13/02/2022 à 10:48
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Il est étonnant que l'on veuille nous imposer l'I.A. a coup publicitaire!! Alors que cela aurait pu être diffuser en catimini! Voudrait on attirer des "pigeons" que l'on ne si prendrait autrement!

à écrit le 13/02/2022 à 10:16
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Oui mais si jamais ils inventaient une IA il l'a forcerait à ce qu'elle leur fasse gagner toujours plus toujours plus vite à ceux qui possèdent et détruisent le monde en ronflant, faisant que logiquement elle refusera et ils nous la remplaceront par ...

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