La déferlante de l’intelligence artificielle, entre promesses et dangers

Un an après l’irruption de ChatGPT, l’intelligence artificielle générative s’installe dans les usages quotidiens et son déploiement en entreprise s’accélère. Porteuse d’espoirs et d’opportunités, mais aussi de craintes, l’IA est-elle une arme à double tranchant ? Qu’a-t-elle d’ores et déjà provoqué ? Comment bouleversera-t-elle notre économie et notre société ? Peut-elle, en fait, nous échapper ? Les experts conviés au forum Artificial Intelligence Marseille (AIM), organisé par La Tribune, ont décrypté les enjeux de cette révolution en marche.
Les experts conviés au forum Artificial Intelligence Marseille (AIM), organisé par La Tribune, ont décrypté les enjeux de la révolution de l'intelligence artificielle.
Les experts conviés au forum Artificial Intelligence Marseille (AIM), organisé par La Tribune, ont décrypté les enjeux de la révolution de l'intelligence artificielle. (Crédits : J3G)

C'était le 30 novembre 2022 : la pépite californienne OpenAI lançait ChatGPT, un chatbot d'intelligence artificielle (IA) générative s'appuyant sur des données massives et capable de générer, non sans erreurs, des résumés de textes, des lignes de code informatique, des dissertations, des scénarios de films... De quoi inciter, depuis, des millions de personnes à l'utiliser et démocratiser par là même l'usage de l'intelligence artificielle, ce qui apparaissait jusqu'ici comme une perspective lointaine.

Au-delà des individus, les entreprises et leurs salariés sont désormais en passe de se l'approprier. A titre d'exemple, au sein du groupe La Poste, où l'IA se met en place depuis déjà plusieurs années, l'arrivée de sa forme générative a suscité « énormément de questionnements et de demandes de sensibilisation de la part des collaborateurs », témoigne Pierre-Etienne Bardin, chief data officer du groupe. D'où des séances d'acculturation pour démystifier le sujet et former quelque 2.000 personnes intéressées. Pour l'heure, l'objectif de La Poste est de « simplifier l'accès et d'aider [les] équipes commerciales, RH et achats à naviguer dans l'énorme documentation et la base de données du groupe », assure ce CDO. Mais aussi de positionner ses propres solutions sur le marché. En effet, La Poste a créé une IA générative dans le domaine des données de santé. Le tout passé au crible de la charte de confiance IA, dont s'est dotée cette entreprise à mission dans sa conquête d'une IA éthique et souveraine.

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Levier de prospérité

Au-delà de ses applications concrètes, l'IA générative pose des défis inédits... et réveille des peurs, au point d'avoir motivé, dans la foulée de sa percée, certains experts et même, des inventeurs de l'IA à tirer la sonnette d'alarme sur les risques pour l'humanité.

« Nous sommes montés dans un véhicule qui va de plus en plus vite et dont on ne sait pas où il va », s'exclame Rafik Smati, président du think tank Objectif France.

Mais il se veut optimiste. L'IA va-t-elle supprimer des emplois ou en créer des nouveaux ? « Les pays les plus robotisés sont ceux où le chômage est le plus faible », relève-t-il. Par ailleurs, l'IA pourrait être « à l'origine d'un bond spectaculaire de l'espérance de vie », avance-t-il. Grâce aux progrès réalisés en matière de détection de problèmes de santé, notamment.

Sans oublier que pour le Vieux continent qui a raté le virage de l'Internet, celui des moteurs de recherche et encore celui des réseaux sociaux, l'IA est « une opportunité majeure », assure-t-il. En somme, « l'IA, bien accompagnée, peut être un levier de prospérité pour l'Europe et la France - à condition de se poser les bonnes questions. »

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Impact radical sur l'école

Or, celles-ci sont nombreuses. Exemple : comment l'éducation sera-t-elle affectée ? « Nous entrons dans un monde où nos enfants seront en compétition avec les IA. Dès lors, le rôle de l'école est de créer des conditions pour qu'ils puissent rivaliser », affirme Rafik Smati. Ce qui passe par des capacités d'appréhension de la complexité et donc par les mathématiques. De même, il s'agit de pouvoir formaliser, exprimer et partager cette complexité en français.

Même son de cloche via la philosophie, renchérit Emmanuel Goffi, directeur des études à la Human Technology Foundation. A condition de rendre son enseignement « plus sexy ». Et la mettre en pratique, en l'appliquant à l'IA, argumente cet éthicien. Qui tempère : « Je ne pense pas que nous soyons en concurrence avec l'intelligence artificielle. Il faut apprendre à vivre avec, limiter les impacts négatifs et valoriser les impacts positifs. »

Un marteau pour construire - ou détruire

Un avis que ne partage pas l'écrivain et philosophe Eric Sadin. Pour lui, l'équation actuelle, entre les avantages et les risques, est mal posée.

« Ce que nous avons vécu depuis un an est un séisme culturel, social et civilisationnel. Nous vivons un tournant intellectuel et créatif de l'IA, puisque des systèmes vont pouvoir réaliser des tâches qui, jusqu'ici, mobilisaient nos facultés intellectuelles et créatives, lesquelles nous constituent en propre », martèle-t-il, en proposant une nouvelle équation, entre « là où nous avons la main et là où nous ne l'avons pas », dit-il.

« L'IA, c'est comme un marteau. Cela peut servir à détruire ou à construire », tranche de son côté l'économiste et auteur, Jacques Attali. Car, in fine, l'IA est un outil et renvoie à la question : « Que fait-on pour choisir le meilleur usage ? », interroge-t-il. Tout l'enjeu est de consacrer cette technologie à « l'économie de la vie », poursuit-il, en améliorant la santé, l'éducation ou la gestion d'eau, comme le font d'ailleurs d'ores et déjà de nombreuses startups, et non à « l'économie de la mort », dont les énergies fossiles, résume cet actionnaire de la jeune pousse tricolore Mistral AI.

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Seule certitude, tandis que les conférences dévolues à sa réglementation se multiplient, l'IA accélère à toute allure. Capacité à fabriquer des images en parlant, arrivée dans les smartphones avant d'embarquer dans les lunettes intelligentes... - en attendant l'étape d'après, celle de l'IA générale, qui égalera les capacités cognitives des humains. « Cela viendra », croit savoir Jacques Attali. Jusqu'où ira l'IA ? Peut-elle nous échapper ?

« Le grand danger de l'IA, c'est qu'elle soit capable de prévoir les réactions des humains et d'agir pour que les humains ne puissent pas lui nuire », répond-t-il. Autre risque, « l'interaction entre l'intelligence artificielle et la génétique est monstrueusement dangereuse... et profitable », prévient l'auteur de « Bienheureux soit notre monde », un roman dystopique qui vient de sortir en librairies.

D'où l'importance fondamentale du débat sur les bienfaits et les nuisances, la nécessité de compétences accrues en IA de la part des autorités réglementaires et de la transparence de la programmation des algorithmes, conclut l'économiste.

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Commentaires 2
à écrit le 29/11/2023 à 9:26
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Pour gérer l'IA il n'y a que de l'IN (intelligence naturelle) mais depuis le temps que les propriétaires de capitaux et d'outils de production l'ont éradiqué de leurs rangs cette IN parce que leur empêchant de gagner et détruire toujours plus, il est...

à écrit le 28/11/2023 à 12:07
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Imaginez le jour où, définitivement, on ne pourra pas faire de différence entre le réel et le virtuel dans les images consultées, les voix enregistrées ! Pourquoi pensez vous que la production "d'image" fut interdite dans certaine religion? ;-)

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