Microsoft, le grand gagnant du séisme qui secoue OpenAI (ChatGPT)

Après avoir été éjecté à la surprise générale d'OpenAI vendredi, quasiment réintégré samedi, puis renvoyé dimanche, Sam Altman, le fondateur et directeur général de l'entreprise qui a lancé ChatGPT, a été recruté par Microsoft ce lundi pour diriger une nouvelle branche de recherche dans l'IA. Chez OpenAI, 605 des 770 employés (!) menacent de démissionner si le dirigeant charismatique n'est pas réintégré. Surpris et fragilisé au début, Microsoft semble réussir l'exploit de tirer le meilleur de cette débâcle.
Sylvain Rolland
Satya Nadella, le Pdg de Microsoft.

Assiste-t-on depuis vendredi soir à l'auto-destruction d'OpenAI, la startup la plus en vue du moment, à quelques jours du premier anniversaire de son service phare, ChatGPT ? Vendredi soir, à la surprise générale, le conseil d'administration de la pépite de l'intelligence artificielle générative a renvoyé son fondateur et directeur général, Sam Altman, avec effet immédiat. La raison évoquée : un manque de « franchise » et de « transparence » de l'entrepreneur envers le conseil d'administration... mais pas plus de détails.

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Putsch du conseil d'administration d'OpenAI

La nouvelle a fait l'effet d'une déflagration. Car il s'agit ni plus ni moins d'un putsch du conseil d'administration : ni les employés, ni Microsoft, qui détient pourtant 49% du capital d'OpenAI et y a injecté plus de 13 milliards de dollars depuis 2019, ni les autres investisseurs de la startup, n'ont été consultés avant que le conseil décide d'actionner la guillotine.

Cette anomalie s'explique par le fait qu'OpenAI a été lancé en 2015 en étant que laboratoire de recherche à but non lucratif. De fait, son conseil d'administration réunit uniquement trois des cofondateurs et trois chercheurs très attachés à la mission originelle d'OpenAI, c'est-à-dire « la recherche en IA au service du bien commun ». La composition du board n'a quasiment pas bougé avec le temps, en partie à cause de la volonté de contrôle total de Sam Altman, nouveau gourou charismatique de la Silicon Valley. Ainsi, malgré la transformation d'OpenAI en entreprise en 2018, et les énormes investissements de Microsoft et du fonds américain Sequoia pour la développer, ces derniers n'ont obtenu ni siège au conseil ni droit de consultation ou de véto sur ses décisions.

« S'associer à la startup la plus en pointe dans l'IA générative était tellement important pour Microsoft qu'ils ont accepté d'injecter 13 milliards de dollars sans avoir le moindre contrôle en termes de gouvernance. C'est une erreur majeure, une aberration dans le monde économique. Le renversement de Sam Altman n'aurait pas été possible dans une entreprise normale », estime Stéphane Roder, le Pdg et fondateur d'AI Builders, cabinet de conseil indépendant spécialisé en IA.

Sonné et fragilisé - le cours de Bourse de Microsoft a plongé de 2% dans les échanges post-clôture vendredi soir -, Satya Nadella, le Pdg du géant des logiciels et du cloud, a tout tenté dans la journée de samedi pour sauver la tête de Sam Altman. Il a été aidé par les dizaines de messages de salariés soutenant leur ancien patron, et surtout par la démission fracassante du numéro 2 de l'entreprise, le cofondateur Greg Brockman, suivie par celle de certains ingénieurs et cadres clés d'OpenAI.

Sans succès : dimanche soir, OpenAI a confirmé l'éviction de Sam Altman et annoncé la nomination d'Emmett Shear, ancien directeur général de la plateforme de streaming de jeux vidéo Twitch. Le nouveau patron est connu pour sa volonté de ralentir le développement de l'intelligence artificielle, qu'il estime être une menace pour l'humanité. En cela, il est davantage en phase avec le conseil d'administration d'OpenAI, qui fustigeait le tournant commercial opéré depuis 2019, et encore plus depuis le lancement de ChatGPT fin 2022. Début novembre, lors d'une conférence d'OpenAI dédiée essentiellement au lancement de nouveaux produits, Sam Altman était apparu aux côtés de Microsoft sur scène, actant la fausse indépendance de la startup et provoquant du mécontentement en interne.

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La révolte des salariés

Mais les jeux ne semblent pas encore faits. Lundi matin, Microsoft a repris la main en annonçant le recrutement de Sam Altman et de Greg Brockman. Le premier est nommé Pdg d'une nouvelle équipe de recherche en IA. Tout indique que Microsoft a déroulé le tapis rouge pour s'assurer que le visage de ChatGPT, dont la technologie irrigue tous les produits de Microsoft, ne soit débauché par la concurrence, Google et Amazon en tête.

« Nous avons appris comment donner de l'espace aux fondateurs de startups et aux innovateurs, pour qu'ils créent des entités et des cultures indépendantes au sein de Microsoft », a déclaré Satya Nadella sur X, en citant les success-story de GitHub, Mojang Studios et LinkedIn, tous trois rachetés et fortement développés par Microsoft au sein de structures indépendantes.

Depuis, d'autres chercheurs en IA de premier plan ont quitté le navire OpenAI. Parmi eux figure Jakub Pachocki, qui avait fait partie des principaux cerveaux derrière le développement de GPT4, le dernier modèle de traitement du langage d'OpenAI et actuellement le plus avancé du marché. Mais aussi Szymon Sidor, qui travaillait sur l'intelligence artificielle générale (AGI), ou encore Aleksander Madry, directeur d'une unité de recherche dédiée aux risques de l'IA. La directrice technique d'OpenAI, Mira Murati, annoncée vendredi soir comme Pdg par intérim avant la nomination d'Emmett Shear, a de son côté affiché publiquement son soutien à Sam Altman, comme des dizaines d'autres cadres.

Parallèlement chez OpenAI, la débâcle ne cesse de s'aggraver. Lundi après-midi, ce sont pas moins de 500, puis 605 employés sur les 770 de l'entreprise, qui ont adressé un ultimatum au conseil d'administration. Ils exigent fissa sa démission et la réinstallation de Sam Altman à la tête de la startup, sous peine d'une démission massive qui pourrait carrément provoquer la chute d'OpenAI.

La crise est telle que Ilya Sutskever, le chef scientifique d'OpenAI considéré comme l'artisan du renvoi de Sam Altman, a confirmé au média en ligne Techcrunch rejoindre lui aussi Microsoft ! Dans la foulée, il a publié ses regrets sur X. « Je regrette profondément mon rôle dans les actions du conseil d'administration. Je n'ai jamais eu l'intention de faire du mal à OpenAI et je ferai tout pour réunifier l'entreprise », a-t-il tweeté. Or, d'après plusieurs médias américains, ce chercheur membre du conseil d'administration de l'entreprise est celui qui a convaincu ses collègues que le leadership « imprudent et cupide » de Sam Altman menaçait la raison d'être d'OpenAI, et que la course à l'intelligence artificielle générale ne pouvait se mener dans ces conditions...

Le « coup de génie » de Microsoft

D'abord fragilisé, Microsoft a vite rebondi et tente de récupérer le maximum de salariés qui quittent OpenAI. Et peu importe le coût. Le site The Information estime que des dizaines de personnes ont annoncé leur départ lundi. « Dans le fond, la crise chez OpenAI est désastreuse pour Microsoft car elle montre que la startup lui échappe totalement et c'est extrêmement préoccupant en termes de gestion. L'effondrement d'OpenAI ou le débauchage de ses employés par la concurrence lui causeraient beaucoup de tort. Par contre, la réaction spectaculaire de Satya Nadella de récupérer directement les talents est un véritable coup de génie », poursuit Stéphane Roder.

Effectivement, OpenAI jouit actuellement d'une avance technologique vis-à-vis de la concurrence, et d'une prime au premier vis-à-vis du marché. Mais « les talents sont la clé dans la bataille de l'intelligence artificielle », confirme Ghislain de Pierrefeu, analyste chez Wavestone. « Le marché en est à ses balbutiements et la technologie évolue tellement vite qu'avoir les meilleurs talents est primordial » ajoute-t-il.

La crise chez OpenAI pourrait-elle être un mal pour un bien pour Microsoft ? « Elle lui permet en tout cas de réinternaliser une partie des compétences en IA dont il a besoin, même si cela se fait dans le chaos », répond l'analyste. Et cela coûte moins cher que racheter OpenAI, le tout sans avoir besoin de la validation des autorités de la concurrence... Visiblement, le marché semble approuver. Dans les échanges avant l'ouverture de la Bourse ce lundi, la valeur de l'action Microsoft rebondissait de quasiment 5 points.

Microsoft bien placé quoi qu'il arrive ?

Au vu du rythme frénétique des rebondissements depuis vendredi soir, impossible de prévoir comment la situation va évoluer dans les prochaines heures ou jours.

Reste deux scénarios. Si la crise à OpenAI se résout avec la réintégration de Sam Altman et la démission du conseil d'administration, Microsoft sera gagnant car il pourra certainement, cette fois, obtenir un réel pouvoir dans la nouvelle gouvernance de l'entreprise.

Au contraire, si OpenAI se vide de ses effectifs et devient une coquille vide, Microsoft aura perdu beaucoup d'argent, mais rien de dramatique pour un groupe valorisé 2.800 milliards de dollars et doté d'une puissance financière quasi-inégalée dans le monde. Le chaos provoqué ralentirait toutefois l'innovation dans l'intelligence artificielle générative et offrirait un momentum aux concurrents avec l'opportunité de rattraper leur retard, mais Microsoft ne sortirait pas du jeu, comme l'explique l'analyste Xiaodong Bao, du cabinet Edmond de Rothschild Asset Management :

« Microsoft fournit déjà l'infrastructure cloud d'OpenAI qui est intégralement hébergée sur Azure, et ils ont signé un partenariat de long terme pour exploiter la technologie. De plus, la plus grande partie des clients d'OpenAI vient de Microsoft car ceux-ci souscrivent via le cloud et via les services comme Copilot. Dans ce contexte, si Microsoft récupère en plus les meilleurs de l'équipe technique et de la R&D d'OpenAI, au final ils se renforcent », décrypte-t-il.

Pour cet expert, le grand perdant de ce scénario pourrait être... Nvidia, le numéro un mondial des puces d'intelligence artificielle. « Sam Altman était en train de chercher un financement saoudien pour sa nouvelle startup de puces d'IA, ce qui est aussi l'une des raisons de la discorde avec le conseil d'administration d'OpenAI », indique-t-il. Or, son deal avec Microsoft inclut certainement le financement de ce projet. Il contribuerait de plus à l'indépendance et à la souveraineté technologique des Etats-Unis, conformément à l'objectif fixé par la Maison-Blanche de centraliser le développement de l'intelligence artificielle.

Sylvain Rolland

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Commentaires 6
à écrit le 21/11/2023 à 8:30
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Tout ce théâtre ne donne pas confiance en chatgpt bidule truc chouette ni en Microsoft …. A fuir !! Perso je n utiliserai jamais cet hydre … dont on ne sait qui prendra les rênes .. il y a assez de manipulations sur le net pas besoin d en rajouter ...

le 21/11/2023 à 9:06
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Oui mais c'est pas quelqu'un qui ne l'utilise pas, qui ne le connait pas, qui pourra convaincre quelqu'un qui l'utilise. "il y a assez de manipulations sur le net pas besoin d en rajouter !" Afin d'être en mesure de rivaliser avec leur deep learning ...

à écrit le 21/11/2023 à 7:24
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Pas de clause de non concurrence donc ? Étrange pour un domaine tellement compétitif non ?

à écrit le 20/11/2023 à 20:54
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diviser pour mieux regner, certes, sinon on est plus proche des marches contestables de baumal panzar et willig.........donc c'est extremement dangereux de jouer avec le feu, surtout vu les resultats operationnels

à écrit le 20/11/2023 à 19:16
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Quand il y a de la monnaie dans des "comptes offshore" qui ne savent pas où se jouer, ils vont vers la nouveauté, ce qui ne prouve rien sur l'efficience mais recrute des pigeons ! ;-)

à écrit le 20/11/2023 à 19:15
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Quand il y a de la monnaie dans des "comptes offshore" qui savent pas où se jouer, ils vont vers la nouveauté, ce qui ne prouve rien sur l'efficience mais recrute des pigeons ! ;-)

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