"2050" de Marie Ekeland : le premier fonds d'investissement tech qui s'inspire de la fondation d'intérêt public

"2050", le nouveau projet de l'investisseuse Marie Ekeland, est un véritable coup de pied dans la fourmilière des fonds d'investissement. Sa structure hybride -le fonds est détenu à 100% par un fonds de pérennité- à mi-chemin entre le fonds de placement et la fondation d'intérêt public, ambitionne de repousser les limites du financement de la "tech for good", confrontée aux contradictions entre la logique financière de court-terme et la volonté d'impact de long terme. Explications.
Sylvain Rolland
L'équipe du nouveau projet de Marie Ekeland (4è en partant de la gauche), intitulé 2050.
L'équipe du nouveau projet de Marie Ekeland (4è en partant de la gauche), intitulé 2050. (Crédits : DR)

Comment réconcilier la logique financière et souvent court-termiste de l'investissement dans les startups, dominé par l'impératif d'hyper-croissance et de retour sur investissement, avec le financement de la "tech for good", c'est-à-dire les startups moins portées sur la performance financière que sur l'impact ? Pour beaucoup, ces deux impératifs sont difficilement conciliables. L'investisseuse Marie Ekeland, connue pour avoir repéré l'un des plus grands succès à date de la French Tech, Criteo, et pour avoir cofondé le fonds Daphni, pense avoir trouvé une solution avec son nouveau projet, intitulé "2050".

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Détenu à 100% par un "fonds de pérennité", un nouveau statut d'entreprise inspiré de la fondation d'intérêt général

Daphni était déjà une "mutation" du métier d'investisseur avec sa plateforme collaborative et ses codes empruntés aux startups. Mais 2050 va "beaucoup plus loin" affirme Marie Ekeland, qui estime que l'hyper-croissance finit par détourner les startups de leurs objectifs premiers d'impact, et les "désaligner" de leurs valeurs. L'exemple le plus parlant ? Netflix, qui a supprimé le modèle publicitaire de la télévision et s'est affirmé comme eldorado artistique pour les créateurs, mais qui désormais annule des séries à la pelle et assume vouloir rendre ses clients dépendants du "binge-watching".

L'objectif de 2050 est donc "d'aligner les intérêts économiques des entreprises et des investisseurs, c'est-à-dire le temps court, avec ceux de la société et de la planète, le temps long, afin que les trois se renforcent au fil du temps", décline Marie Ekeland. Comment ? En changeant la nature même du fonds d'investissement. 2050 se conçoit comme la "première société d'investissement sans actionnaire", car son fonds est détenu à 100% par un fonds de pérennité, conformément au nouveau statut d'entreprise créé en 2019 par la loi Pacte.

"Ce modèle d'entreprise s'inspire de la fondation dans le sens où il privilégie la mission d'intérêt général, mais le but n'est pas philanthropique puisqu'il s'agit tout de même d'investir dans des startups et de créer de la valeur", précise la cofondatrice de France Digitale.

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Fonds evergreen de 99 ans pour financer des startups à impact dans tous les domaines

Cette stratégie inédite d'investissement repose sur deux piliers : le financement de startups à impact sur le temps long, et le financement d'actifs communs stratégiques, sans but lucratif direct.

La thèse d'investissement de 2050 est de soutenir des entrepreneurs qui proposent un "futur fertile", c'est-à-dire des solutions destinées à la fois à nourrir les hommes physiquement et intellectuellement, et aussi à créer des richesses pour tous. Concrètement, les futurs investissements du fonds entreront dans cinq grandes thématiques : l'alimentation, la santé ("des modèles préventifs et personnalisés plutôt que curatifs", précise Marie Ekeland), l'éducation et la culture, la "vie durable" (habitat, transport, énergie propres), et la "tranquillité d'esprit" (les protections données par les assurtech, les fintech, les regtech ou encore la cybersécurité).

Ce périmètre d'action très large nécessite beaucoup de moyens financiers et humains. 2050 prévoit de lever entre 100 et 150 millions d'euros par an, auprès de family offices, de business angels et d'investisseurs institutionnels, afin d'investir plus d'un milliard d'euros d'ici à 2030. La première tranche, d'un montant espéré de 150 millions d'euros, devrait être clôturée d'ici à la fin du mois de décembre. Dans l'attente de l'agrément AMF, dont la demande est "en cours", 2050 a créé une structure de portage qui abrite ses premiers investissements, dont une participation dans la levée de 53 millions d'euros de la pépite Withings, reconvertie dans la e-santé.

Des recrutements d'investisseurs sont en cours pour compléter l'équipe de six cofondateurs, qui se compose de Marie Ekeland (ex Elaia et Daphni), Anne-Lise Bance (issue du monde des entreprises à mission), Aicha Ben Dhia (ancienne d'Elaia et du fonds sénégalais Afig Funds), Charly Berthet (enseignant à Science Po et ancien conseiller de l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information -ANSSI), Aude Duprat (la directrice générale, ancienne négociatrice en immobilier), et l'étudiante Meyha Camara.

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Développer des "communs stratégiques" pour les entreprises du portefeuille et la société

La dernière innovation de 2050 est l'accent porté sur le développement de "communs stratégiques", à but non lucratif, destinés potentiellement à toutes les entreprises du portefeuille et au-delà, mais qui peuvent être développés par une seule. 10% des souscriptions au fonds, et 50% des commissions de performance, seront destinés à leur développement.

Marie Ekeland identifie trois priorités. La première est la "recherche mutualisée", "pour pouvoir faire avancer des sujets transverses comme le green coding, ou les indicateurs de performance environnementale". La deuxième est le "savoir partagé", à l'image de la co-construction du cours sur "Les enjeux écologiques du XXIe siècle" de l'Université Paris Dauphine, placé sous licence libre, ou du soutien apporté au film à impact Bigger than us qui fait émerger de jeunes role models alignés. Enfin, la troisième regroupe les "infrastructures communes", pour partager des outils en open source par exemple, ou encore des services et des actions comme la mise en place d'une structure d'inclusion médicale par Banlieues santé, ou la création de l'association Intérêt à Agir, fondée par des professeurs de droit, des juristes et des avocats avec l'objectif de protéger les biens communs par le droit.

Pour façonner son modèle de fonds hybride, identifier ces communs et créer un référentiel mesurant "l'alignement" des entreprises, Marie Ekeland et son équipe ont étudié les bonnes pratiques d'entreprises pionnières comme Novo Nordisk, Bosch ou Kickstarter sur la sécurisation de leur mission à long terme, Backmarket ou Phenix sur l'alignement de leur modèle économique avec une consommation responsable, Stripe ou Microsoft sur leurs engagements de réduction et de compensation de leurs émissions de carbone, Alan sur son modèle de partage transparent de la valeur, Wikipedia et Linux sur la puissance de l'intelligence collective, ou encore Tesla sur sa stratégie ouverte de brevets.

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Sylvain Rolland

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Commentaire 1
à écrit le 24/11/2020 à 18:42
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Ça sent la novlangue boboisante et méprisante en mode Macron. Au secours !! On n'en peut plus ... des gens meurent ... réellement, et pas que du covid !

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