Pour savoir comment se porte la French Tech, regardez les bilans financiers de ses startups, plutôt que le mirage des levées de fonds. C'est la méthode employée par la Banque de France, qui a publié le 4 octobre son étude annuelle sur la situation financière des startups en 2022. Alors que les montants des levées de fonds n'ont commencé à baisser en France qu'au premier trimestre 2023, en décalage avec la crise du financement qui avait débuté dès le premier semestre 2022 partout ailleurs, l'étude de la Banque de France révèle que les startups françaises ont, en réalité, absorbé le choc dès le milieu de l'année.
« Malgré le record de 13,5 milliards d'euros levés en 2022 et la progression continue du chiffre d'affaires des startups, qui révèlent surtout le poids grandissant du numérique dans l'économie, les bilans 2022 montrent qu'il y a eu un vrai coup de frein dès l'an dernier », indique Maurice Oms, le correspondant national Startup de la Banque de France.
Revenus et effectifs en nette hausse
Dans les faits, les comptes 2022 révèlent la réalité du marché : l'euphorie au premier semestre, la crise ensuite. Côté euphorie, les près de 2.500 startups françaises étudiées par la Banque de France - sélectionnées sur la base d'un chiffre d'affaires d'au moins 750.000 euros ou d'une levée de fonds d'au moins 3 millions d'euros - ont augmenté leurs revenus d'un quart en un an, pour un total de 21,7 milliards d'euros.
« Cette croissance de 25% des revenus pour les startups est deux fois plus importante que la moyenne des entreprises en France, et cette traction du marché est une vague de fond qui est amenée à se poursuivre en 2023 », souligne Maurice Oms.
Les effectifs des entreprises ont augmenté quasiment dans les mêmes proportions : +21%. Les 2.500 startups du panel, qui correspondent en fait aux pépites les plus matures - les startups au stade de l'amorçage, voire de la série A n'ont, pour la plupart, pas été éligibles en raison de chiffres d'affaires trop faibles pour entrer dans les standards d'études de la Banque de France - employaient 103.000 personnes fin 2022, contre 85.000 un an plus tôt. « C'est un plancher, car nous prenons uniquement en compte les emplois directs », précise Maurice Oms. La Mission French Tech estime que chaque emploi direct dans une startup créé cinq emplois indirects.
Enfin, l'explosion des levées de fonds en 2022 en France a permis aux startups de la French Tech d'augmenter leurs fonds propres de 4%.
Les pertes se creusent et la dette bancaire devient un recours
En revanche, l'évolution de la situation macroéconomique à partir de la mi-2022, caractérisée par la hausse des taux d'intérêts, la crise de l'énergie et la crise du financement de la tech, s'est traduit chez les startups par un creusement des pertes et un recours accru à la dette bancaire pour se financer.
« On constate que la trésorerie active a un peu diminué de 3%, alors que les capitaux propres augmentent légèrement de 4%. Cela signifie que les entreprises se sont développées grâce à l'argent levé auparavant, mais qu'elles sont dans une phase de "cash burn" sans forcément réussir à relever en 2022, d'où le début d'érosion de la trésorerie active, qui devrait s'accentuer en 2023 », analyse le spécialiste des startups à la Banque de France.
Par conséquent, si le tiers des startups du panel sont rentables en 2022 (37% sont à l'équilibre ou génèrent des bénéfices, pour un montant total de 0,9 milliard d'euros), les pertes se creusent pour les autres (à 4,6 milliards d'euros), et ce chiffre devrait encore augmenter en 2023. En variation annuelle, le résultat d'exploitation se creuse donc de 55%, passant de -2,4 milliards d'euros à -3,8 milliards d'euros, soit une perte représentant 17% du chiffre d'affaires 2022, contre 14% en 2021.
Enfin, la crise des levées de fonds, éclipsée en France en 2022 par une pluie de méga-levées au premier semestre, est tout de même perceptible dans les comptes via l'importance croissante du financement par la dette. En 2022, 5,4 milliards d'euros ont été alloués par les banques aux startups du panel, ainsi qu'1,1 milliard d'euros de dette obligataire (ou « bridge », un pont de financement en attendant une nouvelle levée via les fonds de capital-risque). 83% des startups ont recours à l'endettement, pour un montant médian de 703.000 euros, et 10% des startups mettent en place des bridge.
Les greentech et les startups du marketing digital tirent leur épingle du jeu
Dans le détail, les différents secteurs de la tech ne sont pas tous logés à la même enseigne. Les startups du marketing digital, les marketplaces et les pépites du e-commerce tirent leur épingle du jeu. Elles pèsent le quart des revenus de l'ensemble des startups.
« Ce sont les startups les plus grand public, donc avec le plus gros potentiel de revenus, puisque 42 millions de Français achètent sur Internet », ajoute Maurice Oms.
Parmi les gagnants de l'année, les greentech réalisent un chiffre d'affaires cumulé de 3,2 milliards d'euros, soit une progression de 40% sur un an. Mais ces résultats ont profité de la crise l'énergie, car ce sont surtout les pépites dans les énergies vertes qui ont vu leurs revenus augmenter le plus en raison des tensions sur les marchés mondiaux du pétrole et du gaz.
Enfin, les secteurs des ressources humaines, qui ont bénéficié de l'attrait pour les formations en ligne, du logiciel d'entreprise, qui contribuent à la transformation numérique de l'économie, ou du tourisme et des loisirs, qui ont confirmé une seconde année de croissance après le choc Covid, ont particulièrement progressé en 2022.
Très aidées par l'Etat, les deeptech dans l'industrie (robotique, semi-conducteurs, matériaux composites, nano-satellites...) ont également vu leurs revenus progresser de 28%. 2022 a également confirmé le potentiel des startups dans la mobilité (recharges de véhicules électriques, autopartage...), et dans l'alimentation.
Ainsi, malgré la crise du financement à partir du deuxième semestre 2022, le taux de sinistralité, c'est-à-dire la mort des startups, reste encore faible : seulement 13 des presque 2.500 startups du panel ont fait l'objet d'une procédure judiciaire. Mais le panel prend peu en compte les startups les plus fragiles, c'est-à-dire celles en amorçage et Série A. Et sur ces 13 faillites, 11 sont intervenues en 2023, dont 9 au deuxième trimestre...
Autrement dit, si le taux de sinistralité reste faible à 0,5%, son évolution indique qu'il risque de fortement augmenter en 2023, d'autant plus avec la raréfaction des grosses levées de fonds, qui vont inévitablement entraîner de la casse parmi les deux tiers des startups non-rentables, dont la moitié va épuiser son cash en 2023 et devra soit réussir à relever de l'argent malgré le contexte, soit se faire racheter, soit mourir.
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