Cruelle ironie du sort pour Back Market. La startup française spécialisée de l'électronique reconditionnée, et notamment des smartphones, aurait largement de quoi sortir le champagne : l'entreprise vient de réussir une méga-levée de fonds de 276 millions d'euros pour accélérer sa folle croissance en France et à l'international. Back Market atteint par la même occasion deux Graal pour toute startup : elle devient la 15è licorne française -startup valorisée au moins 1 milliard d'euros et non cotée en Bourse- et elle bat le record français des levées de fonds, détenu par Mirakl qui avait levé 257,8 millions d'euros en septembre 2020.
Mais point de fanfaronnade en vue pour ses trois cofondateurs, Vianney Vaute, Quentin Le Brouster et Thibaud Hug De Larauze. Dans un post de blog aux relents "doux amer" intitulé "Pourquoi on n'a pas tout à fait prévu de sortir le champagne", les entrepreneurs ironisent sur le côté "hors sol" et "déconnecté" de cette annonce au moment où le gouvernement menace, selon eux, l'activité de leurs reconditionneurs partenaires historiques, c'est-à-dire les entreprises, localisées sur tout le territoire, qui reconditionnent pour Back Market les produits vendus sur la plateforme pour leur donner une seconde vie.
La redevance sur les produits reconditionnés dans le viseur
Concrètement, le ministère de la Culture a imposé, dans le cadre du projet de loi sur l'environnement et le numérique, la mise en place une nouvelle taxe sur les produits électroniques reconditionnés. Il s'agit en fait d'étendre une mesure existante, la "redevance copie privée" qui s'applique déjà sur les appareils neufs pouvant stocker les œuvres culturelles comme les smartphones, les tablettes, les cartes mémoires, les clés USB ou encore les disques durs externes.
L'objectif ? Rémunérer auteurs, artistes et producteurs pour la libre copie, par les consommateurs, des contenus protégés par le droit d'auteur comme les films, la musique, les livres ou encore les photographies. Pour les partisans de cette redevance, il ne s'agit pas d'une taxe mais d'une compensation : la libre copie des œuvres sur des différents appareils nécessite de rétribuer différemment leurs créateurs. La redevance copie privée est en vigueur depuis 1985, et son montant peut varier de quelques centimes à plusieurs dizaines d'euros selon les appareils. Les smartphones représentent aujourd'hui presque les trois quarts des sommes récoltées.
Problème pour les ayant-droits : l'essor du reconditionné menace de diminuer ces revenus. 34% des Français ont déjà acheté un smartphone reconditionné d'après le Baromètre Recommerce 2021 réalisé par Kantar, et un smartphone sur dix vendu dans le monde est reconditionné. Le ministère de la Culture a donc étendu cette mesure aux produits reconditionnés dans le projet de loi Numérique et environnement. Le montant de cette redevance s'élèverait en moyenne à 14 euros pour l'achat d'un appareil reconditionné.
Menace sur la filière du "remade in France"
Cette décision a fait l'objet d'un grand lobbying et d'un bras de fer au sein du gouvernement, tranché par le Premier ministre, Jean Castex. Le ministère de l'Economie et celui de la Transition Ecologique se sont opposés au projet du ministère de la Culture, mais n'ont pas eu le dernier mot. Leur principal argument : la taxe, répercutée sur le prix des appareils reconditionnés, serait une "double peine" pour le consommateur, puisqu'elle aurait déjà été payée une première fois sur l'achat du produit neuf.
D'après le SIRRMIET, le syndicat professionnel du secteur, la redevance copie privée "ferait augmenter le prix de vente des téléphones reconditionnés de plus de 10%". Un argument repris par Back Market :
"Condamner cette filière française du reconditionnement, c'est aussi attaquer frontalement le pouvoir d'achat des Français, au moment où il n'a jamais été aussi faible. Aujourd'hui à titre d'exemple, 40% des clients de Back Market sont dans des situations précaires", indique l'entreprise dans son communiqué.
Les cofondateurs déplorent également "l'ironie" de voir cette disposition "particulièrement dangereuse pour les acteurs du reconditionné" dans un paquet de loi "visant précisément à réduire l'impact du numérique sur l'environnement".
"Nous sommes une entreprise française et le succès de Back Market s'est construit en France, avec ces reconditionneurs français aujourd'hui menacés. Il est donc difficile pour nous de sabrer le champagne tant que l'on n'aura pas obtenu des engagements du gouvernement pour sécuriser (leur) modèle économique", ajoute Thibaud Hug de Larauze.
Fondée en 2014, la startup française compte 480 salariés répartis entre Paris, Bordeaux, New York et Berlin. L'entreprise est présente dans 13 pays dont la France, l'Allemagne, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Japon. Back Market avait levé 110 millions d'euros il y a un an, après une précédente opération de 41 millions d'euros en 2018, pour poursuivre son expansion internationale.
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