Dans l'univers impitoyable des réseaux sociaux, percer auprès du grand public relève de l'exploit. En dehors de l'empire Facebook (qui comprend Facebook, Instagram, Messenger et WhatsApp, les quatre réseaux les plus populaires au monde avec entre 1,3 et 2,8 milliards d'utilisateurs mensuels), peu ont trouvé une recette gagnante : Twitter, Snap, Tik Tok ou encore Pinterest, les plus populaires d'entre eux, revendiquent plusieurs centaines de millions d'utilisateurs mais restent très loin des quatre géants. Puis viennent tout un tas de prétendants qui grattent à la porte de ce club très fermé, à l'image de Discord, Vero ou encore, surprise, du français Yubo, qui vient de lever 40 millions d'euros supplémentaire pour passer un cap de croissance.
Les amitiés avec des inconnus autour de centres d'intérêts communs
Lancé en 2015 par deux étudiants de Centrale Supelec, Sacha Lazimi et Arthur Patora, avec deux autres co-fondateurs, Yubo a décelé une faiblesse des réseaux sociaux populaires et tente de s'y engouffrer : la difficulté de discuter avec des inconnus dotés des même centres d'intérêts.
"La génération Z, c'est-à-dire les 13-25 ans, utilisent les réseaux sociaux comme une extension de leur vie sociale réelle, ils veulent vraiment rencontrer de nouvelles personnes et avoir des amitiés en ligne", explique Sacha Lazimi, cofondateur et Pdg de la startup. "Et c'est ce qui manque. Sur Messenger, Facebook, WhatsApp ou Snap, on discute avec des personnes qu'on connaît déjà. Sur Instagram, Twitter ou Tik Tok, le format ne permet pas des discussions élaborées avec des inconnus. Et les "découvertes" proposées par algorithme sur Snap, Tik Tok ou Instagram sont asymétriques : elles mettent en avant des performances plutôt que des personnes", détaille l'entrepreneur.
Fort de ce constat, Yubo s'adresse aux jeunes de 13 à 25 ans et leur donne la possibilité de créer ou de participer à des groupes de discussions par thèmes, menant éventuellement à une rencontre. Sa particularité est de proposer des vidéos en live, tout en donnant la possibilité aux utilisateurs d'interagir entre eux en direct via un tchat. Les conversations sont éphémères : dès qu'un groupe est inactif, il disparaît. Le gaming est aussi l'une de ses spécificités : les jeunes peuvent se retrouver en vidéo pour jouer ensemble à un jeu.
99% des utilisateurs de Yubo ont entre 13 et 25 ans
La plateforme revendique 40 millions d'inscrits, soit une progression de 15 millions en un an, et un chiffre d'affaires estimé à 20 millions de dollars en 2020, soit le double de 2019. Contrairement à la plupart de ses concurrents, Yubo revendique un modèle économique sans publicité et affirme ne pas exploiter les données personnelles de ses utilisateurs. La plateforme se rémunère uniquement grâce à l'achat d'options payantes pour améliorer son expérience, en accélérant la visibilité d'un groupe par exemple.
"Nous pensons que ce modèle sans publicité est le futur des applications sociales, car quand les gens paient, ils sont plus engagés et ont une meilleure expérience", justifie Sacha Lazimi. Qui ajoute : "Exploiter des données personnelles ne nous intéresse pas".
Mais ce modèle est-il pérenne, d'autant plus s'il cible les jeunes et leur portefeuille limité ?
"Contrairement aux idées reçues, les jeunes ont un pouvoir d'achat, notamment pour le gaming, et sont prêts à payer pour une plateforme qui leur permet à la fois de jouer et de rencontrer des personnes avec lesquelles ils ont des vrais points communs", veut-il croire.
Si Yubo est loin de la popularité d'un Tik Tok ou même des 100 millions d'utilisateurs revendiqués par Discord -plateforme plébiscitée par les gamers, mais plus fermée-, l'originalité de son concept et son succès auprès de la cible des 13-25 ans, qui représente 99% de ses utilisateurs dont 80% entre 16 et 20 ans, suffisent à justifier le soutien de ses investisseurs. Après 750.000 euros en octobre 2016, 6 millions d'euros en avril 2017 et 11,2 millions d'euros en décembre 2019, Yubo vient donc d'obtenir 40 millions d'euros de la part de ses investisseurs historiques -les fonds français Idinvest, Iris Capital, Alven et le fonds britannique Sweet Capital-, ainsi que d'un nouvel entrant, le français Gaia Capital Partners. L'argent servira à améliorer l'expérience utilisateur et intensifier le marketing pour grossir sur son marché phare, les Etats-Unis (50% des utilisateurs, contre 5% pour la France et 20% pour le Royaume-Uni), et conquérir l'Asie.
Modération difficile et flou sur les chiffres
Si la traction de Yubo est réelle, le chemin est encore long pour trouver le succès. Yubo a un vrai défi de visibilité : si le réseau social revendique 40 millions d'inscrits, il refuse de dévoiler le nombre d'utilisateurs actifs, le seul critère pertinent pour mesurer la popularité d'un service. Sacha Lazimi botte aussi en touche quand on demande la part d'utilisateurs qui achètent des options payantes, ou le panier moyen, autres indicateurs phares.
Comme tous les autres réseaux sociaux, Yubo est également confronté à l'énorme défi de la modération des contenus, surtout pour une application basé sur les fils de discussions et les direct en vidéo. Il y a deux ans et demi, la plateforme a été épinglée par la presse pour des dérives pornographiques et de harcèlement. Depuis, Yubo affirme avoir fait de gros efforts pour éliminer les contenus illicites et renforcer la modération, grâce à des d'outils automatiques d'analyse d'images et de texte, et d'un réseau de modérateurs humains capables d'intervenir "partout dans le monde, 24h sur 24, 7 jours sur 7, dans 38 langues"... mais dont l'effectif demeure secret.
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