Facebook réussira-t-il à contenir TikTok comme il a contré Snapchat ?

Après avoir dominé les années 2000 et 2010, Facebook ne compte pas laisser son trône pour les années 2020. Et si ses concurrents ne se laissent pas racheter, alors il les copie pour rester attractif. La méthode a fonctionné avec Snapchat. Désormais, Facebook cherche à désamorcer la bombe TikTok.
François Manens
Facebook a un problème : il s'appelle TikTok, attire les jeunes, et a déjà cumulé plus d'1,5 milliard de téléchargements.
Facebook a un problème : il s'appelle TikTok, attire les jeunes, et a déjà cumulé plus d'1,5 milliard de téléchargements. (Crédits : Stephen Lam)

Alors que Facebook a mis plusieurs années à enfin contenir l'expansion de Snapchat, le voilà désormais confronté à l'arrivée d'un autre acteur, TikTok. L'application vient de Chine, est développée par la startup la mieux valorisée au monde, ByteDance, et cartonne chez les 13-17 ans. Après trois ans d'existence, elle compte déjà plus d'1,5 milliard d'utilisateurs mensuels, d'après Sense Tower. Ce nouvel entrant expose à nouveau les difficultés relatives de Facebook à capter la frange d'utilisateurs la plus jeune (entre 13 et 24 ans), chouchous des annonceurs et adultes de demain.

Pour tenter de contenir TikTok, l'entreprise de Mark Zuckerberg va appliquer la même recette qui lui a fait prendre l'ascendant sur Snapchat : copier les fonctionnalités phares, et les intégrer à son parc d'application (Facebook, Instagram, WhatsApp, Messenger). Le dernier essai en date s'appelle Reels, s'intègre à Instagram, et entre en phase de test au Brésil. Mais plus étonnement, Facebook semble aussi reproduire ses erreurs, en tentant de créer des applications-copies de TikTok (Lasso, Whale), pour l'instant sans succès...

Générer des "mèmes" comme TikTok

TikTok bâtit son succès sur la production par ses utilisateurs de formats vidéo répétables, souvent humoristiques. Un utilisateur crée une danse ou un challenge par exemple, et d'autres vont reprendre la bande audio et répliquer le format à leur façon.

 (Ici, le #gitupchallenge, qui été réalisé par des milliers d'utilisateurs, consiste à danser sur un court extrait de la chanson "The Git Up" de Blanco Brown, dont les paroles indiquent les mouvements à faire.)

Ces formats codifiés et adaptés par chacun sont appelés "mèmes" dans le jargon web, et sont autant de références partagées par certaines parties de la population, dont les étudiants, du collège à l'université. Et puisque TikTok devient un des principaux générateurs de ces mèmes, ses vidéos sont partagées sur les autres réseaux sociaux dont Facebook, Instagram, ou encore Twitter, et rameutent les jeunes utilisateurs.

Pour se positionner sur ce type de format, Facebook avait testé en janvier une application, baptisée "LOL", qui permettait de générer ses propres mèmes. Mais elle avait été remisée avant même sa mise en production, après les retours de 100 lycéens béta-testeurs qui la trouvait "gênante" et "vieillotte". Facebook n'a pas abandonné l'idée, et la semaine dernière, The Information repérait la sortie d'une application similaire, nommée "Whale", sur l'App Store canadien...

Une nouvelle structure où l'échec n'est pas tabou

L'éditeur de Whale est une nouvelle division du groupe Facebook, la New Product Experimentation ou NPE (expérimentation de nouveau produits, en français). En charge de concevoir des applications à destination du grand public, ce nouveau département se présente comme une structure d'intrapreneuriat. La nouvelle équipe dispose tout de même de "douzaines d'employés" à temps plein, que Ime Archibong, figure connue de l'entreprise et proche de Mark Zuckerberg, se charge de piloter. Sans lien direct avec les vaches à lait du groupe, cette cellule d'innovation interne permet de tester de nouveaux produits et modèles.

"Nous avons décidé d'utiliser ce nom de marque séparé pour répondre à des attentes du côté des utilisateurs", indique le billet de blog sur le lancement de la NPE. Le texte mentionne également que les applications créées par ces équipes pourraient subir de lourdes modifications ou être supprimées très rapidement.

Au cours des années, Facebook a rempli un important cimetière d'applications (Moments, Notify, tbh, Moves, Hello...). Avec cette nouvelle structure, il pourrait itérer plus rapidement et avec un moindre écho en cas d'échec. Et c'est d'ailleurs déjà le cas : Aux, une des trois applications de la NPE, qui permet d'écouter des morceaux de musique en simultané avec des amis, a déjà été retirée de l'App Store canadien, où elle était testée. Avant de pouvoir être considérée comme un concurrent de TikTok, Whale devra donc déjà passer cette phase de "crashtest".

Lire aussi : Facebook : pourquoi la fuite des jeunes vers Snapchat et Instagram n'est pas si grave

Une nouvelle fonctionnalité plutôt qu'une application à part

Avant d'essayer de contrer TikTok, Facebook a tenté de contenir Snapchat, très maladroitement dans un premier temps, puis avec succès. Après s'être vu refuser par Snapchat son offre d'achat de trois milliards de dollars, Facebook a d'abord tenté de créer sa propre version, imitée sur l'originale. Des imitations toutes conclues en échec cuisants (Poke en 2012, Slingshot en 2014 ou encore Lifestage en 2016). Lasso, copie de TikTok, en prend le même chemin : depuis son lancement américain en novembre 2018, elle a été téléchargée 250.000 fois, contre plus de 41 millions de fois pour TikTok...

Mais pour ce qui est de Snapchat, l'entreprise californienne a trouvé une solution, en 2017 : intégrer à Instagram (et plus tard, à Facebook) une des fonctionnalités à l'origine du succès de Snapchat, les "stories". Ces vidéos courtes, épinglées au profil, et visibles pendant seulement 24 heures, cartonnaient sur Snapchat, où tous les contenus sont éphémères. La "nouvelle" fonctionnalité a rapidement trouvé son public, Facebook appuyant en priorité dans les régions où son concurrent n'était pas encore bien installé. Et de son côté Snapchat a subi un important ralentissement de sa croissance.

Avec Reels, Facebook veut appliquer la même manœuvre sur TikTok. Cet outil, téléchargé à part mais intégré à Instagram (comme Boomerang par exemple), permet d'éditer des vidéos sur de la musique ou des enregistrements créés par les utilisateurs. Ces courtes vidéos pourront ensuite être partagées en Story, ou sur une partie dédiée dans l'onglet "Explore" d'Instagram. Pour tester son efficacité, Facebook lance Reels au Brésil, un pays encore peu conquis par TikTok. Et l'entreprise compte sur les plus d'1,2 milliard d'utilisateurs d'Instagram pour populariser la nouvelle fonctionnalité.

"TikTok mérite beaucoup de crédit pour avoir popularisé le format", se contentait de relever Mark Zuckerberg dans une séance de question-réponse à l'intention de ses employés.

Reste un grand problème pour Facebook : TikTok cumule déjà davantage de téléchargements que Instagram. A l'inverse de sa confrontation avec Snapchat, l'ogre californien va cette fois se confronter à un géant de sa taille.

François Manens

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Commentaire 1
à écrit le 21/11/2019 à 8:52
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"TikTok cumule déjà davantage de téléchargements que Instagram" Logique puisque l'Etat chinois lance ses multinationales en les préservant d'abord sur leur marché nationale afin qu'ils grossissent pour attaquer l'international avec déjà une énorm...

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