Entrée en vigueur du Digital Markets Act (DMA) : les Gafam font-ils preuve de mauvaise foi... au détriment des utilisateurs ?

L'entrée en vigueur du Digital Markets Act (DMA), loi européenne visant à réguler les monopoles des géants du web, est censée améliorer l'expérience des internautes et des plus petits acteurs du numérique. Mais sa mise en application ne fait pour le moment pas l'unanimité. Google a supprimé Maps de son moteur de recherche, mettant en rogne certains utilisateurs contre la réglementation européenne. Apple est quant à lui critiqué par une trentaine d'entreprises, dont Spotify et Epic Games, qui estiment que la firme « méprise » l'esprit de la loi.
Il est désormais impossible de naviguer dans Google Maps, comme cela était possible auparavant.
Il est désormais impossible de naviguer dans Google Maps, comme cela était possible auparavant. (Crédits : google map)

[Article publié le mardi 6 mars 2023 à 10:08 et et mis à jour le jeudi 7 mars à 12h16 pour intégrer la réponse de Google]

« C'est stupide », « L'Europe est vraiment championne pour créer des règles débiles »... Sur le forum Reddit certains internautes râlent. Depuis quelques jours, il est impossible d'accéder à Google Maps via la page d'accueil de Google. Lorsque vous recherchez une adresse via le moteur de recherche, une carte fixe s'affiche. Mais il est impossible de cliquer dessus, et de naviguer dans Google Maps, comme cela était possible auparavant. Cette modification est l'une des plus flagrantes liées à l'entrée en vigueur du Digital Markets Act (DMA).

À partir du 6 mars, Google comme les autres « gatekeepers » (les autres Gafam et le chinois ByteDance, éditeur de TikTok) désignés par la Commission européenne devront être conformes à ce texte de loi qui entend réguler le pouvoir monopolistique des grandes plateformes. Les gatekeepers selon l'Union Européenne sont les services web qui constituent des nœuds incontournables. Ce statut leur permettait jusqu'à présent de privilégier leurs propres applications en les mettant en évidence sur leur plateforme. C'est le cas de Google Maps que tout le monde utilise, car Google détient 90 % du marché de la recherche en ligne. L'idée du DMA est de casser ce type de privilèges.

« Le but, c'est de faire appliquer le droit de la concurrence au numérique, dont la structure particulière rend difficile l'application des réglementations classiques », explique Jean-Rémi de Maistre, avocat spécialiste des questions d'arbitrage international et co-fondateur de la legaltech Jus Mundi.

Lire aussi« Le Digital Services Act veut assainir le web mais n'a pas les moyens de son ambition » (Sonia Cissé, Linklaters)

« L'un des objectifs du DMA c'est d'améliorer l'expérience utilisateur en favorisant la concurrence et l'interopérabilité entre les plateformes. Mais les actions de Google montrent que la manière dont les opérateurs vont implémenter ces changements ne seront pas toujours à leur avantage. Comme dans tout texte de loi, il y a un espace d'interprétation.»

L'avocat estime que les plateformes peuvent faire preuve de mauvaise foi en prenant des décisions qui « mettent les utilisateurs de leurs côtés » et donc contre les régulateurs. D'autres se contentent d'adopter des modifications a minima, sans respecter l'esprit du DMA.

Google avertit ses utilisateurs des conséquences

Dans un communiqué publié le 5 mars, Google s'est d'ailleurs excusé auprès de ces utilisateurs des changements mis en place pour respecter le DMA.

« Plusieurs dispositions du nouveau règlement impliquent des arbitrages difficiles, qui ne seront pas sans conséquences pour les personnes et les entreprises qui se servent de nos produits », a écrit l'entreprise qui explique avoir essayé de trouver un équilibre.

Google aurait-il pu interpréter la loi autrement et choisir une option moins dérangeante pour les utilisateurs ? L'esprit du texte, explique Jean-Rémi de Maistre, « c'est que les gatekeepers comme Google traitent les différentes solutions de manière équitable. Donc techniquement Google aurait pu décider d'afficher d'autres applications de géolocalisation similaires à Google Maps sur son moteur de recherche ». Une décision qui aurait permis aux utilisateurs de continuer d'avoir le même service, avec plusieurs choix possibles. « Pour prendre la défense de Google, j'imagine que ce n'est pas évident à faire et que cela pose des questions sur la méthodologie à suivre... mais en effet c'est assez radical de tout retirer ! », ajoute-t-il.

Par ailleurs, si l'entreprise de Mountain View a décidé de supprimer Google Maps et Google Flights de sa page d'accueil, d'autres applications maison comme Google Finance et Google Books sont elles toujours directement accessibles. Contacté à ce sujet, Google répond ceci : « La règle d'auto-préférence DMA nous oblige à supprimer les liens vers des services considérés comme des services bien distincts de la recherche, comme Maps par exemple.»

Apple méprise le DMA selon Spotify et une trentaine d'autres organisations

De son côté, Apple, certainement le gatekeeper le plus touché par cette réglementation (compte-tenu de son écosystème très fermé), est déjà vivement critiqué sur sa mise en application du texte de loi. Dans une lettre ouverte publiée le 1er mars adressée à Margrethe Vestager, vice-présidente de la Commission européenne, et le commissaire Thierry Breton, 34 entreprises et associations professionnelles, dénoncent les changements annoncés par la firme de Cupertino le 26 janvier comme non conformes au DMA.

« Les nouvelles conditions d'utilisation d'Apple ne méprisent pas seulement l'esprit et la lettre de la loi, mais si elles restent inchangées, elles ridiculisent le DMA et les efforts considérables de la Commission européenne et des institutions de l'UE pour rendre les marchés numériques compétitifs », écrivent cette trentaine d'acteurs dont Spotify, Epic Games ou encore France Digitale.

L'entreprise, contrainte par le DMA, permet l'installation de magasins d'applications alternatifs. Son App Store était depuis 2007 l'unique magasin d'application des iPhone, c'est-à-dire la seule porte d'entrée pour toucher les plus d'un milliard de propriétaires du smartphone le plus vendu au monde. Mais selon ces entreprises, les mesures prises par Apple pour permettre ce changement sont loin d'être à la hauteur.

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Concrètement, Apple propose un choix, en réalité un « faux choix » qui ajoute de la complexité selon les signataires. Garder l'ancien système, c'est-à-dire passer exclusivement par l'App Store et payer la commission de 30% (ou 15% pour les plus petits acteurs) sur toutes les transactions. Ou bien, basculer vers le nouveau système. Dans ce cas, ils pourront distribuer leurs applications sur l'App Store mais aussi sur d'autres magasins d'applications. En contrepartie, ils devront composer avec de nouvelles contraintes et de nouveaux frais. Apple se réserve par ailleurs le choix des magasins d'applications qui pourront être installés, selon un système d'évaluation encore inconnu.

« Les nouvelles règles d'Apple (...) rendent l'installation et l'utilisation de nouveaux magasins d'applications difficiles, risquées et financièrement peu attractives pour les développeurs. Plutôt que de créer une concurrence saine et de nouveaux choix, les nouvelles règles d'Apple vont ériger de nouvelles barrières et renforcer l'emprise de l'entreprise sur l'écosystème de l'iPhone », s'alarment les signataires.

Apple a tout intérêt à défendre sa chasse gardée. Car l'enjeu financier est énorme. En 2023, plus de 171 milliards de transactions in-app [au sein des applications, NDLR] sont passées par l'App Store. Grâce à sa commission très critiquée de 30% (baissée à 15% pour les plus petites applications), Apple s'est dégagé un chiffre d'affaires colossal, estimé autour des 50 milliards de dollars. Mais sa principale ligne de défense n'est évidemment pas celle-ci. La firme met plutôt en avant l'enjeu sécuritaire. Multiplier les canaux d'entrée sans contrôle, c'est la porte ouverte à des actes malveillants, argumente en substance l'entreprise.

Pour les plateformes sociales : le défi de l'interopérabilité

Pour les plateformes sociales et les messageries, comme celles de Meta, TikTok ou encore LinkedIn, le principal enjeu du DMA sera de permettre une meilleure interopérabilité avec des réseaux et messageries extérieurs. Ainsi, WhatsApp devra normalement autoriser l'envoi de messages à des utilisateurs Telegram ou Signal de manière fluide. LinkedIn devra autoriser l'échange automatique d'information vers d'autres réseaux sociaux professionnels. « Cela représente une amélioration pour les utilisateurs, uniquement si l'interopérabilité fonctionne bien, observe Jean-Rémi de Maistre. C'est l'un des éléments importants du DMA. C'est sur ce point que les opérateurs pourraient faire preuve de mauvaise foi, en rendant l'interopérabilité inconfortable et donc en forçant indirectement les utilisateurs à rester dans leur écosystème.»

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Ces tentatives des plateformes d'interpréter la loi à leur avantage n'ont rien de surprenants. « Historiquement, le droit de la concurrence ne s'est jamais fait en accord avec les entreprises, rappelle le spécialiste. Suite à l'entrée en vigueur du RGPD, la cour de justice européenne a dû annuler trois fois l'accord de transfert de données aux États-Unis parce qu'il ne respectait pas assez la réglementation européenne.»

Le début d'un long bras de fer entre la Commission et les plateformes

« Un combat de lobbying va être entamé dans les prochains mois entre la Commission européenne et les plateformes, projette-t-il. Si la Commission n'est pas d'accord avec leurs changements, des procédures devant la cour de justice européenne trancheront au cas par cas.» En cas de non conformité, les plateformes risquent gros. Des amendes allant jusqu'à 10% du chiffre d'affaires mondial de l'entreprise sont prévues.

Pour l'avocat, les Gafam ont toutefois tout intérêt à se conformer aux règles du DMA.  « Lorsque la question de la concurrence est abordée aux États-Unis, on évoque la possibilité de démanteler les plateformes. Or, ici ce n'est pas ce qui est proposé. On peut reprocher à l'Europe de faire des lois qui sont difficilement applicables. Mais au moins c'est une approche équilibrée.»

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Commentaires 5
à écrit le 06/03/2024 à 21:19
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Les GAFAM, feraient preuve de mauvaise foi? Allons donc, leur foi est intacte en la voyoucratie, le saint dollar , les Paradis fiscaux etc...

à écrit le 06/03/2024 à 12:00
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Évidemment que les gafam sont de mauvaise foi... Google retire Google maps de son moteur de recherche pour faire réagir certains. Les utilisateurs de Reddit qui ralent ont un train technologique de retard , d'une parceque l'url de Google maps est tou...

à écrit le 06/03/2024 à 11:44
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Votre titre en première page est plus malin DMA ça peut faire penser à une drogue également, à laquelle les gens s’intéresseront plus que cette énième tambouille financière européiste. ^^

à écrit le 06/03/2024 à 10:47
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On nous a rendu "accro" au numérique comme aux jeux, alors que cela est complètement inutile, mais ont trouvera toujours une excuse pour ne pas y renoncer tel que le tabac !

à écrit le 06/03/2024 à 10:20
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En effet l'UE prise en otage par une finance moyen ageuse, est dépositaire de ce genre d'usines à gaz car ça permet de caser son bien trop grand réseau oligarchique en emplois fictifs, le cercle vicieux européiste s'il en est. Maps est un excellent o...

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