2020, une année folle pour Netflix et l'ensemble du streaming vidéo

2020 a été une année de bouleversements pour l'industrie du streaming vidéo. Dans un contexte de pandémie mondiale qui a accéléré les nouveaux usages numériques dont celui de la vidéo à la demande, les pionniers Netflix et Amazon Prime Video ont été rejoints dans la bataille par une floppée de nouveaux acteurs aux dents longues, de Disney+ à HBO Max (WarnerMedia), en passant par Peacock (NBCUniversal), Apple TV+, et les "petites bouchées" de Quibi. Comment ont résisté les acteurs historiques ? Les nouveaux entrants ont-ils trouvé leur place sur le marché ? Bilan et prospective pour 2021.
Sylvain Rolland
Dans un contexte de pandémie mondiale qui a accéléré les nouveaux usages numériques dont celui de la vidéo à la demande, les pionniers Netflix et Amazon Prime Video ont été rejoints dans la bataille par une floppée de nouveaux acteurs aux dents longues, de Disney+ à HBO Max (WarnerMedia), en passant par Peacock (NBCUniversal), Apple TV+, et les petites bouchées de Quibi.
Dans un contexte de pandémie mondiale qui a accéléré les nouveaux usages numériques dont celui de la vidéo à la demande, les pionniers Netflix et Amazon Prime Video ont été rejoints dans la bataille par une floppée de nouveaux acteurs aux dents longues, de Disney+ à HBO Max (WarnerMedia), en passant par Peacock (NBCUniversal), Apple TV+, et les "petites bouchées" de Quibi. (Crédits : DR)
  • Netflix plus populaire que jamais

Le pionner et leader mondial du secteur, Netflix, a profité, comme tout le monde, de la pandémie de la Covid-19, mais dans une proportion encore plus grande. Début 2020, le géant comptait 167,1 millions d'abonnés dans le monde. Neuf mois plus tard, il revendique 195,5 millions d'abonnés (soit +23,3 en neuf mois) et devrait terminer l'année à 201 millions d'abonnés, d'après ses estimations. Si les Etats-Unis restent son principal marché (73,1 millions d'abonnés au troisième trimestre 2020, +8,2% sur un an), sa croissance vient principalement de l'international. Dans la zone EMEA (Europe et Moyen-Orient), Netflix enregistrait fin septembre 62,2 millions d'abonnés (+23,9% sur un an). Il dispose aussi de 36,6 millions d'abonnés en Amérique latine (+19,2% sur un an), et de 23,5 millions en Asie-Pacifique (+38,3%).

Netflix est donc aujourd'hui le seul service de streaming vraiment implanté partout dans le monde -à l'exception notable de la Chine-, ce qui lui donne un avantage concurrentiel considérable. Car c'est à l'international que se situent les plus grands relais de croissance. Et grâce à ses "originaux", Netflix peut décliner son propre catalogue partout dans le monde, sans difficultés. A l'inverse, ses concurrents hollywoodiens (Disney+, HBO Max, Peacock, qui veulent tous devenir globaux) sont empêtrés dans la jungle des droits de diffusion dans chaque pays. Leur catalogue est immense mais ils n'ont que très peu de contenus produits spécifiquement pour leur nouvelle plateforme. Par conséquent, ceux-ci sont disséminés dans les différentes offres locales.

En France par exemple, la chaîne HBO, qui fournit une grande partie des contenus de la nouvelle plateforme de WarnerMedia, HBO Max, a signé un accord d'exclusivité avec OCS qui court jusqu'en 2022, et les autres productions populaires du catalogue de WarnerMedia sont disséminées sur d'autres plateformes, à l'image de South Park dont les saisons sont réparties entre Netflix et Amazon Prime Video. Autrement dit : HBO Max ne peut pas se lancer en France tant que l'accord avec OCS n'expire pas. Et même lorsqu'il pourra récupérer ses contenus, est-il pertinent pour HBO Max de "tuer" OCS et de partir de zéro en France, alors que OCS semble avoir trouvé son public ? Le problème se pose moins pour Disney+, qui dépend moins d'une seule marque et qui a un catalogue tellement massif (Walt Disney Studio, Pixar, 21th Century Fox, ABC Studios...) qu'il peut se permettre de disséminer ses contenus partout (Canal+, Amazon Prime Video...) tout en gardant une offre attractive et cohérente pour sa propre marque.

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  • Netflix plus influent que jamais

Au-delà des chiffres, la puissance d'une plateforme de streaming se mesure aussi à son influence culturelle. Et dans ce domaine, Netflix a cartonné en 2020. La plateforme dirigée par Ted Sarandos et Reed Hastings a multiplié les programmes qui font le buzz auprès du public et des critiques plus que tout autre acteur de l'industrie, qu'il s'agisse d'une chaîne de télévision traditionnelle ou d'une plateforme de streaming. Le plus fort est que Netflix a réussi à imposer des "hits" dans tous les domaines : série dramatique (la nouvelle saison de The Crown, la mini-série Le Jeu de la Dame qui a donné une vigueur inédite aux ventes de jeu d'échecs et de livres sur le sujet...), comédie (énorme succès pour Emily in Paris...), télé-réalité (Love Is Blind, The Circle...), documentaire (Tiger King, Les Enquêtes Extraordinaires, Room 2804 : l'affaire DSK...). La seule ombre -symbolique- au tableau pour Netflix est la reconnaissance des critiques. Aux Emmys Awards 2020, Netflix a battu un record de nominations -160 contre 107 pour HBO-, mais HBO lui a damé le pion en remportant le plus de récompenses : 30 contre 21.

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Au-delà de l'attention médiatique et critique, Netflix redéfinit les standards de l'industrie des séries TV plus que tout autre acteur. Sa politique récente d'annuler ses séries au bout de deux ou trois saisons maximum -pour concentrer ses investissements sur les nouveautés afin de déclencher des abonnements- est une rupture profonde avec le modèle de la télévision américaine depuis les années 1950. Dans le modèle "traditionnel", le but d'un studio et d'une chaîne de télévision est d'étirer le plus possible la vie d'une série TV. Le raisonnement est le suivant : pour la chaîne de diffusion, plus la série est connue et populaire, plus elle attirera de la publicité pendant les épisodes ; pour le studio qui produit, plus la série compte d'épisodes, plus il récupère d'argent grâce aux multiples rediffusions -une série avec beaucoup d'épisodes est plus facile à vendre- et grâce à l'énorme marché de la syndication -revente des droits de diffusion aux chaînes locales, qui ne sont intéressées que si la série compte beaucoup d'épisodes, le standard étant au moins 80 épisodes.

Mais Netflix ne diffuse aucune publicité et ne revend pas ses productions à d'autres car la série reste éternellement sur sa plateforme. Donc à quoi bon multiplier les saisons ?  Pour lui, plus une série se prolonge, plus elle coûte cher -à cause de la renégociation contractuelle des salaires des acteurs et des producteurs- et moins elle rapporte de nouveaux abonnés -car l'effet "nouveauté" qui déclenche la plupart des abonnements se tarit au bout de deux ou trois saisons. Netflix a estimé que la rentabilité maximale d'un programme est de deux ou trois saisons, ce qui offre suffisamment d'épisodes pour satisfaire les fans et déclencher le "binge watching", tout en donnant à la série le temps de se développer et de générer abonnements et couverture médiatique. Cela ne signifie pas que Netflix ne financera plus de séries sur la longueur, mais que cela devient l'exception plutôt que l'objectif : seules les séries les plus populaires et médiatiques survivront au-delà de trois ou quatre saisons.

Cette politique a toutefois un revers : de nombreux créateurs, à l'image du créateur de la série culte BoJack Horseman -6 saisons sur Netflix- ont vendus leurs projets ailleurs. A force d'annuler brutalement les séries qui ne trouvent pas rapidement leur public, Netflix n'est plus considérée comme l'eldorado de la création artistique, et est donc moins attractive dans la guerre des talents. Mais cette pratique pourrait bien devenir la norme dans l'industrie du streaming, et donc redéfinir la télévision dans son ensemble puisque le modèle économique traditionnel des séries TV évolue et doit s'adapter aux usages. Pourtant, l'histoire de la TV fourmille d'exemples de séries qui ont eu besoin de plusieurs saisons pour trouver le succès. L'exemple type est la cultissime Seinfeld (1989-1998), comédie américaine la plus populaire de tous les temps, qui a percé lors de sa saison 3, les deux premières ayant été diffusées dans l'indifférence quasi-générale.

Lire aussi : "Direct" : quand Netflix copie la télé

  • Explosion de l'offre, mais la demande suit !

Au-delà de Netflix, le big bang du streaming a bien eu lieu en 2020. Le marché a vécu une explosion inédite de l'offre -arrivée de HBO Max en mai, de Peacock en juillet, de Disney+ et de Apple TV+ en novembre 2019-, mais la demande a suivi.

Comment ont réagi les "anciens" sous les coups de cette concurrence féroce ? Le "big 3" américain composé de Netflix, Amazon Prime Video et Hulu, a eu des sueurs froides mais aucun des trois n'a vacillé, signe que le marché peut absorber l'arrivée de nouveaux gros acteurs. Netflix a vécu la meilleure année de son histoire, Amazon Prime Vidéo continue de progresser -tiré par le succès d'Amazon Prime dont il est un produit d'appel offert avec l'abonnement- et Hulu a également vécu une bonne année avec une augmentation de son nombre d'abonnés et une visibilité inédite en raison de séries qui ont su capter l'œil des critiques et du public (Ramy, The Great, Pen15 notamment).

Lire aussi : Streaming vidéo : pourquoi Apple TV+ ne va pas tuer Netflix

Cela n'a pas empêché les nouveaux entrants de trouver leur place sur le marché. En un an d'existence à peine, Disney+ a engrangé plus de 86,8 millions d'abonnés, dépassant "les attentes les plus folles", selon les mots du directeur général de Walt Disney. Ce départ tonitruant le positionne d'emblée comme un nouveau mastodonte, capable à terme de devenir un très sérieux rival pour Netflix. Les autres services ont connu un succès moins important, mais s'en sortent la tête haute. HBO Max, qui connaît quelques soucis de positionnement en raison de son énorme catalogue, a séduit "seulement" 12,6 millions d'utilisateurs actifs, mais il n'a pas pas encore transformé tous les abonnés à HBO (38 millions en tout) en utilisateurs de HBO Max. Enfin, grâce à son modèle économique hybride, Peacock a lui aussi trouvé sa place (voir plus bas) et revendique déjà 26 millions d'utilisateurs.

Lire aussi : Streaming : Disney+ peut-il s'imposer en Europe face à Netflix ?

Enfin, Apple TV+ ne joue clairement pas dans la même cour en raison de son catalogue minuscule et du peu de moyens investis par Apple par rapports à ses concurrents. Mais il lui a suffi de quelques coups d'éclats -The Morning Show avec Steve Carrell, Jennifer Aniston et Reese Witherspoon- pour s'insérer dans le paysage, au moins aux yeux des critiques et de Hollywood.

Lire aussi : Netflix, Disney+, Amazon, Salto, Canal+, OCS... comparatif des offres de streaming en France

  • Le cinéma, aussi -voire surtout- à la télé ?

La pandémie et la fermeture des cinémas dans de nombreux pays ont accéléré l'usage de découvrir des films "de cinéma" sur sa télévision. Netflix a sorti davantage de films originaux en 2020 qu'auparavant, et a engrangé de nombreux succès, à commencer par Mank (de David Fincher, qui décrit la genèse du Citizen Kane d'Orwell), Da 5 Bloods (de Spike Lee) ou encore Ma Rainey's Black Bottom (produit par Denzel Washington, avec Viola Davis et Chadwick Boseman).

Plus important, certains studios hollywoodiens, d'ordinaire les meilleurs alliés des salles de cinéma auxquels ils réservent leurs sorties, semblent changer d'approche. WarnerMedia a provoqué un tollé en novembre en annonçant que les 17 films qu'il compte sortir en 2021 seront tous disponibles sur sa plateforme HBO Max le même jour que leur sortie en salles. Y compris les plus gros blockbusters comme Dune ou encore le sequel de Matrix. Les exploitants de salles de cinéma craignent pour leur attractivité. Quant à Disney, certains films événements ne verront même pas les salles de cinéma. A commencer par "Soul", le 23è long métrage du studio d'animation Pixar, pourtant taillé pour le grand écran et distingué par la mention "Cannes 2020". Le film sortira le 25 décembre, mais uniquement sur la plateforme de streaming Disney+.

Les studios hollywoodiens vont-ils tuer eux-mêmes les salles de cinéma en s'appropriant un métier qui leur échappait jusqu'alors, c'est-à-dire la distribution ? Le contexte de la pandémie, qui a indéniablement favorisé l'usage du "cinéma à la maison", marque-t-il une évolution pérenne des usages ? Impossible de répondre à ces questions pour l'heure, mais il est clair qu'un verrou a sauté en 2020. WarnerMedia assume vouloir permettre au plus grand nombre de voir ses films dans un contexte de pandémie, quitte à court-circuiter les salles de cinéma, et souhaite se servir de ces films à gros budget pour déclencher des abonnements à HBO Max. Le cinéma devient ainsi, pour WarnerMedia comme pour Disney+, un produit d'appel de plus dans la guerre du streaming.

  • L'AVoD, un nouveau modèle gagnant ?

Dans un paysage embouteillé, NBCUniversal s'est introduit dans l'arène du streaming avec un nouveau modèle économique pour sa plateforme Peacock : l'AVoD (streaming financé par la publicité). Il s'agit à la fois d'une alternative pour ceux qui ne souhaitent pas s'abonner car ils paient déjà des services concurrents, et d'un module complémentaire pour s'abonner moins cher. Peacock propose ainsi trois offres : un abonnement "premium" sans publicité -le modèle Netflix-, un abonnement à prix réduit avec quelques publicités pour compenser -la formule mixte- et une option gratuite, mais moins étoffée en contenus et truffée de publicités. Cette dernière version est clairement un produit d'appel pour basculer à terme vers un abonnement. Par exemple, la série The Office, rapatriée de Netflix où elle était la série la plus populaire, sera disponible en "gratuit", mais seulement les deux premières saisons, il faudra donc s'abonner pour voir la suite.

Lire aussi : L'AVoD, un modèle gagnant pour exister face aux géants du secteur ?

Hulu utilise déjà depuis quelques années le modèle de l'AVoD, mais Peacock innove avec sa triple formule. Elle lui permet de mettre en valeur la qualité et la profondeur de son immense catalogue, sans se positionner de manière frontale face aux autres acteurs du streaming. En fait, NBCUniversal, acteur majeur de la télé traditionnelle depuis les années 1950, propose une synthèse des deux mondes -la publicité et/ou l'abonnement- pour multiplier les sources de revenus. Ce qui lui permet de revendiquer 26 millions d'utilisateurs, bien qu'on ne sache pas encore la part des abonnements et celle de l'offre gratuite.

Lire aussi : Guerre du streaming : pourquoi Peacock va être un gros succès face à Netflix et consorts

  • Quibi rate son pari, ses "petites bouchées" ne viendront pas révolutionner le streaming

 Au final, tous les "gros" nouveaux acteurs ont trouvé leur place en 2020 sur le marché du streaming vidéo. Tous, sauf Quibi. Le "Netflix des formats courts", lancé au printemps, était une bulle et s'est crashé en beauté fin octobre. Son pari ? Révolutionner les usages en proposant des formats courts (des épisodes de 4 à 10 minutes maximum), spécialement conçus pour être visionnés sur les smartphones.

Mais si l'idée paraissait bonne sur le papier au point de lever 1,75 milliard de dollars avant même son lancement, elle s'est fracassée sur la réalité du marché. Le positionnement de Quibi s'est révélé bancal : le prix de l'abonnement mensuel était trop élevé (5 dollars par mois, 8 dollars sans les publicités) et le catalogue trop maigre et pas assez attractif malgré les grands noms devant et derrière la caméra, pour séduire la cible -essentiellement des jeunes qui consomment les vidéos courtes sur YouTube ou TikTok. L'échec de ce nouveau format, qui promettait de ringardiser Netflix et consorts, indique donc au contraire que le paysage du streaming vidéo de beaux jours devant lui en 2021 et au-delà.

Lire aussi : Clap de fin pour Quibi, le "Netflix des formats courts" : autopsie d'une bulle

Sylvain Rolland

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Commentaires 2
à écrit le 24/12/2020 à 20:46
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Orange est passé complètement à côté, son président trop occupé à son avenir politique, et de toute façon pas du tout intéressé par les télécoms

à écrit le 22/12/2020 à 15:09
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La course au contenu fait rage et c'est le créateur qui n'est jamais en mal d'idée qui en ressort vainqueur. On le voit avec la gestion de Youtube par Google, plus vous leur offrez de contenu régulièrement, mieux ils vont vous placer et vous récompen...

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