Pourquoi le Twitter d'Elon Musk a-t-il banni plusieurs journalistes et son principal concurrent ?

Dans la nuit de jeudi à vendredi, Twitter a banni les comptes de plusieurs journalistes de grands médias américains, ainsi que celui de son concurrent Mastodon. Elon Musk les accuse d'avoir mis sa sécurité en danger en intégrant dans leurs tweets un lien vers un site qui suit les déplacements de son jet privé, en toute légalité. Explications.
François Manens
Elon Musk s'enfonce dans un nouveau casse-tête de modération.
Elon Musk s'enfonce dans un nouveau casse-tête de modération. (Crédits : DADO RUVIC)

Drôle de nuit sur Twitter. Le réseau social a banni près d'une dizaine de journalistes de grands médias américains comme le New York Times, CNN, le Washington Post ou encore The Intercept. Leur point commun ? Ils couvrent avec un regard critique les décisions et actions d'Elon Musk, le nouveau propriétaire et dirigeant de la plateforme depuis fin octobre. Le compte de Mastodon, principal concurrent de Twitter, a également sauté.

Lire aussi« Twitter files » : Elon Musk s'enfonce dans la guerre culturelle pendant que le réseau social vivote

Le jet privé d'Elon Musk au centre de la modération de Twitter

Pour justifier cette modération agressive, Elon Musk accuse les comptes bannis de doxxing, une pratique qui consiste à révéler publiquement des informations privées à des fins malveillantes. Ils sont jugés coupables d'avoir partagé un lien qui donne en temps réel les déplacements de son jet privé. Les données de l'écrasante majorité des vols commerciaux et privés sont, en effet, accessibles publiquement, et plusieurs sites comme FlightRadar les agrègent.

Sur Twitter, le compte @ElonJet relayait automatiquement tous les déplacements du jet du milliardaire. Il a été banni mardi, en même temps que le compte de son créateur Jack Sweeney. Cette décision, prise par Elon Musk lui-même, a mené à une mise à jour immédiate de la politique du réseau social relative à la vie privée. « A partir de maintenant, nous allons retirer les tweets qui partagent la position d'un individu en temps réel, et les comptes dédiés à partager les positions en temps réel d'autres personnes seront suspendus », écrit l'entreprise.

Le jet d'Elon Musk n'était pas le seul à avoir un compte dédié, c'était le cas de ceux de plusieurs milliardaires, dont Bernard Arnault. C'est d'ailleurs à partir de ces comptes qu'a été lancé un débat houleux sur l'aviation d'affaires cet été en France. Tous sont désormais bannis.

Elon Musk s'embarque dans un nouveau casse-tête de modération

Auto-décrit comme un défenseur absolu de la liberté d'expression, l'homme d'affaires a assuré à de nombreuses reprises que tout peut être dit, tant que les propos ne dérogent pas aux lois. Il avait d'ailleurs déclaré, le 7 novembre, à propos du compte @ElonJet que « son engagement pour la liberté d'expression s'étend jusqu'à ne pas bannir le compte qui suit [son] avion, même si c'est un risque direct pour [sa] sécurité personnelle. » En bannissant @ElonJet, le milliardaire rompt donc avec la doctrine prônée jusqu'alors, alors même qu'il tente d'accabler l'ancienne direction sur les sujets de modération par le biais des « Twitter files ».

Suite à cette vague de bannissements, Katie Notopoulos, journaliste chez Buzzfeed, a utilisé la fonction Space de Twitter pour organiser une discussion publique avec les journalistes bannis et le créateur de @ElonJet. Elon Musk a rejoint la discussion pendant un peu moins de trois minutes. « Ce n'est pas parce que vous êtes journalistes que vous allez avoir un traitement spécial. Vous doxxez, vous êtes suspendus », a-t-il affirmé. Relancé sur les incohérences de sa politique de modération, le dirigeant a bafouillé, puis quitté abruptement le Twitter Space.

Elon Musk affirme que sa vie est en danger

Pour insister sur la nécessité de bannir @ElonJet, Elon Musk a écrit qu'une voiture qui transportait un de ses enfants, X ou X Æ A-12 de son nom complet, aurait été suivie par un harceleur, qui aurait ensuite empêché le véhicule d'avancer et aurait grimpé sur le capot. Il affirme également prendre des actions en justice contre Jack Sweeney et « les organisations qui causent du mal à ma famille. » Il a ensuite publié une courte vidéo montrant un individu masqué et encapuchonné, au volant d'une voiture dont la plaque d'immatriculation est apparente. « Quelqu'un reconnait-il cette personne ou cette voiture ? » demande le milliardaire à ses 120 millions d'abonnés. Ironiquement, ce message de Elon Musk pourrait être qualifié de doxxing. Les propos du milliardaire n'ont pas pu être vérifiés et Bellingcat a démontré que la vidéo avait été prise à Los Angeles, loin de tout aéroport.

Ce n'est pas la première fois que l'homme d'affaire confie ses inquiétudes pour sa sécurité. Dans un autre message, il expliquait que les comptes bannis l'étaient car « ils ont partagé [sa] localisation exacte en temps réel, soit fondamentalement des coordonnés d'assassinat. » Cette déclaration avait d'ailleurs interpellé la démocrate influente Alexandra Ocasio-Cortez, qui l'avait appelé à « prendre une pause et poser le téléphone » pour calmer l'attention autour de lui, ce à quoi il a répondu « toi d'abord ».

Pour conclure cet étrange épisode, Elon Musk a lancé un sondage afin que les utilisateurs de Twitter décident de la durée de suspension des comptes concernés. Ils pourront être rétablis : dès maintenant, le lendemain, dans 7 jours, ou dans « plus longtemps ». Il avait déjà utilisé cette méthode pour justifier le rétablissement du compte de Donald Trump, alors même que les sondages de la plateforme sont faciles à manipuler. Résultat : l'option « maintenant » a gagné, avec 43% des voix, mais Musk a décidé de faire un autre sondage car le premier « avait trop d'options ». Ce dernier s'étend jusqu'à cette nuit, et pour l'instant, l'option « maintenant » gagne à nouveau. Reste à voir Elon Musk se pliera une fois de plus à ce mode de scrutin.

François Manens

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Commentaires 9
à écrit le 16/12/2022 à 19:42
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Les médias sont bien plus rapides et nombreux à aller chercher des poux dans la tête de Musk pour une broutille qui reste à prouver que pour analyser honnêtement la diffusion des twitter files en cours.......MDR !

à écrit le 16/12/2022 à 19:03
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Il fait peur Musk, car il a de l'argent. La liberté est inscrit dans la constitution américain mais pas chez nous. Breton et Macron se sont précipités chez Musk pour lui rapeller les dangers du net. Déjà pour la démocratie et plus particulièrement po...

à écrit le 16/12/2022 à 10:52
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A quel moment des individus sains d'esprits s'amusent à traquer la localisation d'un concitoyen? Cela relève du ressort de la police en cas de suspicion ou crime avéré. L'adresse d'un individu est une donnée privée et il revient à cet individu de cho...

le 16/12/2022 à 21:54
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Ce n’est pas l’homme qui est traqué, c’est son jet (certainement il ne doit pas en avoir qu’un d’ailleurs), qui circule dans l’espace public. D’ailleurs lui même est un personnage public, pas la peine de s’étaler comme ça dans la presse et venir pleu...

à écrit le 16/12/2022 à 10:48
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Génie ou fou, les 2 cohabitent souvent.

à écrit le 16/12/2022 à 10:30
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La liberté d'expression selon Musk

à écrit le 16/12/2022 à 10:29
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Soutien total à Elon Musk, bien que je n'aime pas particulièrement ce personnage. Ce n'est pas parce que la technologie permet certaines choses, et que ces choses sont légales, qu'il faut se permettre de les utiliser et d'en faire une arme

le 16/12/2022 à 18:06
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Le sujet n est pas la …. Vous auriez été bien inspiré et grandi de noter l’ incoherence de Musk entre son discours Green washing - voiture électrique, fusée re-utilisable … - et ses déplacements en jets privés !! Ce n est pas le seul a le faire ? Mai...

à écrit le 16/12/2022 à 10:29
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La liberté selon Musk

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