« L'idée est de moins laisser sortir nos données » (Robin Berjon, VP Data au New York Times)

Robin Berjon est VP data governance au New York Times. Un poste clé pour le troisième journal des États-Unis qui fonde toute sa stratégie sur le lien de confiance avec son lecteur, au service d'un modèle orienté désormais sur l'abonnement. Un portrait à retrouver dans l’hebdomadaire n°321 de La Tribune.
(Crédits : Jdussueil)

LA TRIBUNE - Vous travaillez à instaurer une gouvernance de la donnée, agrégée chaque jour par le New York Times, dans le but, dites-vous, d'établir un climat de confiance avec le lecteur. Comment restaurer cette confiance perdue dans les médias, avec notamment en France, un record de 41% de gens qui s'intéressent désormais "assez" faiblement aux informations ? (Kantar / La Croix, 2020)

ROBIN BERJON, VP Data governance au New York Times : Le plus important pour la confiance, ce n'est pas de savoir "d'où vient l'argent", ou "qui finance les médias" mais d'avoir un système de gouvernance qui produit la confiance.

En même temps, l'environnement publicitaire est encore très anarchique, bordélique et irrespectueux de la vie privée. Au Times, toute notre innovation est basée sur cette recherche, sur la création d'un environnement de confiance. Pour cela, nous avons créé nos propres outils. Parce que nous savons que si nous le faisons bien, le lecteur le ressentira nécessairement.

Quels sont ces outils ?

Dans un journal, il y a plein de mécanismes différents pour générer de la confiance, selon l'utilisateur. Il faut se méfier du réflexe "ça y est, on a trouvé l'outil !" Quand l'iPad est arrivé, on a cru qu'il allait tout monétiser. Or, il y a une très grande variété d'utilisateurs. Il faut aller le chercher là où le contenu l'intéresse, sans idéaliser son client... son lecteur. Je travaille dans la tech depuis 25 ans, il n'y a pas de solution miracle. L'environnement data est trop complexe.

De plus, il y a beaucoup de façon de créer des relations avec les gens. Nous travaillons sur de nombreuses bases de données (principalement des bases SQL). Le socle, c'est la confiance, ensuite, on navigue chaque jour.

Une certitude peut-être, il faut établir des chartes éthiques que chacun est tenu de respecter. C'est cela qui rend le journal plus indépendant et plus crédible. C'est la gouvernance qui gère l'indépendance.

Robin Berjon

(Robin Berjon, hebdomaire LT n°321)

Les GAFA, leur gestion peu transparente de la donnée - avec notamment un scandale retentissant pour Facebook en 2018 - et la démultiplication des émetteurs d'informations qu'ils ont créé avec les nouvelles plateformes sociales, n'ont-ils pas une responsabilité dans l'érosion de la confiance envers les médias ?

Ce n'est pas à moi d'en juger. Au New York Times, nous collaborons avec les GAFA là où cela fait sens. Dans cette relation, nous les encourageons à respecter davantage la vie privée. Bien sûr, nous faisons aussi de la publicité traditionnelle sur leurs plateformes.

Mais l'idée est bien de moins laisser sortir nos données du journal en réduisant la part des tierces parties. En ce sens, nous avons développé notre propre outil de ciblage de données, tandis qu'autrefois nous utilisions les outils Google, Facebook etc. Baptisé TAFI (Twitter Facebook Interface), il permet de faire du marketing ciblé sans échanges de données personnelles avec des tiers.

Pour nous, la meilleure façon de lire le New York Times, c'est avec l'expérience du Times, dans son intégralité.

Aux Etats-Unis, la crise de la presse touche de plein fouet les journaux locaux des petites et moyennes villes, avec 1.800 titres qui ont fermé boutique depuis 2004, lit-on dans vos colonnes. Concentration, cession à l'image du milliardaire Warren Buffet qui vient d'annoncer la revente de l'ensemble de ses titres de presse (30 régionaux), via sa holding Berkshire Hathaway. En France, le constat est similaire, avec des abonnements digitaux qui peinent à compenser la baisse de ceux du papier. La crise de la presse est-elle une fatalité ?

Les causes de l'extinction de certains titres de presse sont multi-factorielles. Il est vrai que, pour beaucoup, la transformation numérique est un vrai challenge.

Ensuite, tandis que la promesse de départ d'Internet était de créer un monde désintermédié, il a en réalité mis en place un marché publicitaire avec des intermédiaires. Mécaniquement, à cause d'eux, la presse a perdu une partie de cet argent. Pour y faire face, soit il faut changer la façon dont Internet rémunère les auteurs et les créateurs. Soit on expérimente sans cesse des modèles. Par exemple, plutôt qu'un "paywall" qui coupe l'accès au lecteur, je crois en des solutions alternatives.

On pourrait aussi réfléchir à de nouveaux modèles de subventions, comme le propose l'universitaire Julia Cagé que j'ai eu l'occasion d'écouter à l'Université de Chicago. Le principe de bâtir des "media vouchers (bon d'achat ndlr)" pour bénéficier de subventions, sans que l'Etat ne devienne le contrôleur de la presse, est aussi intéressant. Tout comme de donner la possibilité aux lecteurs de payer l'information directement, via le fléchage de ses impôts.

Entré en vigueur depuis presque deux ans, le RGPD, le règlement européen qui impose aux entreprises d'obtenir le consentement de leurs cibles sur l'usage de leurs données sous peine d'amendes, ne participe t-il pas à restaurer la confiance des citoyens ?

Le RGPD ne définit pas ce qu'est la vie privée; c'est une régulation des données personnelles. Dans le même temps, il est très aligné avec les attentes des utilisateurs. Il aide les bons acteurs à devenir meilleurs. Cela porte la concurrence à un nivellement par le haut.

Parmi ses détracteurs, il est reproché au RGPD de favoriser les positions de monopoles - vers ceux qui peuvent s'offrir une mise en conformité efficace -, d'accentuer le risque de fraudes et de hacking, ou encore pour les citoyens de maintenir la complexité sur la propriété de la donnée. Partagez-vous ces constats?

Tout cela indique que le problème se trouve d'abord sur la mise en application du règlement. Dix années seront nécessaires pour voir les effets du RGPD. En outre, il n'est qu'une partie de la solution.

Aussi, la façon dont le consentement est pensé peut-être amélioré. Il reste encore un travail de compréhension trop important pour l'utilisateur. L'idée serait donc de déboucher sur une situation acceptable.

Au final, il manque une approche globale sur la vie privée. Nous avons besoin d'une discussion claire sur ce qu'elle représente. En attendant de l'avoir, nous avons un peu de tout et n'importe quoi... parce que l'on pense que ça n'est qu'un sujet de régulation.

Je crois assez au W3C (le World Wide Consortium, l'organisme de standardisation à but non lucratif fondé par Tim Berners-Lee, l'un des pères du Web, en 1994 ndlr). C'est un lieu pour avoir ce genre de conversations, et surtout, de pouvoir les faire en public. L'organisation est, à l'heure actuelle, une des seules capable de porter ce débat dans la sphère publique.

Lire aussi : Au « New York Times », le combat d'un Frenchie à l'ère des fake news

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Commentaire 1
à écrit le 17/02/2020 à 20:07
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Pour qu’il y ai régulation , il faudrait que la source soit juste , authentique, équilibrée, rationnelle , Après 2000 , une vague internet sauvage sans contrôle , sans respect de rien , difficile d’en sortir , en bonne forme pour des générations et d...

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