Huawei, un dragon sur le gril

Miné par des sanctions américaines, le géant chinois des télécoms et des smartphones est entré en résistance. Il use d'un registre guerrier pour mobiliser ses troupes. En dépit de ses efforts, le groupe de Shenzhen commence à accuser le coup.
Pierre Manière
Ren Zhengfei, le patron et fondateur du Huawei, s'est dit prêt à partager ses secrets et son savoir-faire dans la 5G avec une entreprise occidentale et, pourquoi pas, américaine.
Ren Zhengfei, le patron et fondateur du Huawei, s'est dit prêt à partager ses secrets et son savoir-faire dans la 5G avec une entreprise occidentale et, pourquoi pas, américaine. (Crédits : Aly Song / Reuters)

Dans la tempête, le roseau « plie mais ne rompt pas ». Ces vers de La Fontaine illustrent bien l'état d'esprit de Huawei. Confronté à des sanctions américaines, le géant chinois des télécoms et des smartphones est entré en résistance. À travers le monde, les 194.000 collaborateurs du groupe chinois sont priés de cravacher pour ne pas céder au pilonnage du pays de l'Oncle Sam, qui le soupçonne d'espionnage pour le compte de Pékin. L'état-major de Huawei use d'un langage guerrier pour mobiliser ses troupes.

À Shanghai, dans un des plus gros centres de recherche et développement du groupe, l'appel à résister apparaît dès l'entrée. Dans cette bâtisse ultra-moderne de 880 mètres de long, une grande maquette d'un Iliouchine IL-2, un avion de chasse de la Seconde Guerre mondiale, accueille chaque matin les 15.000 employés. La pancarte est explicite: « On ne naît pas héros, on le devient. » Avant de préciser qu'un de ces chasseurs soviétiques, surnommés « tueurs de chars » pendant la guerre, a réussi à rentrer à bon port après avoir été criblé d'obus par les forces antiaériennes allemandes (voir illustration ci-dessous).

Huawei, Ilyouchine, WW2, Seconde Guerre mondiale

Dans ce document distribué par Huawei, le groupe appelle ses troupes à résister aux attaques américaines. (Crédits: DR)

La volonté est une chose, la réalité économique en est une autre. Aujourd'hui, l'empire de Huawei vacille sous les coups de l'Oncle Sam. Véritable fierté nationale, ce fleuron de la tech chinoise pâtit des sanctions de Washington. La situation du groupe s'est grandement fragilisée depuis que Donald Trump a signé, au printemps dernier, un décret visant à empêcher Huawei de s'approvisionner en technologies américaines. Pendant des mois, le groupe de Shenzhen a clamé que ces sanctions ne l'empêcheraient pas d'aller de l'avant. Qu'il avait anticipé ces attaques et disposait d'un « plan B »... Mais la semaine dernière, les obus américains ont sévèrement touché les ailes du dragon chinois. Les balles ont transpercé une de ses activités les plus importantes : celle des smartphones.

Des smartphones privés de Google

Le 19 septembre à Munich, Huawei a présenté ses derniers terminaux haut de gamme, les Mate 30 et Mate 30 Pro. Mais cette levée de rideau, très attendue, a viré à l'aveu de faiblesse. Une information a éclipsé l'avalanche d'innovations technologiques égrenée par Richard Yu, le patron de la branche Consumer Business du groupe : la série Mate sera la première à être privée des services de Google (Chrome, Google Map ou Youtube), pourtant considérés comme essentiels pour les Européens. La disparition du Play Store, le magasin d'applications de la firme de Mountain View, constitue un coup dur pour Huawei, puisqu'il permet de télécharger des services-clés comme Facebook, Instagram ou encore WhatsApp.

Si Huawei pourra toujours écouler ses terminaux en Chine - où les services des géants américains du Net sont interdits et difficilement accessibles -, le risque d'un fiasco commercial en Europe est grand. Lors du lancement des Mate 30 et Mate 30 Pro, Richard Yu n'a d'ailleurs pas pipé mot des pays où ils seront vendus. Ni à quelle date. Un cadre du groupe assure toutefois qu'ils seront bien disponibles en France. Quoi qu'il en soit, c'est la première fois que les sanctions américaines entravent l'activité de Huawei dans les terminaux. Ceux-ci représentent près de la moitié de son chiffre d'affaires, qui était de 107 milliards de dollars l'an dernier. Huawei est récemment devenu numéro deux mondial des smartphones. Il se situe derrière Samsung, mais devant Apple.

Dans le même temps, une autre grande activité du groupe est menacée. C'est celle, historique, des équipements télécoms, où Huawei est leader. Ces dernières années, celui-ci a investi des milliards de dollars dans la 5G, la prochaine génération de communication mobile. Alors que le déploiement de cette technologie débute à travers le globe, le géant chinois redoute d'être exclu de nombreux marchés. Plusieurs pays, comme les États-Unis et l'Australie, ont déjà banni Huawei du marché de la 5G.

Soupçons d'espionnage

De l'autre côté de l'Atlantique, les services de renseignements craignent que ses produits dissimulent des backdoors (des portes dérobées). Lesquelles permettraient à Pékin d'espionner les communications, ou de rendre les réseaux hors service. En Europe, plusieurs pays partagent ces préoccupations. Certains songent à interdire le groupe chinois et à s'aligner sur les États-Unis. D'autres, comme la France, via sa « loi Huawei » sur la sécurisation des réseaux, ont déjà pris des mesures pour limiter son emprise dans la 5G.

Pour Huawei, les enjeux économiques sont énormes. Après avoir consacré autant d'argent dans la 5G, il ne peut pas se permettre d'être mis sur la touche. Pour éviter d'être rejeté, Huawei a nommé de nouveaux lobbyistes, en lien direct avec Shenzhen, dans certains pays stratégiques comme la France, le Royaume-Uni ou le Japon. Leur tâche est claire : montrer patte blanche et tout faire pour rassurer les gouvernements et les entreprises sur ses intentions.

En France, Linda Han, la nouvelle patronne des affaires publiques de Huawei, s'est tout de suite mise au travail. Dans nos colonnes, il y a deux semaines, elle a affirmé qu'« aucune preuve n'a jamais été apportée sur les accusations d'espionnage » (La Tribune du 19 septembre 2019). Pour Huawei, la France et le Royaume-Uni sont des pays-clés, car influents. Le dragon chinois sait que les décisions de l'Élysée et du 10 Downing Street peuvent faire boule de neige, et inciter d'autres pays à s'aligner sur eux.

Une "transparence" à relativiser

En parallèle, Huawei mobilise son armada de communicants pour bénéficier, autant que possible, de retours positifs dans la presse. Pour contrer les accusations d'espionnage, l'industriel se veut transparent. Il a décidé d'ouvrir ses centres de R&D aux journalistes. Reste que ces visites relèvent parfois de la poudre aux yeux. La semaine dernière, La Tribune a pu entrer dans le centre de R&D de Huawei à Shanghai, mais n'a eu accès, in fine, qu'à un vaste showroom vantant les performances de sa 5G.

Le dernier « message de transparence » de Huawei a constitué une surprise. Dans un entretien au journal The Economist, Ren Zhengfei, le fondateur et dirigeant de l'industriel chinois, s'est dit prêt à partager ses secrets et son savoir-faire dans la 5G avec une entreprise occidentale, et pourquoi pas américaine ! La semaine dernière, Ken Hu, le président de Huawei, a précisé que cette initiative visait d'abord à calmer le jeu avec Washington, et à lever les « suspicions » de l'Ouest vis-à-vis de ses équipements.

Mais que penser de cette proposition du groupe chinois ? S'agit-il d'une vraie volonté de « renforcer la compétition » dans la 5G, comme le dit Ken Hu, en monnayant son savoir-faire ? Ou, plus simplement, d'un coup de communication ? Le savoir-faire de Huawei dans la 5G apparaît, de toute façon, inaccessible pour le commun des industriels. Interrogé sur son prix, Song Kai, le responsable de la communication du groupe, sourit, et évoque une somme de « quelques centaines de milliards » de dollars. De quoi refroidir les ardeurs les plus folles.

Pierre Manière

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Commentaire 1
à écrit le 30/09/2019 à 22:39
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l'IL2 n'a jamais été un chasseur mais un avion de support et d'attaque au sol. Ceci étant, c'est assez étonnant d'aller chercher chez le 'grand frère' d'en face l'iconographie pour motiver les troupes. D'autant qu'un avion criblé de trous n'a rien ...

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