Télécoms : « Nous avons remis de l’ordre dans la maison » (Marco Patuano, PDG de Cellnex)

Depuis un an à la tête de l’espagnol Cellnex, Marco Patuano, ex-PDG de Telecom Italia, explique, dans un entretien à La Tribune, sa stratégie visant à transformer le plus grand opérateur de tours télécoms d’Europe, aujourd’hui très endetté. Le groupe a, selon lui, cessé d’être la machine à deals qui a racheté, des années durant, des dizaines de milliers de pylônes à travers le continent, et s’est doté d’un vrai « projet industriel ».
Pierre Manière
Marco Patuano, le PDG de Cellnex.
Marco Patuano, le PDG de Cellnex. (Crédits : DR)

Sur le Vieux Continent, il est l'un des dirigeants les plus expérimentés des télécoms. A 59 ans, l'italien Marco Patuano a passé plus de 30 ans dans ce secteur, en particulier chez l'opérateur historique Telecom Italia, dont il fut PDG de 2013 à 2016. Le 4 juin 2023, c'est lui qui a repris les rênes de l'espagnol Cellnex, le numéro un européen des tours télécoms, alors en pleine tourmente. Un an tout juste après le début de son mandat, le dirigeant revient, dans un entretien à La Tribune, sur sa stratégie pour redresser l'entreprise. Si Cellnex est devenu incontournable dans le paysage des télécoms, celui-ci doit composer avec une situation financière épineuse et un endettement très élevé, fruit d'années d'acquisitions tous azimuts.

Ancienne filiale du gestionnaire d'autoroutes espagnol Albertis, Cellnex a grandi à une vitesse fulgurante au début des années 2010. Le groupe, alors méconnu dans les télécoms, se met à racheter à tour de bras des dizaines de milliers de pylônes de téléphonie aux opérateurs mobiles. L'espagnol Telefonica, le britannique BT, l'italien Wind, ou encore les français SFR, Free et Bouygues Telecom n'hésitent pas à lui vendre des dizaines de milliers de sites mobiles, assortis de contrats de location de longue durée pour y installer leurs antennes 3G, 4G, et maintenant 5G. « A l'époque, les opérateurs télécoms avaient désespérément besoin d'argent pour déployer leurs réseaux, se rappelle Marco Patuano. Cellnex a bénéficié d'une situation parfaite : d'un côté, les opérateurs voulaient vendre leurs infrastructures, et, de l'autre, l'argent n'était pas cher, avec des taux d'intérêt à zéro, et beaucoup de liquidités disponibles sur les marchés. »

Quintuplement du chiffre d'affaires

Cellnex est, d'après lui, la « towerco » (pour « tower company ») qui « a le mieux profité de cette situation en Europe ». Alors qu'il ne possédait, en 2016, que 15.000 sites mobiles sur le Vieux Continent, le groupe en gère désormais plus de 130.000 dans douze pays. Son chiffre d'affaires a, dans le même temps, plus que quintuplé, à 4 milliards d'euros. La France est devenu un des pays les plus importants de Cellnex, avec un parc de 24.000 pylônes.

Pour bâtir un tel empire, Cellnex n'a pas hésité à faire chauffer le chéquier. Afin de mettre la main, en 2020, sur les 24.600 pylônes du hongkongais CK Hutchinson en Italie, au Royaume-Uni et en Irlande, il débourse la bagatelle de 10 milliards d'euros. Ce deal, le plus gros jamais signé par Cellnex, illustre tout à la fois l'appétit du groupe espagnol comme la manière dont le marché a flambé ces dernières années. En 2015, se rappelle Marco Patuano, les towercos rachetaient en moyenne ces infrastructures à 14 fois l'Ebitda quand les multiples de l'époque se situaient plutôt aux alentours de 5 ou 6. Et en 2021, c'est sur un multiple de 32 fois l'Ebitda que l'espagnol Telefonica a vendu sa filiale de tours Telxius, poursuit le dirigeant.

Une explosion de la dette

Mais la croissance folle de Cellnex ne s'est pas réalisée sans contrepartie. Sa dette a, de fait, explosé. De 900 millions d'euros fin 2015, celle-ci a aujourd'hui passé la barre des 17 milliards d'euros ! Surtout, les nuages noirs ont commencé, il y a trois ans, à  s'amonceler au-dessus de sa tête. La remontée des taux conjuguée à un assèchement des actifs disponibles sur le marché a fini par inquiéter les investisseurs, jusqu'à plonger ce colosse aux pieds d'argile en pleine tempête. Alors que fin août 2021, le titre culmine à 60 euros à la Bourse de Madrid, sa valeur est divisée par deux un peu plus d'un an plus tard.

Dos au mur, Cellnex - dont la situation n'est pas sans rappeler celle d'Altice, la maison-mère de SFR -, décide de chambouler sa stratégie. Finies les coûteuses emplettes à crédit, et place au désendettement. Patron emblématique du groupe, Tobias Martinez finit, sous pression, par rendre son tablier au printemps dernier. C'est dans ce contexte électrique que Marco Patuano prend les commandes du groupe, avec la délicate mission de le remettre sur les rails et de regagner la confiance des investisseurs.

« Nous sommes plus que sauvés »

Cellnex est-il, désormais, tiré d'affaire ? « Nous sommes plus que sauvés », répond Marco Patuano. Il en veut pour preuve la sortie du groupe, en mars dernier, de la catégorie « spéculative » aux yeux de l'agence de notation Standard & Poor's, qui a salué son « engagement plus ferme à se désendetter ». Marco Patuano n'a désormais qu'un objectif : transformer une machine à deals en un vrai « projet industriel »« Nous avons réalisé 42 acquisitions, explique Marco Patuano. Quand vous en faites autant, nous n'avez pas le temps de faire autre chose... Il était nécessaire de mettre de l'ordre dans la maison. »

Pour faire de Cellnex « le meilleur opérateur de tours télécoms en Europe »dixit Marco Patuano, l'heure est désormais à « la simplification ». Sa priorité est de se défaire de certains actifs dans des pays jugés « non-stratégiques » afin d'alléger le fardeau de la dette. Ces derniers mois, Cellnex a notamment quitté l'Irlande en cédant ses tours dans ce pays à son rival américain Phoenix Tower pour près d'un milliard d'euros. Il a également vendu 49% de sa filiale au Danemark et en Suède pour 730 millions d'euros. Cellnex pourrait, très prochainement, dire adieu à l'Autriche.

Sécuriser les terrains accueillant les pylônes

Le groupe entend se concentrer sur les plus grands pays où il opère, et où il dispose d'une grosse part de marché. Il s'agit de la France, de l'Italie, du Royaume-Uni, de l'Espagne et de la Pologne. Dans les pays plus petits, Cellnex fait ses arbitrages selon le contexte économique, son positionnement, et ses perspectives de croissance. « La Suisse, le Portugal et les Pays-Bas ne sont pas les marchés les plus importants, explique Marco Patuano, mais en sommes satisfaits parce que nous bénéficions d'une présence solide. » Si le Portugal est un marché plus petit que la France, « nous y disposons d'une belle part de marché, de près de 50%, et nous avons deux bons clients ». En Autriche en revanche, « la situation concurrentielle singulière, où trois towercos disposent chacun d'un opérateur mobile préférentiel », a convaincu Marco Patuano de passer la main, mais « seulement s'[il obtient] un bon prix ».

Outre dégraisser le mammouth, Cellnex veut surtout devenir rentable alors que l'entreprise n'a plus dégagé de bénéfice depuis 2017. Sa stratégie est tout à la fois de réduire les coûts, d'augmenter le nombre d'opérateurs présents sur ses pylônes, sans négliger d'effectuer de « bons investissements », égrène Marco Patuano. En matière de réduction des coûts, le volet le plus important concerne la gestion des baux des terrains qui accueillent ses infrastructures. Cellnex travaille à la création d'une filiale dédiée, dont l'objectif sera soit d'acheter les terrains au meilleur prix, soit de les sécuriser en signant des contrats de long terme avec les propriétaires.

La menace de nouveaux arrivants

En France, cette initiative a aussi un aspect « défensif », souligne Marco Patuano. Dans l'Hexagone, Cellnex est confronté à la menace de nouveaux arrivants, à l'instar de Valocîme, sur le marché des tours télécoms. Ces acteurs, particulièrement agressifs, tentent de mettre la main sur les baux de Cellnex en proposant de meilleurs loyers aux propriétaires, afin de le chasser pour récupérer ses infrastructures. « Nous avons déjà investi 11 milliards d'euros en France pour déployer les réseaux des opérateurs, rappelle Marco Patuano. Il est difficile d'accepter que quelqu'un qui n'a pas dépensé un centime finisse par tirer profit de nos infrastructures. »

Certains estiment, toutefois, que ces nouveaux arrivants profitent du fait que Cellnex ne rémunère pas assez les propriétaires de terrains... Une affaire a récemment opposé Valocîme et Cellnex à Bénonces, un petit village de l'Ain. Le premier a chipé le bail du second, obligeant Cellnex à trouver, en urgence, un nouveau site pour ériger un nouveau pylône de téléphonie. La maire de Bénonces, qui craignait de perdre sa couverture mobile, a indiqué à La Tribune avoir vendu un terrain au groupe espagnol au prix, peu élevé, de 2.000 euros. « S'il est vrai que nous avons, dans ce cas précis, fait un profit injustifié, c'est une erreur, et je suis prêt à la réparer, affirme Marco Patuano. Mais il ne faut pas, pour autant, généraliser. Ce que nous payons en moyenne pour nos terrains est très supérieur à 2.000 euros. » Il rappelle aussi que Cellnex a dû, dans le cas de Bénonces, débourser environ 300.000 euros pour héliporter un nouveau pylône à proximité de l'ancien.

Cellnex plaide pour une consolidation en Europe

Alors qu'avec les élections européennes, les grands opérateurs comme Orange, Vodafone ou Deutsche Telekom se mobilisent pour que Bruxelles change sa politique à l'égard des télécoms, et permette au secteur de se consolider, Marco Patuano dit partager leurs préoccupations. « Je pense qu'aucun pays en Europe ne peut se permettre d'avoir quatre réseaux mobiles », affirme le PDG. « C'est illogique », renchérit-il, au regard de la taille des marchés et des prix bas qui sont pratiqués. Le dirigeant ne croît pas qu'une éventuelle réduction du nombre d'opérateurs mobiles plombera les affaires de Cellnex. « Cela ne me fait pas peur, explique-t-il. S'il y a moins d'opérateurs mobiles, il y aura plus de 'supers réseaux', plus efficaces, et nécessaires pour apporter la couverture mobile dont l'Europe a besoin. »

Pierre Manière

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Commentaire 1
à écrit le 29/05/2024 à 13:02
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vous avez bien lu bruxelles espere que la guerre sera encore d'actualite passe 2028 pour permette au avion qu'ils vont fournir a l'ukraine d'etre actif voila comment nos dirigeants espere la paix dans le monde

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