Paris espère relancer les négociations de Genève sur la Syrie

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La france contrainte a miser sur la diplomatie dans le dossier syrien[reuters.com]
(Crédits : © Philippe Wojazer / Reuters)

par Marine Pennetier et John Irish

PARIS (Reuters) - Quatre ans après le début de la crise syrienne, la France espère relancer les négociations de Genève en renforçant l'opposition modérée et en misant sur un infléchissement de la position de Moscou et de Téhéran, alliés indéfectibles de Bachar al Assad.

"La Syrie est aujourd'hui extrêmement fragmentée, l'Etat islamique monte dangereusement en puissance, il n'y aura pas d'intervention militaire internationale décisive, donc ce qu'il nous reste, c'est de mettre tout le monde autour d'une table", souligne une source diplomatique française.

"Ce qui peut nous faire espérer qu'on va y arriver, c'est que d'une certaine façon Daech (acronyme arabe de l'EI, NDLR) exerce une pression sur tout le monde et que tout le monde doit bouger, y compris les Russes et les Iraniens".

Le conflit, qui a commencé par un soulèvement pacifique contre le régime en mars 2011 avant de se transformer, sous l'effet de la répression, en rébellion armée, à laquelle se sont joints des groupes djihadistes, a fait plus de 200.000 morts et des millions de déplacés, selon les Nations unies.

Une fois passée la vague d'émotion et d'indignation, la communauté internationale s'est rapidement retrouvée déchirée sur la marche à suivre : d'un côté l'Occident préconisant un changement de régime ; de l'autre notamment la Russie, opposée à toute sanction contre Bachar al Assad.

Menées en février 2014 sous l'égide de l'Onu, les négociations dites de Genève I et II entre le régime et l'opposition se sont soldées par un échec faute de consensus sur la mise en place d'un "gouvernement transitoire disposant des pleins pouvoirs exécutifs" prévu par un accord adopté en 2012 et rejeté par Damas qui y voit la mise à l'écart d'Assad.

Depuis, la diplomatie patine. Une tentative menée fin janvier par Moscou, qui a réuni des représentants de l'opposition, s'est terminée sans avancée notable faute de la présence de la Coalition nationale syrienne (CNS), principale organisation de l'opposition en exil soutenue par l'Occident.

Envisagées à l'été 2013, des frappes aériennes internationales contre le régime syrien, fortement souhaitées à l'époque par François Hollande, ne sont plus à l'ordre du jour.

ÉLARGISSEMENT DE L'OPPOSITION

Pour Paris, la relance du processus de Genève passe avant tout par une restructuration de l'opposition modérée syrienne, marginalisée par l'implication grandissante de groupes djihadistes, comme le front al Nosra et l'Etat islamique.

"Le soutien à l'opposition modérée en Syrie reste une donnée fondamentale", souligne-t-on à Paris. "Quand il faudra revenir à la négociation, il faudra des acteurs de l'opposition qui puissent prendre en charge cette négociation comme ce fut le cas à Genève. Il faut éviter que ces forces disparaissent."

Pour limiter ce risque, la France - où le chef de la CNS Khaled Khoja a été reçu jeudi par François Hollande - va renforcer son soutien à l'opposition modérée dans le cadre de l'opération "formation et équipement" des Etats-Unis, indique un diplomate, sans fournir plus de précisions.

Paris, qui apporte son aide aux combattants kurdes et aux forces irakiennes en Irak contre l'EI, est peu prolixe sur l'aide apportée à la rébellion syrienne et refuse, entre autres, de préciser ses relations avec les Kurdes du PYD dont une délégation a été reçue par Hollande en février, une première.

A l'heure actuelle, la France équiperait un "certain nombre de katibas syriennes bien identifiées" qui affrontent les forces de Bachar al Assad, selon une source proche du dossier.

COULISSES

En coulisses, la France s'active. Elle a récemment orchestré la tenue de pourparlers dans le plus grand secret entre le CNS et le comité national pour le changement démocratique (CNCD), basé en Syrie et toléré par le régime.

"Nous avons une nouvelle stratégie qui consiste à prendre l'initiative et à dialoguer avec les mouvements qui ne font pas partie de la coalition", explique Khaled Khoja dans une interview à Reuters.

"L'objectif ultime, c'est d'avoir une assemblée générale qui intègre toutes les parties qui veulent une Syrie nouvelle et ont une position commune en vue d'un éventuel processus de négociation avec le régime sur la base des accords de Genève I".

A Paris, l'élargissement de la base de l'opposition est jugé crucial pour convaincre la Russie et l'Iran d'exercer une plus grande influence sur le président syrien.

Avec une opposition élargie et davantage représentative, "il sera plus compliqué pour le régime syrien de dire que la coalition n'a pas de légitimité et ça permettra d'offrir une alternative crédible pour la Russie notamment et l'Iran afin qu'ils puissent exercer une vraie pression sur Assad pour accepter de négocier à proprement parler".

Fortement espéré, l'infléchissement de la position de Moscou et de Téhéran vis-à-vis de Damas ne va toutefois pas être une partie facile, reconnaît-on à Paris, où l'on ne s'attend pas à une "conversion des acteurs" mais parie plutôt sur un changement de ligne face à la menace grandissante de l'Etat islamique.

La prudence est de mise. Certes François Hollande est sans doute "le seul dirigeant à prendre encore le temps de parler Syrie avec Poutine", certes Moscou partage le même constat "d'affaiblissement structurel" de Bachar al Assad, mais pour l'heure "la disponibilité de Poutine n'est pas vérifiée".

La manche est également loin d'être gagnée avec l'Iran, autre allié indéfectible de Damas, qui fournit soutien financier et aide militaire aux forces gouvernementales syriennes.

Sur le terrain, les lignes de front changent peu. Les deux camps sont capables d'occuper des territoires mais ne sont pas en mesure de rétablir le contrôle sur l'ensemble du territoire, dans le cas de Bachar al Assad, ou de renverser le régime.

La ligne de Paris, qui a récemment dû réaffirmer son refus de dialoguer avec Bachar al Assad après la visite d'élus français, n'évolue pas non plus.

"La question n'est même pas de savoir si on doit fréquenter quelqu'un d'infréquentable, la question est d'avoir un interlocuteur opérationnel. Assad n'est pas opérationnel face à Daech", dit-on à l'Elysée.

(Edité par Yves Clarisse)