Les flammes crépitent tandis qu'une douce odeur boisée s'échappe de l'âtre devant lequel s'est réunie toute la famille pour se réchauffer les mains. L'image a de quoi séduire à l'approche des fêtes de Noël qui, pour certains, ne sauraient se dérouler sans un bon feu de cheminée. D'autant plus cette année, marquée par la flambée des prix de l'électricité et du gaz. Pour autant, ce plaisir hivernal n'est pas sans danger.
Bien qu'il soit considéré comme une énergie renouvelable, il rejette en effet des particules fines pendant la combustion de bûches ou de granulés de bois. A titre d'exemple, un an de chauffage au bois dans un équipement ancien - une pratique largement répandu en France - émet autant de particules fines qu'un véhicule diesel parcourant trente fois le tour de la terre, selon Airparif, l'organisme chargé de la surveillance de la qualité de l'air en Île-de-France. Résultat : le chauffage au bois domestique est ni plus ni moins que le premier émetteur de particules fines en France, devant le trafic routier, la construction ou encore l'industrie manufacturière.
Des particules qui pénètrent dans l'organisme
Selon le Citepa, association indépendante œuvrant à la transition écologique en France et dans le monde, les émissions de particules fines issues de ce chauffage au bois ont constitué, en 2018, 27,5% des émissions nationales en PM10 (particules en suspension dans l'air de 10 micromètres, ndlr), 43,3% des émissions en PM2.5 (2,5 micromètres), et 55,3% des émissions en PM1.0 (1,0 micromètre).
Or, ce sont ces deux dernières qui sont les plus « toxiques », explique Nhân Pham-Thi, allergologue et pneumo-pédiatre, membre de la société française d'allergologie (SFA). Les plus fines parviennent, en effet, à passer la barrière des voies respiratoires. Elles peuvent ensuite « circuler dans l'organisme par les vaisseaux. Elles vont s'accumuler dans les tissus du corps et même du cerveau et vont aggraver, parfois générer, des inflammations », alerte-t-il.
Elles sont donc particulièrement dangereuses pour des personnes fragiles, âgées ou malades. « Si vous faites de l'asthme, par exemple, et que vous absorbez un certain nombre de ces particules, votre pathologie va s'aggraver ». Même chose pour ceux qui souffrent de problèmes cardio-vasculaires : le risque de faire un accident vasculaire cérébral ou un infarctus s'accroît, ajoute l'allergologue selon qui des études ont montré l'existence d'un lien entre, d'un côté, cette pollution aux particules fines et ultrafines et, de l'autre, la maladie d'Alzheimer ou encore la dépression.
« C'est aussi dangereux pour les enfants, car ils sont en pleine croissance. Des études ont d'ailleurs montré que dans les endroits à forte pollution aux particules fines, les bébés naissaient plus petits. Leur QI peut aussi en être affecté », précise-t-il.
Selon une étude de Santé publique France (SPF) réalisée entre 2016 et 2019, près de 40.000 décès seraient attribuables chaque année à une exposition des personnes de 30 ans et plus aux particules fines. L'étude ne prend en compte toutefois que les PM2,5. A l'échelle de l'Union européennes, ce ne sont pas moins de 238.000 décès prématurés enregistrés en 2020, selon un rapport de l'Agence européenne de l'environnement (AEE) publié le 24 novembre.
« La vallée la plus polluée de France »
Le risque est d'autant plus présent dans certaines régions de France où l'on retrouve ces particules en grande quantité. C'est notamment le cas en Île-de-France. D'après Airparif, le chauffage au bois domestique y est responsable de près de 47% des émissions de particules fines, contre 20% pour le transport routier, selon des chiffres de 2018. « Le problème en Île-de-France, c'est la densité. Il y a donc un niveau de particules fines très élevé dans l'air, car ces dernières se diluent plus difficilement que dans une région avec plus d'espace », commente Airparif auprès de La Tribune.
Il existe un autre endroit où la quantité de particules dans l'air inquiète tout particulièrement. Antoine Martin, retraité de 65 ans, en a fait son combat. Lui qui réside dans la vallée de l'Arve, rebaptisée « vallée la plus polluée de France », se désole de voir un voile de pollution s'étendre dès les premiers mois d'hiver. Quand les températures baissent, les habitants de cette vallée alpine située en Haute-Savoie allument leur chauffage. Et pour beaucoup, il fonctionne au bois. En 2015, à la suite d'une alerte lancée par Frédéric Champly, chef des urgences des Hôpitaux du Pays du Mont-Blanc, Antoine Martin décide de rejoindre l'association pour le respect du site du Mont-Blanc (ARSMB). Créée après l'incendie du tunnel du Mont-Blanc en 1999 pour militer en faveur de l'interdiction de la traversée du tunnel par les camions, l'association cherche aujourd'hui à faire interdire le chauffage au bois.
« Il y a très peu de vent dans la vallée. Quand il fait froid et beau, les polluants s'accumulent au fond de celle-ci et, au fur et à mesure, on monte à des niveaux très dangereux qui dépassent les normes de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour les PM2,5 », assure le président de l'ARSMB. Selon lui, « c'est comme si vous allumiez un barbecue dans votre salon et que vous n'ouvrez pas la fenêtre, vous n'allez pas tarder à être asphyxié ».
Dans une enquête sur les impacts sanitaires de la pollution atmosphérique dans la vallée de l'Arve publiée en 2017, Santé Publique France (SPF) constate, en effet, des « dépassements des valeurs réglementaires ». En 2012-2013, « environ 8 % de la mortalité annuelle dans la vallée de l'Arve est attribuable à l'exposition chronique aux particules fines », estime SPF. Soit un seuil équivalent à celui qu'on retrouve dans les agglomérations françaises de taille moyenne, contre environ 13% dans celles de très grandes tailles. « Une diminution des concentrations de PM2,5 de 30 % permettrait d'éviter 45 décès par an, soit près de 4 % de la mortalité de la zone », indique-t-elle encore.
Un chauffage d'appoint devenu source principale de chaleur dans les foyers
Cette situation pourrait s'aggraver cette année. « Je l'ai observé, les réserves de bois aux alentours des maisons sont remplies encore plus que d'habitude », déplore Antoine Martin. Provoquée par le déclenchement de la guerre en Ukraine, la flambée des prix du gaz et de l'électricité a, en effet, poussé bon nombre de Français à se tourner vers le chauffage au bois. Sept millions possèdent déjà un tel système pour chauffer leur habitation, dont près de la moitié des personnes vivant en milieu rural et périurbain et une sur dix en ville. « Souvent utilisé comme chauffage d'appoint, cela va devenir la source principale pour beaucoup de ménages dans la vallée qui ne vont plus toucher à leur gaz ni à leur électricité », s'inquiète Antoine Martin qui soupire : « les gens sont persuadés que le chauffage au bois est sain parce que c'est naturel, mais c'est le plus polluant qui existe ».
Selon l'Agence de la transition écologique (Ademe), le bois est déjà la source de chauffage principale pour plus de trois millions de Français. S'il n'échappe pas à la flambée des prix de l'énergie, le bois de chauffage, qu'il soit en bûche ou en granulé, reste néanmoins très économique, témoigne Damien Mathon, secrétaire général du groupe Poujoulat qui fabrique et commercialise des conduits de cheminées ainsi que du bois en bûche et en granulés. « Même si nous avons dû augmenter nos tarifs, le prix du kilowattheure s'élève à 10 centimes pour le bois contre 8 l'année dernière, quand celui du gaz grimpe à 12 centimes », assure-t-il, confirmant l'attrait pour ce dispositif.
Remplacer plutôt que supprimer
Les pouvoirs publics ne désavouent pas pour autant ce type de chauffage considéré comme écologique au motif que la combustion du bois émet autant de CO2 que la quantité absorbée par les arbres lorsqu'ils poussent... A condition que chaque arbre coupé soit remplacé par un nouveau.
La France vise même l'objectif de porter le nombre de logements ayant adopté le chauffage au bois à 9,5 millions d'ici à 2023 et à 11,3 millions en 2028, à consommation de bois constante. Tout en affichant l'ambition de réduire de 50% d'ici à 2030 les émissions de polluants du chauffage au bois domestique, selon le plan d'action publié le 23 juin 2021 par l'ancienne ministre de la Transition Écologique, Barbara Pompili.
Pour cela, le ministère milite en faveur d'un renouvellement des équipements vieillissants. Au palmarès des plus polluants, la cheminée à foyer ouvert occupe la première place. Selon l'Ademe, les appareils jugés non-performants et donc plus émetteurs de particules fines sont ceux datant d'avant 2002. Or, ils concernent encore une grande part du parc de chauffage au bois en France. Pour y remédier, l'Etat multiplie les aides financières afin d'inciter les ménages à renouveler leurs équipements. C'est notamment le but de « Ma PrimeRénov ». Certaines zones, comme la région Île-de-France, la vallée de l'Arve, la Métropole de Lyon ou encore le Grand Annecy, peuvent également faire appel au Fonds Air Bois. En outre, le Parlement a adopté définitivement vendredi, par un vote du Sénat, un dernier budget rectifié pour 2022, avec parmi les autres dispositions cette aide de 230 millions d'euros pour les ménages se chauffant au bois. Pourront y accéder les Français qui gagnent jusqu'à 2.260 euros pour une personne seule et jusqu'à 4.750 euros pour un couple avec deux enfants. L'aide ira de 50 à 200 euros et le guichet ouvrira le 22 décembre.
Ces aides n'étant assorties d'aucune obligation ni interdiction, les objectifs de réduction des émissions de particules fines et ultrafines restent cantonnés à la bonne volonté des Français. Seule la vallée de l'Arve a vu les cheminées à foyer ouvert être interdites, selon un arrêté datant de décembre 2019 et entré en application le 1er janvier 2022. A Paris, l'interdiction instaurée en 2013 a finalement été levée deux ans plus tard (autorisé en chauffage d'appoint seulement), et ce, avec l'appui de la ministre de l'Ecologie de l'époque, Ségolène Royal. Mais qu'il s'agisse d'interdiction ou de remplacements d'équipements anciens, « c'est difficile de contrôler, on ne va pas aller chez les gens », admet l'ADEME qui préfère mettre en avant le travail de communication mené pour sensibiliser aux bons comportements.
Et pour cause, même avec un appareil dernier cri, il faut apprendre à faire du feu. Cela passe par un appareil récent et performant, mais surtout bien installé et dimensionné à la taille de l'habitation, car, sous-utilisé, il polluera. Le bois doit, par ailleurs, être de bonne qualité, sec et bien conservé. L'allumage du feu doit également se faire dans les règles. Enfin, l'entretien de l'appareil doit être réalisé régulièrement.
Des règles qui permettent également d'écarter le risque d'incendie. « Chaque année à l'approche de l'hiver, les sapeurs-pompiers connaissent une recrudescence des interventions pour ce type de sinistre lié à la reprise de l'activité de chauffage dans les habitations », alerte le Service départemental d'incendie et de secours (Sdis) du Loir-et-Cher sur son site, expliquant que « la cause la plus fréquente est le défaut de ramonage » des cheminées. « C'est beaucoup de choses, mais, en même temps, c'est à la portée de tout le monde », résume l'Ademe. Mais « tout le monde » applique-t-il ces consignes ? Rien n'est moins sûr. Et là, encore, impossible de contrôler.
Des particules trop fines pour être quantifiées
Un critère est néanmoins obligatoirement respecté : celui d'acquérir un équipement labellisé « flamme verte », nécessaire pour pouvoir bénéficier des aides de l'Etat. Ce label a été lancé en 2000 par les fabricants d'appareils domestiques de chauffage au bois avec le concours de l'Ademe et garantit une plus grande performance énergétique et environnementale aux appareils. Pourtant, « même si on rend ces installations plus performantes, on ne résoudra pas l'intégralité du problème », admet Airparif qui indique qu'il y a « un ratio d'un à dix » en matière d'émission de particules « entre l'usage d'un foyer ouvert et une chaudière récente ». « Mais même cette dernière reste beaucoup plus émettrice qu'un chauffage au gaz ou même au fioul », nuance-t-il. D'autant qu'il « n'existe pas de seuil protecteur en deçà duquel aucun impact sanitaire ne serait observé », indique SPF dans son étude dédiée à la Vallée de l'Arve.
Jean-Baptiste Renard, directeur de recherche au CNRS à Orléans, spécialiste des particules fines et membre du conseil scientifique de l'association Respire s'interroge d'ailleurs sur la performance de ces systèmes jugés de meilleure qualité. Certes, plus le système de chauffage est performant, moins la combustion crée de particules, mais elles sont aussi plus petites donc plus nocives. En outre, elles sont plus difficiles à quantifier. « Les normes en masse ne sont pas adaptées, car on cumule tout ce qui a été émis et on le pèse. Or, les particules ultrafines ne pèsent quasiment rien alors que leur nombre est très important. D'où l'intérêt de les compter », explique le chercheur. Enfin, Jean-Baptiste Renard souligne l'absence de relevé concernant les émissions d'hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), des gaz émis lors de la combustion et potentiellement cancérigènes. « Il y a beaucoup d'imprécision », reconnaît l'ADEME qui assure que « des recherches sont faites constamment et des projets en cours » à ce sujet sans donner plus de précisions.
Alors pourquoi ne pas interdire totalement le chauffage au bois, du moins dans les zones les plus soumises à la pollution aux particules fines ? Du côté de l'Ademe, on répond que « c'est compliqué ». Contacté par La Tribune, le ministère de l'Energie n'a pas donné suite. C'est pourtant le sort réservé aux véhicules de la catégorie Crit'Air 3 (moteurs diesel d'avant 2011, essence d'avant 2006), à partir du 1er juillet 2023 au sein de la zone à faibles émissions mobilité (ZFE-m) en Île-de-France. Ailleurs dans le monde, la mesure est déjà en place. Depuis 2015, la ville de Montréal au Canada interdit d'utiliser son appareil ou foyer au bois durant les avertissements de smog (brouillard composé de particules fines et d'ozone) ce qui a contribué à faire diminuer de 35% les émissions de particules fines liées à ce type de chauffage en 2018-2019. À l'heure de la flambée des prix de l'énergie et du risque de pénurie, la France n'est définitivement pas prête à suivre l'exemple.
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