Production d'hydrogène vert : « Tout le monde est en retard » (Valérie Ruiz-Domingo, Engie)

ENTRETIEN. Jusqu'à présent, les projets de production d'hydrogène renouvelable de taille industrielle ont eu du mal à décoller en raison notamment d'un manque de visibilité sur la réglementation européenne, mais aussi d'un problème de fiabilité des électrolyseurs. C'est le constat dressé par Valérie Ruiz-Domingo, vice-présidente hydrogène pour Engie. Pour La Tribune, elle revient sur les questions qui se posent encore sur le développement de cette filière.
Valérie Ruiz-Domingo, vice-présidente hydrogène pour le groupe Engie.
Valérie Ruiz-Domingo, vice-présidente hydrogène pour le groupe Engie. (Crédits : Engie)

LA TRIBUNE - Pouvez-vous nous rappeler la feuille de route du groupe dans le domaine de l'hydrogène ?

VALÉRIE RUIZ DOMINGO - Le groupe Engie vise une production de 4 gigawatts (GW) d'hydrogène renouvelable en 2030. Au même horizon, nous ciblons 700 km de tuyaux dédiés à l'hydrogène ainsi qu'un térawattheure de stockage dédié en sous-sol. Nous souhaitons également disposer de plus de 100 stations de ravitaillement d'hydrogène. Sur les objectifs de production, le périmètre est mondial. Concernant les infrastructures, le champ d'action est franco-européen. Quant aux stations de distribution, nous visons en priorité la France. Au total, le groupe prévoit une enveloppe de 4 milliards d'euros à l'horizon 2030 pour réaliser ces investissements, y compris dans les infrastructures. Pour l'heure, nous n'avons pas de feuille de route au-delà de cette échéance.

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Dans quelles régions du monde seront développés les projets de production ?

Nous prévoyons de produire environ 2 GW d'hydrogène en Amérique du Nord et en Amérique Latine. Nous envisageons également de produire entre 1 et 2 GW sur la zone Moyen-Orient, notamment aux Emirats arabes unis et à Oman [le groupe, à la tête d'un consortium, vient de décrocher un méga contrat pour produire de l'ammoniac vert à partir d'hydrogène. L'objectif est de produire 1,2 million de tonnes par an à destination de la Corée du Sud, ndlr], sans oublier l'Europe si le cadre régulatoire le permet, et potentiellement d'autres pays.

Il y a quelques mois, Engie a reconnu que certains projets de production mettaient plus de temps à voir le jour que les délais anticipés, tout en maintenant ses objectifs pour 2030. Comment expliquez-vous ce retard à l'allumage ?

Tous les acteurs sont concernés. Cela s'explique par le contexte de marché et régulatoire. Nous avions un manque de visibilité sur la régulation européenne. Après presque 18 mois d'attente, les actes délégués ont enfin été publiés le 20 juin dernier par la Commission européenne. Nous espérons que cela va permettre d'accélérer le développement de tous les projets.

Un autre frein a été identifié du côté des fabricants d'électrolyseurs, où nous constatons un problème sur la fiabilité des équipements. La technologie alcaline est maîtrisée depuis une quinzaine d'années, mais les fabricants doivent répondre à de nouveaux standards européens. Ils sont désormais obligés de s'engager sur des performances énergétiques. Ce sont des contraintes qui sont fortes. Il y a donc une courbe d'expérience où l'on apprend tous en même temps, alors qu'on aurait pu imaginer que c'était déjà acquis. Lorsque nous faisons des appels d'offres, cela prend plus de temps que prévu. Nos concurrents sont exactement dans la même situation.

Ces deux contraintes (sur la régulation et la fiabilité) expliquent que tout le monde est en retard par rapport à différents objectifs. À cela, s'ajoute la longueur des procédures en Europe pour l'obtention du financement de nos projets. Entre le moment où nous déposons un dossier de candidature dans le cadre d'un Projet important d'intérêt européen commun (PIIEC) ou le fonds d'innovation, et le moment où nous savons que nous sommes sélectionnés pour obtenir un financement, deux années peuvent s'écouler. C'est une contrainte temporelle que personne n'avait vue non plus.

Enfin, l'Etat français a décidé de ne pas financer les projets d'infrastructures comme les stockages et les pipes qui seraient dédiés à l'hydrogène. Les autorités publiques françaises considèrent que ce sera envisageable post 2030, mais cela n'entre pas dans l'enveloppe des 9 milliards d'euros consacrée à la stratégie hydrogène du pays. Nous ne sommes pas à l'abri d'une bonne surprise lors de la révision de la stratégie prévue cet été, mais nous n'avons aucune certitude. Sur nos projets, cela explique que nous restons à l'échelle de démonstrateurs, car, sans financement, c'est très compliqué d'aller au-delà et d'accélérer.

En France, le rythme de développement des énergies renouvelables est-il suffisant pour produire de l'hydrogène vert par électrolyse ?

Nous avons effectivement un gros sujet français : les volumes disponibles des renouvelables. Le rythme de développement n'est pas suffisant. Nous avions demandé qu'au sein de l'enveloppe des énergies renouvelables qui doit absolument être déployée, il y ait un volume qui soit dédié à la production d'hydrogène. Ce que nous n'avons pas encore obtenu aujourd'hui. Donc, sans renouvelables, cela va être très difficile de faire de la production d'hydrogène vert en France, voire en Europe, car il y a la compétition avec les Etats-Unis, qui pourraient attirer de nombreux investisseurs grâce au déploiement de l'Inflation reduction act (IRA).

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Justement, il y a quelques mois, Catherine MacGregor partageait ses craintes quant au risque d'une réglementation européenne trop restrictive pour faire émerger un marché. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Le fameux critère de temporalité va être très contraignant, car jusqu'en 2028, il y aura un pas de temps à la journée et post 2028, le pas de temps ce sera à l'heure. Concrètement, si nous vulgarisons, cela signifie que la production générée par un parc solaire ou éolien devra être utilisée dans l'heure par les électrolyseurs pour produire de l'hydrogène. Autrement dit, cela signifie que vous ne pouvez pas produire de l'hydrogène quand vous le souhaitez. C'est très contraignant. Il y a tout de même eu une progression, car initialement les textes européens prévoyaient un pas de temps de 15 minutes. Mais cela va vraiment poser un problème à tous les acteurs en Europe.

Est-ce que cela signifie que cela pourrait tuer une filière qui n'est pas encore née ?

Il ne faut pas faire de généralité, tout dépendra de la position géographique des projets et de la dépendance des renouvelables. Toutefois, si nous additionnons toutes les contraintes précédemment mentionnées, certains porteurs de projets décideront de développer leur projet ailleurs qu'en Europe. Une chose est sûre, tous les acteurs regardent d'autres continents. L'Europe a été pionnière, il y a quelques années, en voulant créer un cadre, mais la difficulté d'aligner l'ensemble des acteurs entraîne des contraintes que les autres régions du monde n'ont pas.

L'Allemagne a mis en place une plateforme qui permet de subventionner l'importation d'hydrogène et ses dérivés. Que pensez-vous de cette initiative ?

Cette plateforme fonctionne sous la forme de vente aux enchères. Certains projets seront sélectionnés et c'est l'Etat allemand qui compensera le différentiel de prix qu'il y aura entre celui des projets proposés et le prix des acheteurs potentiels. C'est un instrument très puissant. Les Pays-Bas vont dupliquer exactement la même chose. Cela fait très longtemps que l'on demande des contrats pour différence comme celui-ci. Nous avions demandé à l'Etat français de participer à cette plateforme, mais c'est une voie qui n'a pas été retenue. Les autorités françaises restent sur une ligne de dire qu'on va produire et consommer l'hydrogène en France. Elles ne parlent jamais d'importation, contrairement à l'Allemagne, qui a toujours dit qu'il y aurait très peu de production sur son sol et qui prévoit d'importer massivement.

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Pour importer cette molécule, l'Allemagne prévoit justement de se tourner vers la Namibie, qui souffre d'un stress hydrique chronique. Or, pour générer de l'hydrogène, l'électrolyse nécessite de grandes quantités d'eau pure. Certains observateurs dénoncent un « néocolonialisme vert ».Ces critiques sont-elles justifiées selon vous ?

Engie, pour sa part, n'ira  pas faire de projet en Namibie. Plus généralement, il faut bien sûr tenir compte de la rareté de l'eau au même titre que la rareté des renouvelables que j'évoquais précédemment. Je pense qu'il ne faut pas entrer dans ce type de débat. On constate que certains essaient d'opposer différents procédés : l'hydrogène renouvelable, l'hydrogène produit à partir du nucléaire et l'hydrogène bleu [produit avec du gaz naturel, associé à un système de captage de CO2, ndlr]. Nous, ce que nous disons c'est que le marché n'est pas mature et que nous avons besoin de toutes les sources d'énergies pour développer la filière. Nous avons des objectifs dans l'hydrogène renouvelable, mais si transitoirement il faut développer de l'hydrogène bleu, nous le ferons.

Alors que l'Europe a choisi de soutenir la demande d'hydrogène propre, les Américains, eux, se concentrent sur l'offre...

Effectivement, les textes européens comme RED 2 et RED 3 [les directives sur les énergies renouvelables, ndlr] ou encore le paquet Fit for 55 fixent des niveaux de décarbonation pour les industriels, ce qui stimule la demande. Les Américains, eux, se focalisent sur la production avec un système très simple via les crédits d'impôts. Il n'y a pas de système de procédure de sélection. C'est donc très séduisant sur le papier. Mais attention, attendons de voir les décrets d'application de l'IRA, qui ne sont pas encore sortis. Nous ne savons pas s'ils vont s'inspirer de certaines contraintes européennes, comme le critère de temporalité, pour l'appliquer sur le sol américain.

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Commentaires 15
à écrit le 25/06/2023 à 3:03
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Valerie n'est pas au courant qu'il y a un petit pays tres innovant qui fabrique sur cinq sites industriels de l'hydrogene " bleu", c'est a dire sans aucun rejets polluants dans l'atmosphere. Plus de 370 stations sur routes et autoroutes disponibles, ...

le 25/06/2023 à 12:07
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S"agissant de l’hydrogène bleu, c'est essentiellement une forme d’hydrogène gris, c’est à dire d’hydrogène produit à partir d’énergies fossiles, dont on capte (encore très mal) les émissions résiduelles lors de la production pour éviter qu’elles ne s...

le 25/06/2023 à 13:54
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et aussi la recherche de site d'exploitation de l'hydrogène naturel cela fait de la france des dirigeants stupide comme pour l'exploitation de l'uranium ne pas toucher a celui du sous sol francais dixit raymond barre 1er en fonction.

à écrit le 24/06/2023 à 17:00
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Ok, qualités de l'h2 : il est relativement facile à produire, se stocke bien sur ses périodes longues, se transporte par pipe. On peut l'utiliser tel quel mais aussi le transformer en méthane, méthanol puis essence, diesel , kerosene, parafine, voire...

à écrit le 24/06/2023 à 12:31
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"Tout le monde est en retard" techniquement, réglementairement mais ça va exiger d'avoir une grande quantité d'énergie électrique disponible pour ce faire. Ajoutée aux usages habituels (sobriété de tous les jours exigée, les bornes pour wattures et P...

à écrit le 24/06/2023 à 11:23
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Hydrogen vert de gaz naturel quelle ecologie.

à écrit le 24/06/2023 à 10:59
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La solution développé au Japon et Corée du Sud ?: la pile à hydrogène .. trains camions et 800000 voitures dans ces 2 pays roulent ainsi … piste à explorer … en Allemagne ia filiale de la sncf fait rouler des trains à l hydrogène … pour l’instant in...

à écrit le 24/06/2023 à 10:59
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La solution développé au Japon et Corée du Sud ?: la pile à hydrogène .. trains camions et 800000 voitures dans ces 2 pays roulent ainsi … piste à explorer … en Allemagne ia filiale de la sncf fait rouler des trains à l hydrogène … pour l’instant in...

à écrit le 24/06/2023 à 10:57
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La solution développé au Japon et Corée du Sud ?: la ce pila à hydrogène .. trains camions et 800000 voitures dans ces 2 pays roulent ainsi … piste à explorer … en Allemagne ia filiale de la sncf fait rouler des trains à l hydrogène … pour l’instant...

à écrit le 24/06/2023 à 9:41
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Détruire des sources d'énergie pour en construire d'autres et en faire une pub ! What else !

à écrit le 23/06/2023 à 21:11
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Blocage numéro 1 : "Les fabricants d'électrolyseurs sont obligés de s'engager sur des performances énergétiques" Blocage numéro 2 : "la production générée par un parc solaire ou éolien devra être utilisée dans l'heure par les électrolyseurL pour p...

à écrit le 23/06/2023 à 20:14
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@Albert- Dangereux l'hydrogène? Non, le Hindenbourg...on a à peine eu le temps de le voir brûler

le 23/06/2023 à 23:56
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Et encore ce n'était pas de l'hydrogène à 700 bar. A la moindre fuite suite à un accident, c'est un chalumeau avec une flamme invisible (ne se voit qu'en ultra violet). Je ne parle même pas d'une véritable aubaine pour terroristes.

le 24/06/2023 à 8:35
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Citons également la propension de ce gaz à migrer au travers de la moindre fissure du métal que celle-ci soit inter ou trans granulaire, alors l'usure par le temps des organes d'étanchéité...

à écrit le 23/06/2023 à 19:13
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Que l’on cesse l’appellation tendancieuse d’hydrogène vert mais que l’on cite les sources de production, trois grandes filières connues : la plus importante actuellement celle du Reformage (injection de vapeur surchauffée sur du méthane par exemple) ...

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