Pour un partenariat "vertical" Europe-Méditerranée-Afrique

L'ancien ministre espagnol des Affaires étrangères ne se contente pas ici d'analyser pour La Tribune les échecs de la politique étrangère européenne. Il propose une vision nouvelle: la "verticale" Europe-Méditerranée-Afrique. Par Miguel Ángel Moratinos, diplomate et homme politique espagnol (PSOE).
Miguel Ángel Moratinos, ancien ministre des Affaires étrangères et de la Coopération de l'Espagne, dans le gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero, entre 2004 et 2010.

Les relations entre l'Afrique et l'Europe n'ont pas toujours été un exemple dont nous pourrions nous sentir fiers. Notre histoire est remplie de lumières et d'ombres. Nos jugements sur le passé rendraient troubles toute approche présente et surtout toute nouvelle politique qui voudrait construire un futur partenariat juste et positif.

Parler du continent africain au début du XXIe siècle, c'est se souvenir de la définition donnée par l'ancien directeur général de l'Unesco Federico Mayor Zaragoza, quand il a dit que l'Afrique n'est pas un continent pauvre, mais un continent appauvri ; que l'Afrique n'est pas un vieux continent, mais tout le contraire, un continent plein de vitalité et de promesses.

Face à cet espace dynamique et déterminé, l'Europe est considérée aujourd'hui comme l'enfant malade de la nouvelle globalisation. Les crises économiques et financières, le déficit démographique, l'épuisement de nos organisations politiques, inadaptées aux défis et aux changements de la nouvelle réalité sociale et technologique, nous font sentir un certain degré de pessimisme et de fatigue difficile à éliminer dans les esprits afin de mettre en place un nouvel élan géopolitique. Néanmoins, plus que jamais, l'Afrique et l'Europe ont besoin l'une de l'autre. La proximité et la complémentarité sont les deux concepts clé dans cette nouvelle étape de nos relations.

Jusqu'à présent, la politique africaine de l'Union européenne a été prise en otage par les anciennes métropoles ou ignorée par la majorité des pays européens. Cet abandon stratégique sur un espace géopolitique vital s'est agrandi pendant les dernières décennies.

Paradoxalement, les pères fondateurs de l'Europe (Robert Schuman et Jean Monnet) faisaient référence à l'Afrique dans leurs premiers textes européens, et l'Afrique du Nord fut la seule région mondiale qui vit s'établir tout de suite les premiers accords de coopération entre la Communauté économique européenne (CEE) et des partenaires étrangers. Mais cette politique nord-africaine de l'Europe se verra pratiquement érodée par un manque de vision claire et de stratégie de la part de Bruxelles. Les politiques de proximité et de voisinage laisseront les enjeux de l'Afrique subsaharienne éloignés du radar de l'Union.

Il faudra attendre la demande du Portugal pour commencer à explorer la possibilité de convoquer un sommet EuropeAfrique. Le premier aura lieu à Lisbonne en 2005. Mais le chemin parcouru depuis lors n'a pas été à la hauteur des attentes.

Redonner sa centralité à la méditéranée

La politique de voisinage n'a pas atteint ses objectifs, tout au contraire. S'il y avait un constat à faire, il serait catastrophique : à l'Est, la Commission a essayé de forcer un voisinage trompeur et mal défini et a provoqué indirectement, par son impatience à forcer une européisation à grands pas, un conflit inutile en Ukraine. Au Sud, le voisinage s'est mêlé aux initiatives des États ayant une influence sur la région. Que cela soit le Processus de Barcelone ou l'Union pour la Méditerranée, le résultat est un scénario totalement déstabilisé, sans cadre ni direction.

Que faire, donc ? Il faut revoir cette politique de voisinage et essayer d'intégrer les différents enjeux toujours présents dans cet espace géopolitique. Il faut redonner à la Méditerranée sa place centrale dans les rapports Nord-Sud et pour cela il faut créer une nouvelle approche : la verticale Europe-Méditerranée-Afrique.

Les véritables défis et opportunités de l'avenir européen passent par des enjeux qui ont leurs racines dans le continent africain. Si nous parlons de développement économique futur, de sources d'approvisionnement d'énergie, de mouvements de personnes, de migrations illégales, de fanatismes religieux, de terrorisme global, d'épidémies sanitaires, de sécurité alimentaire et de changement climatique, tout ce programme se trouve dans l'Afrique subsaharienne qui voudrait participer à un nouvel équilibre de forces entre le Sud et le Nord.

Ne pas imposer un projet « prêt à porter »

Dans ce croisement d'intérêts et d'enjeux, la Méditerranée se pose comme trait d'union qui, d'un côté souffre de la pression du Sud avec des crises politiques, économiques, sociales et climatiques, et qui, d'un autre côté, se voit rejetée par le Nord, par une « Europe forteresse » qui s'enferme dans un repli irresponsable en croyant qu'elle pourra survivre dans ce monde global en s'isolant des autres. La solution est simple : il faut établir un nouvel espace géopolitique : la « verticale ». Celui-ci ne sera pas facile à implanter.

Tout d'abord, il faudra une forte conviction politique au Nord. Avec une détermination des institutions européennes et des principaux pays de l'Union, c'est-à-dire, de l'Allemagne, de la France, de l'Espagne, de l'Italie, etc. D'un autre côté, une mobilisation générale des pays méditerranéens du Sud. Pour eux c'est la seule voie de survie et ils pourront devenir le centre de gravité entre l'Europe et l'Afrique. Le roi du Maroc l'a très bien compris.

Troisièmement, les pays africains devraient s'associer dès le début du lancement de cette initiative. Les différentes Afrique devraient y participer aussi et être représentées par les institutions du continent, telles que l'Union africaine (UA), et les organisations régionales. Ces initiatives ne pourront réussir que si elles sont conduites d'une façon collective. Cela serait une grave erreur qu'à nouveau les Européens prétendent imposer un projet « prêt à porter » made in Europe qui ne pourrait plus répondre aux aspirations et aux inquiétudes des Africains et Méditerranéens. Il faudrait les laisser s'approprier ce projet, et réserver à l'Europe un rôle d'accompagnateur dans le suivi.

Ainsi, il faudrait suivre la direction que le grand penseur africain Achille Mbembe nous montre dans ses écrits (« Le temps de l'Afrique viendra. J'essaie d'en précipiter l'avènement ») où il prône l'idée de « partage et de l'en-commun » : « Nous sommes arrivés à un moment de notre histoire où le concept de monde devient un concept majeur de la réflexion sur le présent, sur la manière de se relier les uns aux autres, et les conditions dans lesquelles on peut réimaginer une justice universelle qui repose sur l'idée que nous sommes tous les ayants droit du même monde, et que la meilleure manière d'assurer la durabilité du monde, c'est de faire en sorte que chacun d'entre nous ait une part de ce monde. »

C'est ainsi que nous devrions envisager un nouveau partenariat qui redonnerait à la Méditerranée son vrai sens historique. La mare nostrum reprendrait tout son sens, la Méditerranée deviendrait la mer de tous.

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 Miguel Ángel Moratinos est l'ancien ministre espagnol des Affaires étrangères et de la Coopération, président d'honneur du Centre pour les relations internationales (CIRDS), membre du comité directeur du SDSN des Nations unies, coprésident de REDS (Red española para el desarrollo sostenible), coprésident du comité d'orientation politique de l'Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed, Paris).

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Commentaires 3
à écrit le 28/04/2015 à 8:41
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La bonne et ancienne rengaine colonialiste toujours d'actualité. Maintenant le mot d'ordre est "partenariat vertical" !! d'accord, on se met par dessus et vous par dessous, comme d'hab !!! mdr

à écrit le 26/04/2015 à 14:50
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C'est complètement hallucinant !!! De qui ce type se moque-t-il ? La politique de partenariat de l''Europe, la CEE, puis l'UE, date des tous débuts, la Convention EAMA de 1963, puis les Conventions de Yaoundé, de Lomé et actuellement le partenariat d...

le 27/04/2015 à 0:21
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Ces gens se moquent de tout. Des lois, de la démocratie, de la vérité. Les faits n'existent pas. Ce sont eux qui les décrètent. Réfléchissez un instant: quand Google aura mis en place son moteur de vérité. Pensez-vous que les déclarations de ce monsi...

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