Tandis que les autorités se préparent à lever le confinement à travers l'Europe, le continent est à la croisée des chemins : les décisions qui seront prises dans les semaines à venir peuvent rendre nos villes plus vertes, moins bruyantes et plus saines. Mais elles pourraient également nous ramener au monde pollué d'antan; la baisse actuelle de la pollution de l'air deviendrait alors un lointain souvenir. C'est malheureusement ce que l'on observe déjà en Chine, où les habitants préfèrent leur voiture aux transports publics et où la pollution remonte. Un tel retour en arrière serait particulièrement inquiétant car la pollution de l'air aggrave notre vulnérabilité au coronavirus.
Heureusement, nul besoin de réinventer la roue : cinq principales stratégies sont d'ores et déjà mise en œuvre en Europe et ont montré leur efficacité pour lutter contre la pollution de l'air et le changement climatique et pour préparer un avenir zéro-émission comme fixé par le Green Deal Européen. Chacune de ces stratégies permet également de lutter contre le coronavirus.
Repenser le partage de l'espace urbain
Tout d'abord, il s'agit de repenser le partage de l'espace urbain. Multiplier les pistes cyclables et élargir les trottoirs favorisera les mobilités actives et non polluantes, tout en facilitant la "distanciation physique". Cette première stratégie est adoptée par les collectivités d'Ile-de-France qui prévoient 680 km de pistes cyclables dont certaines devraient voir le jour très rapidement. C'est aussi le cas à Berlin, qui a créé de nouvelles piste cyclables "pop-up", à Cracovie, qui prévoit d'étendre son infrastructure cyclable et d'élargir les trottoirs, à Vilnius, qui va faire de son centre-ville un grand café à ciel ouvert, et à Bruxelles, qui est en train de transformer le centre-ville en zone prioritaire pour les piétons et les cyclistes...
Améliorer l'offre de transports en commun
Deuxièmement, encourager l'usage des transports publics, qui contribuent à lutter contre la pollution de l'air. Avec le Covid-19, c'est un défi majeur car la population évitant les espaces exigus, le secteur traverse une période difficile. À Londres, la baisse de fréquentation atteint 80% pour les bus et jusqu'à 92% pour le métro. En Allemagne, des experts en mobilité craignent une réduction de 50% de l'utilisation des transports publics à l'horizon 2023.
Dans le monde entier, des mesures ont été déployées : nettoyage en profondeur des véhicules, mise à disposition de désinfectant, marquage au sol et neutralisation de sièges... Ces arrangements temporaires devront être suivis d'améliorations durables pour encourager l'utilisation des transports en commun. Car la promiscuité qui caractérisait certaines lignes représente aujourd'hui un danger inacceptable pour la santé des voyageurs. Donner plus d'espace aux utilisateurs est possible en allongeant les rames de métro et en augmentant la fréquence des trains. Augmenter la vitesse des bus pour atteindre 15 km/h avec des voies dédiées comme c'est le cas dans plusieurs pays d'Europe, contre 10 km/h actuellement à Paris, renforcerait leur attractivité.
Encourager le télétravail pour réduire la mobilité
Troisièmement, les horaires des écoliers comme des travailleurs doivent être assouplis afin d'aplanir les heures de pointe et ainsi éviter l'affluence dans les transports en commun. Les nouvelles habitudes comme le télétravail doivent être encouragées afin de réduire le besoin de se déplacer chaque jour sur son lieu de travail. Et les citoyens y ont pris goût : un récent sondage montre que 58% des Français aimeraient travailler plus souvent de la maison après le confinement. L'impact est majeur: un jour de télétravail par semaine diminue de 20% les déplacements domicile-travail.
Réactiver les zones de basses émissions
Quatrièmement, il est désormais temps d'interdire les véhicules thermiques en ville. Les zones de faibles émissions se sont avérées de puissants leviers pour lutter contre la pollution de l'air. A Londres, Madrid et Paris, les concentrations de dioxyde d'azote (NO2) peuvent être réduites de 30%. Or, en raison de la crise actuelle, plusieurs villes, notamment Bruxelles, Milan et Londres, ont décidé de suspendre des zones de basses émissions existantes ou de retarder la mise en place de nouvelles zones afin d'aider les professionnels de la santé et les livraisons essentielles. Ces zones doivent être réactivées dès que possible et devenir, au plus vite, des zones zéro émission.
Les véhicules à kilométrage élevé comme les taxis, les voitures roulant pour Uber et Kapten ou encore les véhicules de livraison, devront rapidement se tourner vers la mobilité électrique - comme vient de l'exiger la ville de Londres. Électrifier les flottes de bus diminuerait considérablement la pollution - c'est prévu pour 2025 en région parisienne.
Augmenter le partage des données transports
Enfin, le débat actuel autour de l'application StopCovid en cache un autre, plus général, sur le défi digital des mobilités. Le futur des transports repose largement sur les données. Ces dernières, trop souvent contrôlées par des entités privées doivent être interopérables et partagées avec les opérateurs de transport public. Cela ne permettrait pas seulement de mieux suivre les déplacements en cas d'infection de type Covid, mais aussi d'améliorer considérablement les systèmes de mobilité urbains. L'organisation Transport & Environment a montré à l'échelle européenne que de telles combinaisons contribueraient de réduire jusqu'à 60% la distance parcourue par les voitures en ville.
Saisir l'opportunité d'accélérer la mutation des comportements
Chaque crise contient une opportunité : des recherches montrent que nous changeons plus facilement nos habitudes de mobilité lorsque nous vivons des situations marquantes. C'est ce qui s'est passé en France en décembre 2019 lors des grèves qui ont converti grand nombre de citadins au vélo. Comme le disait Winston Churchill :
« Il ne faut pas gaspiller une bonne crise ».
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NOTE sur les AUTEURS
(*) Respire est l'Association nationale pour la prévention et l'amélioration de la qualité de l'air. Transports & Environnement est la Fédération européenne pour le transport et l'environnement, organisation qui regroupe une cinquantaine d'ONG actives dans le domaine.
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