Catalogne : chronique d'un divorce à l'espagnol

La Catalogne va-t-elle prendre son indépendance ? La question sera au coeur des législatives de décembre. Par Benjamin Lloret Doctorant en droit, Universités Paris II Panthéon-Assas et Pompeu Fabra de Barcelone
Artus Mas, président de la Généralité de Catalogne

« Nous avons gagné » a scandé  en quatre langues le président sortant du gouvernement catalan, devant une foule enthousiaste agitant l'estelada, le drapeau étoilé des indépendantistes. Mais, après la victoire de la liste plurielle indépendantiste Junts pel si (ensemble pour le oui) et de leurs alliés d'extrême gauche (C.U.P) lors des élections régionales anticipées, c'est un immense défi, jalonné d'incertitudes, qui se profile pour la Catalogne mais pas seulement, pour l'Espagne tout entière.

Quelles sont les revendications catalanes ?

Pour Artur Mas, réélu en 2012 à la présidence de la riche région autour du slogan "La voluntat d'un poble" (la volonté d'un peuple) c'est un pari déjà réussi. Celui de mobiliser au maximum la société civile pour faire reconnaitre un droit de décider aux catalans. De décider de leur avenir en Espagne...ou non. Si l'indépendantisme irrigue depuis plusieurs décennies une partie de la vie politique catalane, il connaît depuis quelques années un renouveau.

Il faut dire que la sentence du Tribunal Constitutionnel de 2010 a été vécue comme un véritable électrochoc. Les censures opérées ont porté sur les dispositions les plus symboliques du nouveau statut d'autonomie de 2006, dont celle relative à une nation catalane. Il faut bien comprendre que ce statut avait été approuvé dans la région par référendum en accord avec le gouvernement de gauche de Zapatero pour qui, le soutien électoral des nationalistes était alors indispensable. S'il est vrai que le taux de participation était assez faible, le texte -dont l'ambition a suscité de nombreux débats- avait passé tous les filtres et son adoption semblait acquise. Mais ensuite, en jouant la carte de l'intransigeance, notamment en matière d'indépendance fiscale-autre grande revendication- le gouvernement espagnol a, pour de nombreux observateurs, sous-estimé les conséquences politiques qu'une telle stratégie ferait peser sur la stabilité du royaume déjà ébranlée par la crise économique.


Que reste-t-il du consensus espagnol ?

La sentence de 2010 marque un tournant stratégique, prélude à la crise actuelle. Certains n'hésitant pas à parler de « rupture de confiance ». Politiquement cela devait se traduire par le refus de la coalition nationaliste de centre-droit CiU du président Mas d'apporter son soutien au gouvernement de Madrid. Chose assez rare. Mais, Mariano Rajoy au pouvoir depuis 2011, s'est toujours montré hostile à de nouveaux transferts de compétences -souvent la contrepartie- face à une formation politique catalane portée par de nombreux succès électoraux (du moins jusqu'en 2014). Or, la Constitution espagnole repose justement sur un compromis. En restant peu précise quant à la réelle configuration de l'État, elle offre un modèle flexible et modulable. Solution opportune qui semblait refouler les difficultés d'une telle configuration.

Au-delà de la reconnaissance d'une nation catalane, ou de l'indépendance fiscale calquée sur le modèle basque, c'est l'impossible réforme du Sénat, la composition du Tribunal Constitutionnel, le mouvement de recentralisation et certaines formules malheureuses (d' « espagnoliser les élèves catalans ») qui ont été perçus par de nombreux catalans comme l'absence d'une prise en compte de la réalité plurielle de l'Espagne.


Quelle valeur pour les consultations catalanes ?

Tout dialogue sur une nouvelle configuration territoriale étant impossible, le paysage politique de la région va progressivement se réorganiser autour d'un axe presque manichéen, marginalisant le programme fédéraliste défendu par le Parti socialiste catalan. Dans ce contexte, Artur Mas grisé par le référendum écossais et soutenu par les indépendantistes de gauche d'ERC, souhaite organiser une consultation sur l'avenir des relations entre la Catalogne et l'Espagne, tout en laissant entrouverte une porte de sortie (sous la formule pudique de force majeure). Commençait alors entre les deux gouvernements une bataille juridique. Tout projet de consultation (au nombre de trois) étant renvoyé devant le Tribunal Constitutionnel par le Gouvernement espagnol. Prenant en tenaille la haute juridiction qui devait servir de pare-feu politique.

Porté par la forte mobilisation lors de la consultation symbolique du 9 novembre dernier, avec près de deux millions de votants, Artur Mas voulait donner au scrutin régional du 27 septembre une nature plébiscitaire. Mais, la victoire qui le conforte dans sa stratégie est aussi à double tranchant. Majoritaire au nouveau parlement, la très hétéroclite alliance indépendantiste allant de l'extrême gauche au centre droit « n'a récolté que » 47,8% des voix. De plus, le président, en 4e position sur la liste, devra composer avec d'autres personnalités très populaires.


De nombreuses questions en suspens

De nombreuses interrogations subsistent encore sur l'avenir des relations entre le gouvernement central et sa région. La menace de sécession et ses conséquences sont regardées avec crainte en Europe. Elle constituerait un précédent qui pourrait servir de base à de nouvelles revendications. Cependant, d'après un récent sondage, une minorité de catalans pensent que le vote va réellement déboucher sur l'indépendance. Seule certitude, la question des autonomies sera au cœur des législatives de décembre. Comme le souligne le Tribunal Constitutionnel dans sa sentence du 25 mars, c'est sur le terrain politique que des compromis devront être trouvés.

Or, en poussant Artur Mas dans ses retranchements, le gouvernement espagnol a pris un risque. Celui de cliver encore plus l'espace public et de poser ces désaccords comme autant de marqueurs symboliques justifiant des discours différentialistes, dans un pays encore hanté par l'assimilation forcée et le séparatisme.

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Commentaires 6
à écrit le 11/10/2015 à 1:23
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Merci, très bon article qui permet de mieux comprendre ma situation en catalogne. Par contre la position de l'UE n'est pas traitée, dommage. J'imagine que l'auteur a voulu souligner le silence assourdissant de l'Europe a ce sujet

à écrit le 09/10/2015 à 20:47
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En Europe aujourd'hui, ce sont les régions les plus riches, qui veulent se séparer des moins riches. Le soutien à l'indépendance de l'Ecosse varie ainsi parait il, en fonction du cours du pétrole. Le seule pétrole de la Catalogne, est la position pr...

le 12/10/2015 à 9:22
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Vous omottez de dire que la catalogne est une des régions républicaines qui a resisté le plus longtemps au coup d'état de Franco. De plus, dans les années 30, la catalogne avait déjà pris le chemin de l'indépendance. Et comme vous le savez surement ...

à écrit le 09/10/2015 à 18:17
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L'assimilation forcée, il faudra en reparler quand les Etats-Unis d'Europe désincarnées voulus par Merkhollande se mettront en place.

à écrit le 09/10/2015 à 13:56
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Toutes ces revendications indépendantistes sont bien mignonnes et semblent être légitimes, en tous cas pour une partie non négligeable de la population "Catalane". Et le peuple Espagnol ? Est-il consulté ? Est-il prêt à devenir du jour au lendemain u...

à écrit le 09/10/2015 à 12:51
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Madrid aurait tout intérêt à provoquer rapidement un référendum d'autodétermination en Catalogne, le vote indépendantiste y étant minoritaire, pour clore définitivement cette question.

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