Quand le défi de l'eau arrive en ville

Alors qu'à la campagne le nombre de personnes ayant accès à de l'eau non contaminée s'améliore, il se dégrade rapidement dans les villes, qui croissent plus rapidement que leurs infrastructures. Un décalage entre demande et ressource dont la principale solution est politique.
Giulietta Gamberini

Pendant des décennies, dans les politiques de développement internationales et les programmes des ONG, « accès à l'eau potable » a rimé avec « campagnes ». C'était en milieu rural que garantir la disponibilité d'eau potable représentait un défi aussi bien technique que social. Encore aujourd'hui d'ailleurs, les besoins y restent plus élevés qu'en ville. Mais une inversion nette de dynamique se dessine, inquiétant nombre d'experts. Alors qu'à la campagne - où l'augmentation démographique reste contenue - le nombre de personnes utilisant de l'eau contaminée par les animaux a baissé de 54 % en vingt-cinq ans, et que globalement - malgré la croissance de la population de la planète - il est passé de 747 millions à 663 millions entre 2012 et 2015, en ville, la situation se dégrade. Le nombre d'urbains n'ayant accès qu'à de l'eau potentiellement contaminée par des animaux a crû de 28 % en vingt-cinq ans, et celui des personnes vivant en ville sans robinet de 76 %, comme le montrent les statistiques de l'OMS et de l'Unicef.

Une croissance des villes très rapide

La croissance rapide des villes est la principale cause de cette aggravation. Plus de 50 % de la population mondiale y vit désormais et en 2050, on estime qu'il y aura 6,7 milliards d'urbains, soit plus des deux tiers de la population mondiale. Les besoins en eau des agglomérations grossissent, alors que de nouveaux quartiers surgissent de plus en plus loin des sources hydriques. « Nombreuses sont les métropoles où les infrastructures ne croissent pas aussi vite que la population », observe Gérard Payen, ancien conseiller pour l'eau et l'assainissement du Secrétaire général des Nations unies et membre du think-tank (Re) sources.

Certaines des zones d'expansion planifiées ne sont elles-mêmes pas reliées au réseau d'eau potable municipal, et dépendent du passage de camions-citernes privés. Et la situation est encore plus grave dans les bidonvilles, qui dans nombre de métropoles se développent de manière informelle : à Mumbai par exemple, 7 millions de personnes y vivent, soit environ 54 % des habitants de la métropole. D'autres problèmes viennent d'ailleurs aggraver celui de l'accès à l'eau. Là où il n'y a pas un service public d'eau potable, celui de l'assainissement fait habituellement aussi défaut, souligne Gérard Payen. L'eau sale est alors rejetée à même la rue, venant polluer les nappes les moins profondes dont l'eau sera pompée pour approvisionner le quartier, lorsqu'elle ne l'est pas déjà. Les inondations et la montée des eaux de mer causées par le réchauffement climatique viennent également saliniser, voire polluer, les nappes souterraines d'eau douce. En Afrique, les difficultés de développement du continent dans son ensemble s'ajoutent à celles des villes en pleine croissance. La population urbaine sans robinet a triplé en vingt-cinq ans. Or, en 2050, lorsqu'elle aura encore doublé, l'on prévoit que deux Africains sur trois vivront dans une ville.

L'accès à l'eau potable, une priorité

Ainsi, sauf dans les rares cas où le territoire dispose de ressources abondantes, les nouveaux besoins engendrent de nouveaux conflits : entre arrivants et anciens résidents, particuliers et commerces ou entreprises, villes et campagnes environnantes, qui tous consomment de plus en plus d'eau. Le rationnement auquel sont parfois contraintes les municipalités freine finalement le développement économique. Alors, comment concilier ressource limitée et demande croissante ? « La technologie, de plus en plus innovante et de moins en moins chère, joue sans doute un rôle essentiel », reconnaît Gérard Payen. Le développement de nouvelles membranes permet désormais de réutiliser les eaux usées des villes, notamment au profit de l'industrie dont les besoins pèsent ainsi moins sur ceux des résidents. L'essor des énergies renouvelables ouvre de nouveaux horizons au dessalement de l'eau de mer, qui devient moins cher et moins gourmand en énergie.

La disponibilité de l'argent nécessaire pour investir dans le renouvellement des infrastructures est sans doute un préalable, ce qui rappelle la nécessité de réorienter une partie des flux financiers destinés à la lutte contre le réchauffement climatique au profit de l'adaptation aux changements qu'il induit et des pays les plus vulnérables.

« Mais la condition incontournable de l'accès à l'eau potable est la volonté politique de le considérer comme une priorité, face à d'autres exigences telles que les transports, l'éducation etc., et de surmonter les freins culturels, voire les contraintes particulières de certains territoires », souligne Gérard Payen. Dans les bidonvilles notamment, les autorités sont souvent réfractaires à l'idée d'apporter l'eau potable, alors que cela est toujours techniquement possible. Elles craignent de légitimer et pérenniser cette occupation illégale qui se fait au détriment d'autres intérêts publics ou particuliers : la zone pouvait être destinée à la construction d'une école, être inondable ou à risque d'érosion, appartenir à un promoteur privé... La répartition entre contribuables et utilisateurs des coûts du raccordement au réseau d'eau implique également un choix politique, surtout là où la population qui s'installe en ville n'a pas les moyens de les financer. Mais « l'accès à l'eau potable est un droit humain qui doit être assuré en toutes circonstances », souligne Gérard Payen. Il ajoute : « Des exemples positifs de villes où les infrastructures croissent aussi vite que les besoins d'eau existent d'ailleurs déjà, y compris dans des pays en voie de développement d'Asie ou d'Amérique latine. »

18 cibles consacrées à l'eau, contre 1 seule auparavant

2015 représente néanmoins à ses yeux un « changement d'ère », grâce à l'adoption en septembre à New York des Objectifs de développement durable (ODD), qui consacrent 18 de leurs cibles, « ambitieuses », à l'eau : un progrès significatif par rapport aux précédents Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) dont une seule cible se saisissait de la question. Les indicateurs statistiques y ont d'ailleurs été revus, afin de mieux mesurer le nombre de personnes ayant accès à de l'eau vraiment potable, et non plus seulement non contaminée par les animaux. Cette avancée aura probablement d'importantes implications, selon Gérard Payen :

« Comme les OMD, les ODD sont destinés à devenir les marqueurs de toutes les politiques publiques en Afrique », estime-t-il. La mise en oeuvre des politiques internationales sur le logement et le développement urbain durable, à l'ordre du jour de la conférence des Nations unies qui a eu lieu en Équateur en octobre (Habitat III), ainsi que celle de la lutte contre le réchauffement climatique, au centre de la COP22 de novembre à Marrakech, doivent venir les renforcer.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 2
à écrit le 07/12/2016 à 9:18
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C'est new york qui a en effet la politique de l'eau la plus progressiste du monde, ils utilisent un système de filtration par la terre qui fait qu'ils ont une des eaux de villes les meilleur au monde en choisissant un projet écolo moins couteux que l...

à écrit le 07/12/2016 à 9:04
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Et par région ou par pays ?

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