Février 2018. Peter Thiel, entrepreneur historique de la Silicon Valley, fait ses valises, direction Los Angeles. Commentaire du cofondateur de PayPal et de Palantir, connu pour n'avoir pas sa langue dans sa poche : la Silicon Valley serait devenue conformiste, au point de rendre l'innovation difficile. Des propos qui pourraient passer pour une simple provocation, art que Thiel manie à merveille. Sauf qu'il n'est pas le seul à énoncer ce verdict. Alexis Ohanian, cofondateur de Reddit et investisseur en capital-risque, a ainsi affirmé en juin dernier que « personne de sain d'esprit » ne devrait aujourd'hui lancer sa startup dans la région, soulignant un coût de la vie devenu prohibitif. Depuis 2010, le nombre d'Américains quittant la Silicon Valley dépasse chaque année le nombre de ceux qui s'y installent. Les articles désignant Seattle (patrie d'Amazon et Microsoft), Austin ou encore Nashville comme la nouvelle Silicon Valley se multiplient. Le terme « Off Silicon Valleying », néologisme signifiant « quitter la Silicon Valley », fait même désormais partie intégrante du vocabulaire local.
Victime de son succès
Has been, la Silicon Valley ? Vue de France, l'idée peut prêter à sourire. La région compte trois des cinq entreprises les mieux valorisées au monde (Alphabet, Apple et Facebook). Rien qu'en 2018, elle a généré 32 nouvelles licornes. Mais la région est justement victime de son succès. D'abord, l'essor de la scène technologique a entraîné une hausse effrénée du niveau de vie. Le prix médian d'une maison est aujourd'hui à près d'un million de dollars, soit plus de quatre fois et demie la moyenne nationale. Des coûts prohibitifs qui handicapent les jeunes entrepreneurs. Pour reprendre la formule d'Ajay Royan, de Mithril Capital : « Comment pouvez-vous lancer une startup dans un garage si celui-ci coûte plusieurs millions de dollars ? ».
Et pour peu que ces entrepreneurs parviennent malgré tout à rencontrer le succès, ils ont toutes les chances de se faire racheter par les géants technologiques locaux, à l'affût de la moindre innovation de rupture. Tout autant que le coût de la vie, c'est l'ombre encombrante des Apple, Google et consorts que fuient les entrepreneurs partis chercher leur chance dans d'autres villes américaines en pleine expansion.
Une industrie technologique moins centralisée
Ironie du sort : ce sont précisément les technologies développées dans la Silicon Valley qui permettent cet exode. Internet, smartphones, systèmes de vidéoconférence et de messagerie professionnelle, comme Slack, facilitent le travail à distance. Être au cœur de la Silicon Valley n'est donc plus un impératif absolu pour s'octroyer les services des meilleurs ingénieurs, ce qui facilite l'essor de villes comme Seattle, Austin et Chicago.
En dépit de leur dynamisme, aucune n'est en voie de dépasser la Silicon Valley. Mais leur expansion et le (relatif) déclin de celle-ci pourraient, paradoxalement, s'avérer positifs pour les capacités de l'Amérique à innover. Moins centralisée, répartie entre plusieurs régions à la culture différente, l'industrie technologique américaine deviendra sans doute plus diverse et plus créative.
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