La France, l’Allemagne, la mémoire…

Angela Merkel à Dachau, François Hollande et Joachim Gauck à Oradour-sur-Glane, la seconde guerre mondiale continue de marquer la mémoire collective de la France et de l'Allemagne.

Le 21 août dernier, en pleine campagne électorale, la chancelière Angela Merkel se rend à Dachau, près de Munich. C'est la première fois qu'un chef de gouvernement allemand en fonction pénètre dans ce camp de concentration, mis en place par le régime nazi dès mars 1933, où plus de 200 000 personnes furent enfermées jusqu'en 1945 (dont Léon Blum) et où 40 000 détenus, opposants politiques, juifs, tsiganes, homosexuels, prisonniers soviétiques, trouvèrent la mort. Dans son discours, Angela Merkel fait part de sa « honte » tandis que Dieter Graumann, dirigeant du conseil central des juifs d'Allemagne souligne que la visite de la chancelière « envoie le signe que l'horreur s'est aussi produite ici, parmi nous, en Allemagne. » Cette dernière remarque est à souligner, car elle illustre le travail accompli par les historiens, notamment à l'occasion des expositions qui se sont déroulées, en particulier à Berlin, depuis le début de l'année, pour commémorer le 80ème anniversaire de l'arrivée d'Adolf Hitler au pouvoir, et qui interrogeait, sans complaisance, la façon dont la société allemande avait, à l'époque, assisté à la montée en puissance du régime nazi.

 Quelques jours plus tard, le 25 août, le maire de Paris, Bertrand Delanoë, baptise l'esplanade de l'hôtel de ville, « Esplanade de la Libération », pour commémorer le 69ème anniversaire de la Libération de Paris, dans la nuit du 24 au 25 août 1944. Un événement dans lequel un éditorialiste très reconnu, d'une grande radio privée française voie une sorte d'invocation obsessionnelle d'une époque où la France était dans le camp des vainqueurs alors qu'aujourd'hui, elle serait « archi-dominée par l'Allemagne dans tous les domaines ». Cette clé de « lecture », livrée à une heure de grande écoute, à quelques jours des élections législatives en Allemagne, en dit long sur la prégnance, dans la mémoire collective des Français, de cette période de notre histoire et de la façon dont elle marque encore la relation entre la France et l'Allemagne.

 Enfin, le  4 septembre, François Hollande et le président allemand, Joachim Gauck commémorent ensemble le massacre d'Oradour-sur-Glane, en juin 1944, où 642 personnes furent tuées par les membres de la division SS Das Reich, symbole de la barbarie nazie en France.

 Ainsi, en quelques jours, surgit à nouveau dans les deux pays la mémoire de la seconde guerre mondiale, marqueur indélébile de nos histoires respectives, abîme terrifiant dans lequel l'Allemagne s'est autodétruite.  « Le souvenir de cette période doit continuer de vivre de générations en générations. Les jeunes doivent savoir comment lutter contre les tendances les plus extrémistes et transmettre ce savoir à nouveau à leurs enfants et petits-enfants » a dit Angela Merkel lors de son discours à Dachau (https://www.bundeskanzlerin.de/Content/DE/Rede/2013/08/2013-08-20-merkel-kz-dachau.html). Il est peu de dire que l'Allemagne travaille en permanence sur la transmission de cette mémoire. Il n'est que de constater la richesse de la production d'ouvrages et d'études en tout genre sur l'Allemagne nazie, dont l'abondance ne diminue pas avec le temps, bien au contraire. Les origines et le développement de l'antisémitisme, la montée en puissance puis la prise de pouvoir par les nazis, Hitler, la Shoah, le déroulement de la guerre, ses conséquences sur le peuple et la société allemandes, sont depuis plusieurs décennies, analysés et décortiqués par de nouvelles générations d'historiens dont seulement relativement peu de travaux sont traduits en langue française.

 Plongée dans l'intimité des familles et des combattants

 Heureusement quelques contributions nouvelles nous parviennent, qui éclairent souvent cette période sous un jour nouveau. Ainsi de deux ouvrages parus cette année en France, et qui ont un auteur en commun, Harald Welzer, 55 ans, un intellectuel très en vue en Allemagne, sociologue, professeur, chercheur et directeur du Centre de recherche interdisciplinaire sur la mémoire à Essen,  (https://de.wikipedia.org/wiki/Harald_Welzer). Il a co-signé, avec Sabine Moller et Karoline Tschuggnall, un premier livre qui a fait grand bruit en Allemagne lorsqu'il est paru, en 2002, « Opa war kein nazi », que les éditions Gallimard ont publié en français cette année sous le titre « Grand-Père n'était pas un nazi » ? Construit à partir de quarante-huit entretiens familiaux et de cent-quarante-deux interviews individuels, il explore la façon dont la mémoire familiale conserve et transmet le passé national-socialiste de l'Allemagne et le rôle que les membres de ces familles y ont joué. On y voit comment, écrit Harald Welzer l'histoire intime « encadre l'interprétation du passé, la compréhension du temps présent et la perspective d'avenir. » Le second livre, co-signé avec Sönke Neitzel, 45 ans, historien spécialiste de la deuxième guerre mondiale, professeur à l'université de Glasgow, « Soldats », est paru chez Gallimard cette année (et en 2011 en Allemagne). Ce livre restitue les conversations, écoutées par les Britanniques, de prisonniers de guerre allemands parlant des combats, du moral des troupes, de leurs propres actions, de leurs émotions et dont les transcriptions étaient restées dans les archives. Une source brute, touchant à l'intime des combattants et qui restitue une image à la fois brutale et tragique de la guerre et de l'idéologie nazie vue du côté des combattants allemands.

 Le point commun entre ces deux livres est qu'ils cherchent à pénétrer au fond de la conscience des Allemands, civils et combattants, non pour modifier la vision historique de cette période, mais pour chercher à en comprendre les ressorts intimes, dans une recherche de vérité et d'authenticité, comme une tentative nouvelle d'expliquer l'inexplicable. Ils expriment la profondeur de l'interrogation des Allemands, aujourd'hui encore, sur la façon dont leurs grands-parents et arrières grands-parents ont été d'une certaine façon anéantis par le nazisme.

 Les Allemands comme victimes

 Deux autres livres ouvrent des chapitres tragiques mais oubliés ou laissés de côté par la mémoire collective. Le premier est l'œuvre d'un jeune historien d'origine allemande, installé en France depuis l'âge de 12 ans, Valentin Schneider, spécialiste de l'armée allemande en France de 1940 à 1948 et docteur au Centre de recherche d'histoire quantitative de l'université de Caen. Dans « Un million de prisonniers allemands » il aborde le sort de ces prisonniers de guerre de la Wehrmacht retenus en France entre juin 1944 et  décembre 1948, dont le nombre avoisine le million, et qui ont participé à la remise en marché du pays dans l'immédiat après-guerre. Près de 20% d'entre eux ont d'ailleurs choisi de rester en France. Très peu de choses avaient été écrites chez sur ces « oubliés de l'histoire » dont Valentin Schneider décrit les conditions de vie et de travail et la façon dont ils se sont insérés dans l'effort de reconstruction, au prix d'une cohabitation souvent difficile avec la population française.

 Quant au second livre, « Les Expulsés », il n'est pas l'œuvre d'un historien allemand mais de Ray Douglas, professeur d'histoire contemporaine à l'université Colgate de New York. Il soulève le voile sur ce qui reste probablement comme la plus grand transfert forcé de population de l'histoire de l'humanité, celui de près de 14 millions de civils germanophones vivant en Tchécoslovaquie, en Hongrie, dans les zones d'Allemagne cédées à la Pologne, mais aussi en Roumanie et dans les Balkans.  Des centaines de milliers d'entre eux trouvèrent la mort au cours de ces transferts, réalisés dans des conditions parfois inhumaines, vers un pays, l'Allemagne, qui était en ruine, alors que ces populations, en majorité des femmes et des enfants, restaient parfois enfermés pendant plusieurs semaines dans des wagons de marchandise. Organisés par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l'URSS (la France s'y est opposée, car elle craignait un repeuplement excessif de l'Allemagne) cette migration forcée, réalisée au grand jour, est restée largement ignorée hors d'Allemagne où elle a fait l'objet d'un grand nombre de travaux. Elle aboutit à une immense catastrophe en termes humanitaires. Pourtant Ray Douglas prévient : « Il faut affirmer clairement, avant tout, qu'on ne peut légitimement établir aucune comparaison entre les expulsions d'après-guerre et les crimes de l'Allemagne à l'encontre des Juifs et d'autres victimes innocentes entre 1939 et 1945. La barbarie nazie telle qu'elle s'est déployée dans le centre et l'est de l'Europe a atteint une ampleur et une intensité qu'il est presque impossible de surestimer. (…). Ce qui se passa après la guerre ne peut être mis sur le même plan que les atrocités perpétrées par les Allemands pendant le conflit ; ceux qui ont prétendu le contraire- notamment parmi les expulsés- ignorent l'histoire et offensent la mémoire des victimes. Il ne faut pas en conclure pour autant que les expulsions étaient inévitables, nécessaires ou justifiées. »        

 Les livres de Valentin Schneider et de Ray Douglas traitent au fond du même sujet, celui des Allemands victimes de la guerre et qui y ont payé un tribut extrêmement lourd. C'est un terrain encore délicat, presque soixante-dix ans après la fin de la guerre. Mais il importe que ce travail soit fait, comme il l'a été concernant la première guerre mondiale dont on commémorera l'année prochaine le centenaire du déclenchement.

 

« Grand-Père n'était pas un nazi » de Harald Welzer, Sabine Moller et Karoline Tschuggnall », Gallimard, 2013.

« Soldats » de Sönke Neitzel et Harald Welzer », Gallimard, 2013.

« Un million de prisonniers allemands » de Valentin Schneider, Vendémiaire, 2013.

« Les Expulsés » de Ray Douglas, Flammarion, 2013.  

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