Nucléaire : vers un recyclage infini du combustible ?

Il y a quelques jours, le gouvernement a acté son intention d’investir massivement dans l’autre chantier de relance du nucléaire : le renouvellement des infrastructures d’entreposage et de recyclage des combustibles usés, après leur premier passage en centrale. Mais une question reste en suspens : l'exécutif va-t-il se contenter de prolonger la stratégie actuelle, ou lancera-t-il un vaste chantier d'économie circulaire dans le secteur de l'atome ? Plusieurs acteurs de la filière plaident, en tout cas, pour mettre au point des réacteurs à neutrons rapides, qui permettraient de se passer d’uranium naturel grâce à un recyclage quasi-infini des matières. Une autre décision prise lundi par l’Elysée pourrait d’ailleurs nourrir leurs espoirs. Décryptage.
Marine Godelier
Les usines de La Hague (Manche), destinées au traitement des assemblages de combustibles irradiés dans les réacteurs nucléaires, sont exploitées par Orano.
Les usines de La Hague (Manche), destinées au traitement des assemblages de combustibles irradiés dans les réacteurs nucléaires, sont exploitées par Orano. (Crédits : STEPHANE MAHE)

La France va-t-elle s'engager à recycler davantage ses combustibles nucléaires, actuellement entreposés en surface après leur passage en centrale ? Lors du troisième Conseil de politique nucléaire organisé par l'Elysée, qui s'est tenu lundi 26 février, le gouvernement a validé la poursuite du retraitement de certaines matières usées, y compris pour les futurs EPR qui verront le jour après 2035. Mais une question centrale demeure : jusqu'où souhaite-t-il aller ? Autrement dit : l'exécutif va-t-il se contenter de prolonger la stratégie actuelle, dite de « mono-recyclage », ou bien lancer un vaste chantier d'économie circulaire dans le secteur de l'atome ?

Aujourd'hui en effet, seule une petite partie de ces matières, irradiées pendant 12 à 18 mois en centrale, est réutilisée. Or, pour ne plus dépendre de l'uranium naturel mais aussi réduire le volume de déchets ultimes à enterrer, une partie de la filière demande à aller plus loin. Et brandit une solution, abandonnée en 2019 : la construction de réacteurs à « neutrons rapides », différents de ceux qui constituent le parc d'EDF. Le principe : utiliser des neutrons non ralentis par un modérateur (comme de l'eau, dans le cas des centrales classiques), afin de maintenir le plus possible la réaction de fission en chaîne. Ce qui permettrait d'extraire 60 à 70 fois plus d'énergie à partir de la même quantité d'uranium naturel, et par là même exploiter le moins possible de matière première issue des mines. C'est-à-dire de « fermer le cycle ».

Lire aussiLe recyclage laborieux des combustibles usés, l'autre grande faille du nucléaire français

« Mono-recyclage »

Pour l'heure, le gouvernement n'a pas pris de décision en ce sens. Lundi, il a simplement validé la perspective d'investissements majeurs pour prolonger l'usine de La Hague opérée par Orano, chargée d'entreposer et de retraiter une partie du combustible nucléaire. Sans pour autant donner de montants ni d'échéances, il s'agit de « confirmer les grandes orientations de la politique française sur l'aval du cycle [du combustible nucléaire, ndlr] combinant le retraitement, la réutilisation des combustibles usagés et la fermeture du cycle », selon des propos rapportés par l'AFP. Il faut dire que le temps presse : La Hague arrivera en fin de vie d'ici à 2040.

« Si vous décidez de renouveler les infrastructures, vous vous lancez dans un énorme chantier de plus de 10 ans. Il faut donc que ce soit enclenché rapidement », expliquait il y a quelques semaines à La Tribune Nicolas Goldberg, senior manager Énergie chez Colombus Consulting.

Concrètement, cette usine sert à recueillir les combustibles après une première utilisation, dans des piscines de refroidissement, puis à en recycler certains. Ceux-ci contiennent environ 96% de matières énergétiques (95% d'uranium et 1% de plutonium) polluées par 4% d'actinides et de produits hautement dangereux et non réutilisables. En-dehors de ces déchets impossibles à valoriser, qui sont vitrifiés et devraient finir enterrés, deux matériaux sont ainsi extraits à La Hague : le plutonium, une substance très radioactive, et l'uranium de retraitement.

Le premier est récupéré pour fabriquer un combustible appelé Mox (« mixed oxyd »), qui sera « brûlé » une nouvelle (et dernière) fois dans certains réacteurs pour produire de l'électricité. Quant au deuxième, il peut être réenrichi pour alimenter une nouvelle fois le parc. Cela s'est d'ailleurs produit il y a quelques jours dans la centrale de Cruas, chargée mi-février de combustibles élaborés à partir d'uranium recyclé enrichi (URE) en Russie.

Lire aussiNucléaire : EDF fait fonctionner une centrale française avec de l'uranium enrichi en Russie

Appelée « mono-recyclage », cette méthode est davantage circulaire que celle en « cycle ouvert », pratiquée notamment aux Etats-Unis. Outre-Atlantique, dans une logique d'économie linéaire, tous les combustibles usés déchargés des réacteurs sont considérés comme des déchets et seront stockés sans être réutilisés. « Si l'on empruntait le même chemin en France, la quantité de déchets ultimes triplerait et il faudrait revoir tout le dimensionnement du futur site d'enfouissement prévu entre la Haute-Marne et la Meuse », note Tristan Kamin, ingénieur en sûreté nucléaire.

De plus en plus de plutonium entreposé

Mais ce n'est pas suffisant, estiment certains spécialistes. Car si le mono-recyclage « permet de réduire d'un facteur 10 le nombre d'assemblages de combustibles usés à entreposer dans la durée » selon EDF, il reste partiel. « Alors que le gouvernement a décidé de réinvestir dans La Hague, la question du dimensionnement des installations se pose. Elles ne seront pas restaurées à l'identique », note Nicolas Goldberg.

Et pour cause, le mono-recyclage engendre un accroissement des Mox, et donc du plutonium sur le sol français. Ceux-ci ne sont pas recyclés une nouvelle fois car il n'existe pas, aujourd'hui, de procédé industriel à grande échelle pour réaliser cette opération. Des centaines de tonnes déchargées chaque année restent ainsi entreposées dans les piscines d'Orano pour une durée indéterminée, en attente d'une décision sur leur retraitement, ou non, à un horizon beaucoup plus lointain. C'est d'ailleurs ce Mox « intraitable » qui est responsable de l'engorgement croissant des piscines de La Hague.

Passer de 20% d'économies d'uranium naturel à 40%

Par conséquent, l'exécutif et la filière étudient la piste du « multirecyclage » : même les Mox usés seraient réutilisés. « On les repasserait dans une usine de retraitement pour en extraire à nouveau le plutonium, afin de les repasser une nouvelle fois en centrale. Il y a des ajustements à faire pour que ce plutonium conserve une qualité suffisante, mais des recherches ont démontré que c'était faisable, au moins sur toute la durée de vie d'un futur parc de réacteur EPR2, c'est-à-dire quasiment jusqu'à fin du siècle », explique un spécialiste du sujet. Cette stratégie permettrait d'économiser environ 40% d'uranium naturel, selon le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), contre environ 20% avec le mono-recyclage. Et aiderait surtout à limiter la quantité de plutonium entreposée, qui monte en flèche ces dernières années en raison de l'accumulation de Mox.

« L'inconvénient, c'est qu'on n'économiserait pas beaucoup de matières premières. Ce serait beaucoup d'effort pour un bénéfice pas incroyable. L'avantage, ce serait plutôt d'équilibrer l'inventaire en plutonium et en combustibles usés. On arrêterait ainsi d'accumuler des assemblages de combustibles en piscine, pour ne plus avoir besoin de construire tous les trente ans une nouvelle piscine ou d'agrandir les entreposages de plutonium », selon Tristan Kamin.

Mais cette solution ne fait pas l'unanimité. « Le multi-recyclage est une réponse technique imaginée par ceux qui s'opposent aux réacteurs à neutrons rapides. Il s'agirait de faire passer une deuxième fois en centrale le Mox. Ce qui reviendrait à abandonner l'idée d'utiliser les quelque 300.000 tonnes d'uranium appauvri stockés sur le territoire en attente de débouché. Surtout, cette solution nécessiterait toujours d'importer de l'uranium. C'est un projet de gestion extinctive du nucléaire », ajoute le député (LR) du Haut-Rhin Raphaël Schellenberger, qui présidait l'an dernier la commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté énergétique de la France.

Lire aussi« Les SMR cachent un renoncement du gouvernement » (Raphaël Schellenberger, député LR)

Bientôt un programme Astrid 2.0 ?

Pour réellement économiser les matières premières, la seule option possible serait donc la fermeture du cycle grâce à des réacteurs à neutrons rapides. Concrètement, ce type de machine pourrait exploiter les 330.000 tonnes d'uranium appauvri entreposé en France, mais également le fameux plutonium. Surtout, une telle installation fabriquerait autant de plutonium qu'elle en consomme lors de la fission des atomes pour générer de l'électricité. Par conséquent, il n'y aurait plus besoin d'importer de l'uranium naturel pour faire tourner le parc atomique.

Une autre (non) décision prise lundi au Conseil de politique nucléaire pourrait d'ailleurs constituer un indice sur les intentions du gouvernement en la matière Alors que celui-ci devait acter le choix du site du CEA de Marcoule, dans le Gard, pour implanter le premier petit réacteur nucléaire (SMR) d'EDF, le verdict été reporté à l'automne. Et pour cause : la nouvelle avait suscité des oppositions, car ce centre de recherche devait plutôt, à l'origine, abriter un prototype de réacteur à neutrons rapides dans le cadre du programme Astrid (arrêté en 2019 pour des raisons économiques et politiques). Dès le début des années 1970, Marcoule a également abrité le prototype de réacteur à neutrons rapides Phénix, mis à l'arrêt il y a quinze ans.

« Le SMR d'EDF sera un simple réacteur à eau pressurisé, qui ne permet pas de fonctionner en cycle fermé. N'importe quel site nucléaire peut l'accueillir. À l'inverse, si l'on souhaite se repencher un jour sur les réacteurs à neutrons rapides, il n'existe que deux lieux possibles d'implantation en France : les centres de recherche du CEA de Cadarache [Bouches-du-Rhône] et de Marcoule, qui concentrent les laboratoires nécessaires. Marcoule est même le seul site qui coche toutes les cases, avec un fleuve à proximité pour refroidir l'installation. Il ne faut pas gaspiller ce foncier », avait réagi dimanche dans nos colonnes Raphaël Schellenberger.

Reste à voir si l'exécutif choisira, ou non, de lancer un programme « Astrid 2.0 ». Sollicité, l'Elysée n'a pas souhaité faire de commentaires. Une chose est sûre : construire un parc entier de réacteurs à neutrons rapides mettrait du temps, très probablement plusieurs décennies. « Les exigences de sûreté dans le nucléaire évoluent en permanence à la hausse. Si bien que vous ne pouvez pas prendre Phénix et le reproduire à l'identique aujourd'hui », explique un expert du secteur ayant requis l'anonymat. Enfin, de telles centrales coûteraient plus cher qu'un parc d'EPR, affirme-t-on au CEA. Tant que les prix de l'uranium naturel sont bas, il y a donc peu d'incitation à investir. Comme souvent, la logique d'économie circulaire reste donc freinée par des considérations économiques.

Lire aussiNucléaire : la première mini-centrale française attendue à Marcoule

Marine Godelier

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 10
à écrit le 02/03/2024 à 7:02
Signaler
Et si on essayait de faire fonctionner les centrales qu'on a d'abord ? Se faire plaisir sur des concepts fumeux, c'est bien. Arriver à produire de l'électricité dans perdre des milliards d'euros, c'est mieux.

à écrit le 01/03/2024 à 22:12
Signaler
Et la fusion nucléaire, c'est pour quand ?

à écrit le 01/03/2024 à 19:01
Signaler
Pas un eclge infini mais une vie environ de millons des anneées

à écrit le 01/03/2024 à 18:01
Signaler
J'espère que cette filière ne sera pas le même fiasco que l'EPR qu''on arrive toujours pas à mettre en oeuvre à cause de la redondance des sécurités que l'on impose, contrairement à la Chine qui a réussi à faire fonctionner avec moins de réserves.

à écrit le 01/03/2024 à 15:03
Signaler
Pour l'instant, ce gouvernement n'a de cesse à nous dévoiler ses hallucinations pour si peu de résultats, voir aucuns. Alors, dans le cas présent où la montre se joue sur la scène géopolitique, permettez-moi de douter de la faisabilité de cet énième ...

à écrit le 01/03/2024 à 13:34
Signaler
On peut se demander pourquoi mettre de l'argent dans le SMR d'EDF, qui sera un simple réacteur à eau pressurisé, qui ne permet pas de fonctionner en cycle fermé. Il est évident qu'il ne répond pas aux besoins de la France qui est dans le recyclage du...

à écrit le 01/03/2024 à 10:32
Signaler
Alors, mes réflexions :cette région est magnifique quel dommage d'en avoir fait une poubelle nucléaire. 2040 c'est bien si cela s'arrête. L'eau est la meilleure barrière, nous avons la deuxième plus grande surface maritime trouvons un autre endroit v...

le 06/03/2024 à 9:26
Signaler
Superphenix ca vous parle ? renseignez vous, techno en cours de développement dans les années 80, avec des hauts et des bas, mais qui commençait à produire, donc à être maitrisé et rentable. 20 à 30 ans d'avance sur le reste du monde, arrêté par le G...

à écrit le 01/03/2024 à 9:10
Signaler
Plusieurs décennie ? Et alors. Si on avait pas arrêter Superphoenix puis Astrid, on n'en serait pas là. Et il faut savoir que tout les autres grand acteurs nucléaire sont sur le sujet (comme la Chine et les US) Enfin toujours pareille avec ce gou...

le 01/03/2024 à 18:12
Signaler
Vous avez tout à fait raison. Le développement de la filière à neutrons rapides pour laquelle la France avait avec Superphoenix presque 30 ans d'avance, est une évidence pour toute personne un peu compétente dans le domaine. L'arrêt du programme AST...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.