Van Gogh, Rothko, Staël, l'histoire de leurs dernières toiles

Trois artistes vénérés aux vies et styles si différents ont pourtant un point commun : leur choix d’en finir.
Les dernières œuvres de Mark Rothko (1969), exposées dans la salle Alberto- Giacometti de la Fondation Vuitton, à Paris.
Les dernières œuvres de Mark Rothko (1969), exposées dans la salle Alberto- Giacometti de la Fondation Vuitton, à Paris. (Crédits : MARC DOMAGE/FONDATION LOUIS VUITTON)

Alors que la richesse, la densité et l'audace des créations de Van Gogh, Rothko et Staël sont éblouissantes, difficile d'imaginer que leur mal de vivre les a conduits à se donner la mort. Leurs dernières heures, leurs dernières œuvres annoncent-elles pour autant leurs fins ?

Trois expositions permettent de voir, de comprendre les doutes, les extases, les ébauches, les évolutions, les crises et épanouissements de chaque artiste. Connaître leurs terribles fins densifie la visite et induit une dramaturgie à la fois exaltante et bouleversante.

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VAN GOGH - Le déraciné

Le matin du 27 juillet 1890 à Auvers-sur-Oise, la lumière est excitante, exaltante. Van Gogh quitte l'auberge Ravoux pour se rendre avec son chevalet sur un chemin proche. Des bas-côtés d'un monticule s'extirpent des racines. Certaines en agonie se jettent dans le vide. Elles vont captiver, ensorceler le peintre.

Van Gogh réside dans ce village de l'Oise depuis deux mois. Il rentre d'un long séjour passé à l'asile de Saint-Rémy. À Auvers, il peint goulûment, ardemment. Il cherche. Il essaie des techniques. Il invente sans cesse. Il réalise des portraits, peint des toits, des rues, les bords de l'Oise, des paysages dont le fameux champ de blé sur lesquels planent des corbeaux. Certains voient ces oiseaux noirs comme les faucheuses de la mort attendant Vincent. Ce tableau, l'artiste l'a bien peint en juillet 1890 mais pas le 27.

Le matin du 27, Van Gogh peint des racines. Il les représente avec des couleurs denses. Ces racines s'épousent, se dévorent. Elles sont méandreuses, nouées. Hors de terre, elles mettent leurs arbres en danger. L'après-midi Vincent Van Gogh est l'arbre qui s'abat. Il se tire une balle dans un champ. Il a 37 ans. L'homme aux jaunes hurlants ou sourds, aux bleus joyeux ou nocturnes a été rattrapé par ses idées noires, fatales.

Lui, l'homme en danger, l'homme souvent tenté par le vide, lui le déraciné peint des racines juste avant de se donner la mort. Il peint son état, fragile, en équilibre précaire, en danger extrême. Ce tableau est un choc comme tous les tableaux vus à Orsay. Les soixante-dix œuvres des deux derniers mois de Van Gogh sidèrent, nous chavirent, par leur couleur, leur lumière, leur audace, leur flamboyance. Ces œuvres troublent aussi parce que nous savons qu'elles précèdent la fin tragique du peintre alors que ce qui est vu est un travail euphorique qui ne prédit en rien sa fin, qui n'annonce pas la mort du génie alors méconnu.

« Van Gogh à Auvers-sur-Oise - Les derniers mois », jusqu'au 4 février au musée d'Orsay.

NICOLAS DE STAEL - L'amoureux malheureux

Le 16 mars 1955, le magnifique et éternel insatisfait Nicolas de Staël se jette dans le vide à Antibes où il vit depuis peu.

Il est un amoureux malheureux. Quelques spécialistes pensent qu'il se suicide par dépit amoureux. Comme pour Van Gogh, son geste n'est annoncé par aucune œuvre, une peut-être...

Une chose est certaine, mélomane, ami de musiciens, juste avant son saut fatal, Nicolas de Staël se rend à Paris pour se laisser griser par la musique. Quand il rentre à Antibes, Staël commence à peindre un piano. Il ne le terminera pas, faute de vie. Son dernier tableau achevé est une envolée de mouettes peintes l'année même où il s'envole pour s'écraser à l'âge de 41 ans. Rien de grave n'est à signaler avant dans sa peinture.

« Nicolas de Staël », jusqu'à ce soir au Musée d'art moderne de Paris.

MARK ROTHKO - L'insatisfait

Une troisième exposition monumentale est consacrée à un artiste majeur qui se suicida en 1970 dans son atelier de New York : Mark Rothko. Il n'a pas la notoriété et surtout pas la considération qu'il souhaite. Il est diminué par la maladie, détruit par l'alcool, la vodka de sa Russie d'origine. Lui aussi est un déraciné comme de Staël également d'origine russe ou Van Gogh venu des Pays-Bas.

Avant sa mort, Rothko ne peint plus depuis des mois. La plupart de ses dernières œuvres sont grises. Le peintre de l'abstraction a passé sa vie à imaginer des formes imparfaitement géométriques orange, jaunes, mauves, blanches ou rouges mais les dernières toiles sont sombres... Celles présentées à la Fondation Louis Vuitton, peintes en 1969, un an avant sa mort, unissent gris et noir. La postérité retiendra les quatorze immenses toiles violet bordeaux et bleu prune rassemblées à Houston au Texas dans une chapelle austère construite par un couple de collectionneurs : les Menil. Rothko travailla sur le projet dès 1965 mais la chapelle, son mausolée, ne fut terminée qu'après sa disparition à l'âge de 66 ans.

Rothko eut ce qu'il voulait : que ses œuvres ne soient pas vues avec celles d'autres créateurs et exposées exactement comme il le souhaitait. Vous ne la verrez évidemment pas à la Fondation Louis Vuitton mais l'essentiel de son œuvre vous y attend, miroir que Rothko place en face de nous-même d'où l'étonnant silence émis par les visiteurs de la fondation.

« Mark Rothko », jusqu'au 2 avril à la fondation Louis Vuitton.

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