Une réforme pour "réconcilier les Français avec la justice"

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France: la reforme de la justice presentee ce mercredi[reuters.com]
(Crédits : Gonzalo Fuentes)

par Tangi Salaün

PARIS (Reuters) - Eric Dupond-Moretti a présenté mercredi au conseil des ministres un projet de loi destiné à rétablir la confiance des Français dans l'institution judiciaire, mêlant initiatives pédagogiques comme les procès filmés et mesures destinées à rendre la justice à la fois plus rapide et plus humaine.

Ce texte qui sera débattu le mois prochain au Parlement, le garde des Sceaux en avait esquissé les grandes lignes dans son discours de prise de fonction en juillet 2020. L'ancien avocat avait promis de réformer en profondeur son institution pour réconcilier les Français avec "l'idée même de la justice".

"On va partir de ce triste constat: les Français n'ont plus confiance dans la justice de leur pays", a déclaré Eric Dupond-Moretti lors d'un point presse à l'Elysée à l'issue du conseil des ministres.

"Seuls 48% d'entre eux disent avoir confiance dans l'institution judiciaire", a-t-il rappelé en citant une enquête du Cevipof publiée en février qui montre que les Français jugent notamment la justice trop lente et pas assez sévère.

Pour y remédier, Eric Dupond-Moretti dit s'être appuyé sur la relation "charnelle" qu'il a établie avec la justice pendant ses 36 années de carrière en tant qu'avocat.

Avec une ambition que l'on résume ainsi à la Chancellerie : "Une justice plus lisible, plus efficace, plus accessible."

Parmi les mesures phares du projet de loi figure la possibilité de filmer les audiences d'un procès, une démarche que le ministre souhaite purement "pédagogique". "Je veux tout sauf du trash", a-t-il assuré le mois dernier sur France Inter.

"L'objectif n'est pas de filmer les procès très médiatiques, mais des audiences qui permettent aux Français de comprendre le fonctionnement et les codes du milieu judiciaire. On veut éviter de tomber dans le sensationnalisme comme de perturber les audiences", explique-t-on à la Chancellerie.

JUGER PLUS VITE LES CRIMES SEXUELS

"Nos compatriotes ont le droit de voir comment fonctionne la justice car elle est rendue en leur nom", a insisté Eric Dupond-Moretti.

Un certain nombre de garde-fous ont été conçus pour éviter toute dérive, comme le fait de diffuser le procès uniquement une fois qu'il a connu son "épilogue définitif", le droit à l'image pour les personnes filmées ou encore le "droit à l'oubli" cinq ans après la première diffusion.

Le format et le canal de diffusion du programme n'ont pas encore été déterminés, mais Eric Dupond-Moretti a exprimé le mois dernier sur France Inter sa préférence pour le service public.

Un grand nombre de propositions visent à améliorer les procédures pénales, comme la limitation de la durée des enquêtes préliminaires ou le renforcement de la présomption d'innocence et du secret de la défense, dont le ministre déplore qu'il "n'existe plus en France" en raison des "fuites" des procès-verbaux dans les médias.

La réforme s'attaque aussi à deux sujets qui cristallisent le mécontentement de l'opinion publique : la lenteur de la justice et l'application des peines souvent jugée trop "laxiste".

Sur le premier point, la principale mesure est la création dès le 1er janvier 2022 de cours criminelles départementales qui seront chargées de juger les crimes passibles de 15 à 20 ans de prison, en l'occurrence essentiellement des crimes sexuels.

L'objectif de ces juridictions dont l'expérimentation dans plusieurs départements "donne des résultats positifs", dit-on à la Chancellerie, est d'accélérer la justice en désengorgeant les cours d'assises, tout en épargnant aux victimes la blessure de la "correctionnalisation". Par exemple la décision de poursuivre l'auteur des faits pour "agression sexuelle" au lieu de "viol", ce qui permet certes de le juger plus vite, mais devant un tribunal correctionnel devant lequel il risque une peine plus légère.

FAVORISER LA RÉINSERTION DES DÉTENUS

"Permettre de juger les crimes sexuels plus rapidement, ça nous paraît important actuellement", ajoute-t-on au cabinet du ministre, en allusion au mouvement #metoo ou aux récentes affaires d'inceste.

"La cour d'assises n'est pas supprimée, elle sera revitalisée (et) demeurera en place pour les affaires les plus graves", a ajouté Eric Dupond-Moretti en réponse à ceux qui l'accusent de vouloir supprimer le jury populaire.

Quant aux peines prononcées, le garde des Sceaux ne veut plus qu'elles soient réduites de manière automatique, comme c'est le cas actuellement à raison de deux mois par année de prison, ce qu'il considère comme "une façon hypocrite de réguler la population carcérale".

Seul le juge d'application des peines, assisté par les agents pénitentiaires, sera à l'avenir habilité à accorder des réductions de peine sur la base du comportement du détenu et de ses efforts de réinsertion, meilleur remède contre le risque de récidive, selon Eric Dupond-Moretti.

"Le sens de l'effort, ce n'est pas un sens interdit", a insisté le ministre. "Je veux cette incitation à l'effort : se lever le matin, se désintoxiquer, avoir un suivi thérapeutique, travailler quand c'est possible", a-t-il ajouté en lançant "un appel aux chefs d'entreprise pour qu'ils permettent aux détenus de travailler".

Combinée à des aménagements de peine également prévus par le projet de loi, et à la création de 8.000 places de prison qui permettront d'offrir des conditions de détention "plus dignes", cette mesure est selon le garde des Sceaux la meilleure réponse au fait que "si la prison est séparée de la société par des murs d'enceinte, ça reste la société".

(Avec Nicolas Delame, édité par Jean-Stéphane Brosse)