Migrants : La France cherche à mobiliser ses voisins après le drame dans la Manche

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Migrants: paris interpelle ses voisins apres le drame dans la manche[reuters.com]
(Crédits : Pascal Rossignol)

par Ardee Napolitano, Lucien Libert et Layli Foroudi

CALAIS/ZAGREB (Reuters) - La France a annoncé jeudi la mobilisation de réservistes pour tenter de prévenir de nouveaux drames dans la Manche, où 27 personnes au moins ont péri mercredi en tentant de gagner l'Angleterre, mais elle a aussi réclamé une coopération renforcée avec ses voisins, à commencer par la Grande-Bretagne, dans la lutte contre l'immigration clandestine.

Les victimes, 17 hommes, 7 femmes et trois adolescents selon le parquet de Lille, qui est chargé de l'enquête, se sont noyés après que leur embarcation s'est apparemment dégonflée en pleine mer.

Ce drame, le pire impliquant des candidats à l'entrée clandestine en Grande-Bretagne jamais survenu dans la Manche, a immédiatement ravivé les tensions franco-britanniques, le Premier ministre britannique Boris Johnson mettant en cause Paris tandis que le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin regrettait la "mauvaise gestion de l'immigration" par Londres.

Interrogé sur l'incapacité des autorités françaises à empêcher les exilés de prendre la mer au péril de leur vie, Emmanuel Macron a répondu que les forces françaises étaient mobilisées "jour et nuit". "Nous allons maintenir cette présence maximale, continuer d'utiliser des drones", a-t-il ajouté.

"Nous allons demander une mobilisation supplémentaire des Britanniques, nous tenons en quelque sorte la frontière pour les Britanniques", a aussi expliqué le président français lors d'une conférence de presse à Zagreb, en Croatie, où il effectuait une visite officielle.

Il a souligné que la France était avant tout "un pays de transit" et que "quand ces femmes et ces hommes arrivent sur les rivages de la Manche, c'est déjà trop tard".

Emmanuel Macron a déclaré qu'il fallait "sérieusement renforcer la coopération" avec la Belgique, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne et la Commission européenne.

Son Premier ministre, Jean Castex, a annoncé la tenue dimanche à Calais d'une réunion à laquelle il a convié les ministres en charge de l'immigration belge, allemand, néerlandais et britannique ainsi que la Commission européenne, afin de "renforcer la coopération policière, judiciaire et humanitaire à mettre en place pour mieux lutter contre les réseaux de passeurs à l'oeuvre dans les flux migratoires".

JOHNSON PRÔNE UN RENVOI IMMÉDIAT DES MIGRANTS

A Londres, Boris Johnson a indiqué plus tard dans la journée avoir écrit à Emmanuel Macron pour lui proposer une rencontre, ainsi qu'avec d'autres dirigeants européens, pour discuter de cinq mesures qu'il estime à même d'endiguer les traversées illégales.

Parmi ces mesures, a précisé le Premier ministre britannique, figurent la mise en place de patrouilles conjointes destinées à empêcher les embarcations de migrants de quitter les côtes françaises, l'utilisation de détecteurs et de radars, ainsi que l'élaboration d'un accord de renvoi des migrants avec la France et avec l'Union européenne.

"Cela aurait un impact immédiat et réduirait nettement - voire stopperait - les traversées, sauverait des vies, en cassant le modèle économique des groupes criminels", a-t-il écrit dans la lettre envoyée à Emmanuel Macron et qu'il a publiée sur Twitter.

La ministre britannique de l'Intérieur, Priti Patel, a dit avoir proposé à Paris d'affecter des forces supplémentaires pour des patrouilles communes et promis de faire "absolument tout ce qui sera nécessaire" pour sécuriser la zone de Calais.

Son homologue français, Gérald Darmanin, avait annoncé en début de journée l'arrestation d'une cinquième personne soupçonnée d'appartenir au réseau de passeurs impliqué dans ce naufrage et qui a selon lui acheté des Zodiac en Allemagne.

Une enquête a été ouverte par le parquet de Lille. Deux survivants, un Somalien et un Irakien, hospitalisés en "grave hypothermie", devaient être interrogés dès que possible, a-t-il précisé sur RTL.

Si Paris et Londres affichent leur détermination à renforcer la lutte contre les réseaux de passeurs et leur volonté de coopérer davantage, le drame de mercredi souligne aussi les tensions entre les deux rives de la Manche, déjà alimentées par le Brexit et le contentieux sur les licences de pêche.

"Nous avons eu du mal à convaincre certains de nos partenaires, particulièrement les Français, de faire les choses de la manière que nous jugeons justifiée par la situation" déclarait ainsi Boris Johnson mercredi.

Londres a menacé par le passé de ne pas verser les contributions au financement des opérations de surveillance des côtes prévues par les accords bilatéraux du Touquet.

"UN DRAME REDOUTÉ ET ANNONCÉ"

À Calais, les sentiments étaient partagé jeudi entre l'émotion et la colère.

"C'est un drame qui était redouté, qui était annoncé", a déclaré à Reuters Bernard Barron, président de la Société nationale du sauvetage en mer (SNSM) locale.

"Ça fait plusieurs fois qu'on tirait le signal d'alarme en disant que les passeurs sont de plus en plus imprudents, et surtout criminels de balancer en mer de pauvres innocents qui veulent gagner l'Angleterre à tout prix, sans connaître la mer."

Plusieurs organisations non-gouvernementales ont critiqué de leur côté la volonté des responsables politiques de limiter le débat au seul problème des passeurs.

"N'accuser que les passeurs, c'est cacher la responsabilité des autorités françaises et britanniques", estime ainsi l'association Auberge des migrants, pour laquelle "la vraie responsabilité repose sur les autorités françaises, qui bloquent la frontière, obligeant, comme à la frontière de la Pologne, les exilés à risquer leur vie pour passer".

La Croix-Rouge française appelle pour sa part à "un sursaut d'humanité", qui passe selon elle par la création de dispositifs d'accueil sur le littoral et par le développement de "voies légales" d'accès au Royaume-Uni.

A Grande-Synthe, près de Calais, des exilés n'ont pas renoncé à tenter la traversée de la Manche malgré le drame, comme Mahdi, un Kurde d'Iran de 31 ans qui attend de pouvoir monter sur un bateau depuis plus d'un mois.

"C'est un énorme choc, c'est une énorme dilemme", a-t-il dit. "Ça revient à choisir entre une mauvaise solution et une pire mais je n'ai pas d'autre possibilité: je ne peux pas revenir en arrière et je n'ai pas changé d'avis."

Pour son compatriote Manzar, qui a quitté l'Iran il y a six mois et est arrivé en France il y a trois semaines, "c'est peut-être dangereux, nous allons peut-être mourir, mais peut-être que ça se passera bien. Nous devons tenter notre chance."

(Ardee Napolitano et Layli Foroudi à Calais, Alistair Smout à Londres, avec Juliette Jabkhiro et Ingrid Melander à Paris et Lucien Libert à Zagreb, rédigé par Myriam Rivet et Marc Angrand, édité par Bertrand Boucey, Jean-Michel Bélot et Jean Terzian)