Les contours réglementaires de la solidarité familiale

Les jeunes majeurs n'ont jamais eu autant besoin du soutien financier familial. D'où l'importance pour les parents de connaître les limites juridiques de leur contribution et leur marge de manœuvre.
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A l'image des nos voisins espagnols et italiens, les jeunes adultes français restent de plus en plus longtemps à la charge de leurs parents (1). Tous les effets sont conjugués pour retarder leur indépendance financière : au marché de l'emploi en tension, s'ajoute le difficile accès au logement.

Etudes supérieures, achat du premier véhicule, coups de mains ponctuels en fin de mois, apport de fonds pour financer le premier appartement, stages à l'étranger... la solidarité parentale joue à plein régime, mais pas forcément de façon égalitaire entre les différents enfants. Leurs besoins ne sont pas les mêmes et la transparence n'est pas toujours de mise.

Pourtant, la générosité des parents concerne la famille dans son ensemble. Le Code civil réserve en effet à l'enfant une quotité du patrimoine de ses parents dont il ne peut pas être déshérité, la réserve héréditaire. "Dans ce cadre, tout acte d'appauvrissement des parents, comme une donation, doit être examiné à la loupe afin de savoir s'il empiète sur la réserve des autres enfants, avertit Olivier Hernnbeger, notaire à Issy-les-Moulineaux. C'est pourquoi il importe de sécuriser ces aides et d'écarter tout risque de remise en cause à leur décès. L'ouverture de la succession entraînerait des comptes destinés à rétablir l'égalité entre les enfants si elle n'a pas été respectée."

Sécuriser l'aide parentale

Invitation est faite aux parents et grands-parents à tenir des comptes de leur vivant. Pour autant, est-ce que tous les gestes doivent être recensés ? Un coup de pouce à l'installation ? Le coût des études ? La mise à disposition d'un logement ? La loi ne traite pas toutes ces aides de la même façon.

Certaines sont obligatoires, quand elles correspondent à l'obligation alimentaire et à l'obligation d'entretien des enfants (lire l'interview page suivante), lesquelles ne s'arrêtent pas à la majorité de l'enfant. Selon Yves Delecraz, notaire à Lyon, "l'obligation d'entretien dure ainsi jusqu'au moment où l'enfant a un emploi régulier. Or cet objectif est souvent retardé par la multiplication des CDD, des stages et contrats précaires".

D'autres aides sont considérées comme apportant des donations indirectes et, à ce titre, elles entreront dans les comptes (voir ci-dessous). Si la ligne de partage n'est pas toujours facile à dessiner, les parents ont la possibilité de moduler ces frontières, et d'éviter que l'un d'eux ne se sente lésé. À condition d'abandonner le réflexe "on verra plus tard" et d'aborder, en amont ces questions avec eux. Les formaliser par écrit pour plus de sécurité et aborder la question du partage, essentielle en présence d'un enfant vulnérable, écartera les risques de conflits qui ne manquent jamais de survenir lors d'une succession non préparée. Sur ce point, la marge de manoeuvre des parents est grande, encouragée par les pouvoirs publics qui s'appuient sur une politique fiscale incitative.

 

(1) Dans un sondage TNS Sofres réalisé pour le magazine Notre Temps et Mondial Assistance en septembre 2009, 42% des personnes de plus de 70 ans soutiennent financièrement leurs enfants au-delà de leur majorité.

"Toute aide financière peut être sécurisée par un acte juridique"
Olivier Herrnberger, notaire associé à Issy-les-Moulineaux

L'aide financière peut constituer un avantage indirect que la fratrie peut contester. En formalisant leurs gestes, les parents peuvent anticiper les comptes et les conflits tardifs.

Quelle est l'étendue de l'obligation alimentaire des parents ?

L'obligation alimentaire concerne non seulement les parents et les enfants mais tous les ascendants en ligne directe ainsi que les gendres et les belles-filles (et aussi les époux), et réciproquement. Elle oblige à fournir les moyens de subsistance à un parent dans le besoin. Les parents ont aussi une obligation d'entretien de leurs enfants, qui comprend le financement obligatoire de l'éducation de l'enfant mineur et qui ne s'éteint pas à sa majorité ; à ne pas confondre avec l'aide à l'établissement.

Jusqu'où peut-on aider un jeune adulte ?

La solidarité familiale peut être sans limite, mais les parents doivent avoir en tête la frontière entre leur aide financière obligatoire et l'aide qui procure un avantage indirect. Cette dernière, parce qu'elle rompt l'égalité entre les enfants, pourra être contestée lors de la succession. Mais si l'égalité entre frères et soeurs peut parfois être rétablie à ce moment-là, elle entraîne des comptes fastidieux et des situations conflictuelles qui pourraient être évitées. Tous les mouvements financiers qui ne sont pas accompagnés d'un acte juridique soulèvent des questions, souvent trop tard.

Comment éviter l'épreuve des comptes lors de la succession ?

C'est aux parents de les anticiper, soit dans un acte de donation, en aménageant le rapport à la succession ou, dans une moindre mesure, par testament. La solution la plus globale consiste à passer un pacte de famille avec toutes les personnes concernées, c'est-à-dire une donation partage. Elle peut rendre rapportable l'aide apportée au titre de l'obligation d'entretien, y inclure l'avantage indirect. Acceptés par tous, ses termes sont définitifs et les valeurs figées à la donation. En général, nous conseillons de décomposer le montant global d'un soutien financier : telle quote-part relève de l'obligation alimentaire et ne sera pas rapportable, telle autre d'une donation, et enfin, telle autre d'un prêt.

Quatre situations décryptées

1 - Etudes supérieures : entre le prêt remboursable et l'avantage indirect

Avec un marché du travail toujours plus exigeant, il faut aller chercher des formations à l'étranger, faire des doubles cursus. Notaire à Lyon, Yves Delecraz constate que "le poste études s'avère de plus en plus coûteux, et une année à l'étranger peut atteindre facilement 20.000 à 30.000 euros". Quel que soit leur coût final, les études supérieures relèvent de l'obligation d'entretien.

"Les parents ne sont donc pas tenus à un traitement égalitaire envers leurs enfants, indique le notaire. Aussi onéreuses soient elles, les études payées à un membre d'une fratrie ne peuvent être contestées par les autres. Seule limite : si l'enfant a obtenu un diplôme à vocation professionnelle qui lui permettrait de financer un logement, alors le financement par les parents de la formation complémentaire ou de la spécialisation qui vient ensuite constitue certainement un avantage indirect."

Spécialisation ou non, la fratrie accepte de moins en moins que cette aide, qui peut être élevée et sélective, n'entre pas dans les comptes de la succession. Heureusement, les parents ont le pouvoir de la considérer comme un avantage indirect (voir interview). Selon Yves Delecraz, "les parents peuvent aussi conclure une convention parentale de financement d'études supérieures avec les enfants bénéficiaires. Ce contrat permettrait d'évaluer l'aide totale décernée à l'enfant bénéficiaire et d'en délimiter les frontières internes : la part relevant de l'obligation légale, la part relevant de l'avantage indirect et la part relevant du prêt remboursable, par exemple".

2 - Aide à l'installation : le prêt logement à encadrer

Il n'est pas rare que des parents aident un enfant devenu adulte en mettant à sa disposition un studio dont ils sont propriétaires, le temps pour lui d'économiser ses premiers salaires et d'affronter le marché immobilier.

A priori, l'opération constitue un prêt, ni les parents ni l'enfant ne vont juger la situation risquée. Et pourtant, si la mise à disposition se prolonge, cet avantage est susceptible de créer un déséquilibre entre les enfants. Le jeune majeur s'est enrichi par la mise à disposition gratuite du bien immobilier, et les parents se sont appauvris en ne percevant pas de revenus locatifs. L'opération peut alors être considérée comme une donation indirecte à hauteur des loyers que les parents n'ont pas perçus. Au décès des parents, cette donation devra être évaluée et son montant déduit de la part de l'enfant. Si cette part s'avère insuffisante, l'enfant devra indemniser ses frères et soeurs.

Critère déterminant, la durée du prêt. Une quinzaine d'années conclut à la donation indirecte tandis que si l'avantage est de courte durée, le prêt reste une opération d'entraide familiale classique. Aussi, cette règle ne s'applique pas si les parents accueillent un enfant chez eux.

Mais les parents peuvent en décider autrement et préférer que cet avantage soit définitivement acquis. "Ils doivent alors exprimer leur volonté en ce sens, conseille Olivier Herrnberger, et ce, dès la mise à disposition du logement. Ils mettront par écrit qu'il s'agit d'un prêt, dont la durée devra être fixée à l'avance, et interdiront à leur enfant de sous-louer le bien."

3 - Capital investissement familial : attention au compte courant associé

Un aîné qui se lance dans l'aventure entrepreneuriale et les parents qui mettent au pot : à première vue, ce schéma de capital investissement familial n'intéresse pas les autres membres de la fratrie. En apportant des fonds au capital de la société de leur enfant, les parents réalisent une opération qui comporte une contrepartie puisqu'ils reçoivent des actions ou des parts sociales. "En revanche, c'est quand les parents contribuent au fonctionnement de la société que les risques surviennent."

Selon Oliver Herrnberger, "il arrive qu'ils avancent de l'argent en compte courant et que ce compte ne soit pas rémunéré : cela peut constituer un avantage indirect d'un héritier. C'est plus flagrant si les parents abandonnent leur créance et que le remboursement n'intervient jamais. Les cohéritiers pourraient demander à ce qu'il soit rendu compte de ces avantages indirects".

Le soutien des parents peut aussi se trouver sur le terrain, quand, par exemple, ils tiennent le fonds de commerce de leurs enfants pendant les vacances. "Là aussi, cela peut donner lieu à une contestation des autres héritiers qui considéreraient qu'il y a une société de fait."

En présence d'une entreprise individuelle, les parents peuvent être amenés à donner une somme d'argent (voir encadré). Selon le notaire, "ce coup de pouce a la particularité d'entrer dans les comptes de la succession pour le montant réévalué au jour de la succession, sauf à ce que les parents en décident autrement dans l'acte de la donation".

4 - Enfant vulnérable : les limites de l'obligation alimentaire

Rarement indépendant, l'enfant vulnérable, même adulte, reste toute sa vie à la charge de ses parents. Inscrite profondément dans notre droit successoral, l'égalité entre les enfants a un revers : l'enfant incapable dispose des mêmes droits que ses frères et soeurs sur le patrimoine de leurs parents, mais pas plus qu'eux. L'obligation alimentaire et d'entretien est la même. Ne peut-elle pas comprendre l'achat d'un logement ?

"Cela dépend de l'ampleur du patrimoine de la famille, sinon, les co-héritiers sont juridiquement fondés à réclamer des comptes", explique Olivier Herrnberger.

A leur décès, l'obligation légale des parents va s'éteindre. Pourtant, les besoins de la personne vulnérable ne vont pas diminuer. Ce sera à l'Etat de prendre le relais.

Pour assurer l'avenir de cet enfant, les parents souhaitent lui donner les moyens de subsister. Si possible, ils auront recours à la donation notamment aux libéralités résiduelles ou graduelles, qui organisent le retour des biens dans l'actif successoral des parents au décès du majeur vulnérable.

"Mais la vraie problématique consiste à assurer des revenus de façon pérenne, comme le permettent l'usufruit temporaire et les rentes viagères, indique le notaire. Et, pour les gérer, les parents auront pris soin de faire un mandat à effet posthume : ce contrat charge une ou plusieurs personnes d'administrer le patrimoine du majeur vulnérable. Le mandat peut même s'étendre aux intérêts médicaux, sociaux ou de toute autre nature de la personne à protéger".

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