Températures extrêmes, feux de forêts, inondations... les clignotants du changement climatique sont en alerte rouge. Partout en Europe, les Etats doivent faire face à des événements météorologiques toujours plus difficiles à maîtriser. L'agence européenne de l'environnement (AEE) a tiré la sonnette d'alarme ce lundi 11 mars. « Notre nouvelle analyse montre que l'Europe est confrontée à des risques climatiques urgents auxquels notre société n'est pas suffisamment préparée », a prévenu l'instance dans un rapport accablant.
Dans ce contexte brûlant, la Cour des comptes continue d'étriller le manque d'ambition de l'Etat Français sur sa politique climatique. Après avoir émis un récent avertissement sur les stations de ski, la juridiction financière a passé au scalpel les politiques publiques d'adaptation au changement climatique dans sa publication phare de plus de 700 pages dévoilée ce mardi 12 mars.
Réchauffement climatique et adaptation : l'impossible équation financière
L'un des grands enseignements est que la France se retrouve face à un casse-tête financier particulièrement délicat à résoudre. Le gouvernement a récemment annoncé un plan d'économies de 10 milliards d'euros en 2024 et un autre de 20 milliards d'euros en 2025 pour tenir son objectif de ramener le déficit public sous la barre des 3% d'ici 2027.
Mais la montagne d'investissements à financer pour remplir les objectifs de l'Hexagone en matière de réduction des émissions et d'adaptation au péril climatique met le gouvernement au pied du mur. Surtout qu'en 2020, l'Union européenne a révisé à la hausse ses ambitions climatiques en passant d'une baisse des émissions de 40% à 55% (par rapport à 1990) d'ici 2030 pour atteindre la neutralité climatique en 2050.
Adaptation au changement : un chiffrage des coûts « lacunaire »
Cette révision des objectifs va mécaniquement entraîner une hausse des coûts pour les acteurs publics et privés. S'agissant des investissements nécessaires, le rapport de référence des économistes Jean Pisani Ferry et Selma Mahfouz a évalué en 2023 l'enveloppe globale à 66 milliards d'euros (public et privé) par an d'ici 2030. Mais ce montant prend très peu en compte les coûts de l'adaptation. Certains centres de recherche ont certes mis des estimations sur la table pour quelques composantes de l'économie (infrastructures, transports), mais au terme de leurs investigations, les magistrats ont étrillé les insuffisances dans le chiffrage global du coût de l'adaptation.
« La plupart des enquêtes conduites par les juridictions financières ont montré que l'évaluation des coûts actuels et futurs de l'adaptation est lacunaire, voire inexistante, faute de données suffisantes mais également parfois d'objectifs clairs », taclent les fonctionnaires.
Ce manque de chiffrage est particulièrement criant dans le logement ou le patrimoine immobilier de l'Etat, estiment les auteurs. Pour les bâtiments publics, les coûts mis en avant prennent surtout en compte les mesures pour assurer la décarbonation du parc immobilier. En revanche, la facture des travaux pour adapter ces bâtiments aux pics de chaleur n'est pas prise en compte par les services de l'Etat. Du côté des entreprises publiques (SNCF, EDF), la Cour des comptes dresse un bilan également négatif sur l'absence de chiffrage des coûts de l'adaptation sur les infrastructures. Pourtant, les enjeux financiers sont immenses, dans la relance de la filière nucléaire notamment.
Le recul du trait de côté lié à l'élévation des niveaux des mers et des océans risquent également de provoquer des dépenses colossales pour les collectivités locales et l'Etat. En effet, les pouvoirs publics vont sans doute devoir racheter beaucoup de biens immobiliers et du foncier ou déménager des habitants. Cette impérieuse adaptation est également peu chiffrée par les pouvoirs publics. « La "vérité des prix" constitue pourtant un élément d'arbitrage essentiel pour définir et mettre en œuvre des solutions financièrement soutenables », expliquent les Sages de la rue Cambon.
Des financements « embryonnaires » pour l'adaptation
Sur le front financier, la Cour des comptes a également enquêté sur le rôle des acteurs financiers et bancaires dans l'adaptation au changement climatique. Dans leurs travaux, les magistrats sont revenus sur le traité de l'Accord de Paris qui a mis en place un cadre destiné à inciter les acteurs financiers à orienter les flux financiers vers des actifs à faible émission.
Concernant ce chapitre, les fonctionnaires reconnaissent que depuis 2015 des efforts ont été réalisés mais que « les données disponibles montrent que la (ré)allocation des flux financiers vers la transition de l'économie est d'ampleur limitée ». La priorité est avant tout « la rentabilité financière, et non l'impact environnemental », relève la Cour. Au final, le financement de l'adaptation demeure « embryonnaire ». Sur les leviers, les auteurs du rapport annuel évoquent relativement peu les sujets de fiscalité pour financer l'adaptation au changement climatique. A l'exception de la hausse des taxes sur le gaz naturel, l'institution rappelle surtout que le gouvernement, en manque de recettes, a mis sur pause le cycle des baisses d'impôts lancé depuis 2017.
Recherche publique sur l'adaptation : un secteur sous tension
La recherche tricolore va jouer un rôle crucial dans les politiques publiques d'adaptation au cours des prochaines décennies. En reprenant les récentes publications du GIEC, les magistrats soulignent que les travaux français concernant la biodiversité, l'agriculture ou encore l'eau sont fréquemment cités. En revanche, la recherche française sur la santé, l'urbanisme et les villes souffrent d'un manque de visibilité.
Parmi les autres points faibles mentionnés par la Cour figurent la diminution du personnel scientifique sur les sciences du climat et de l'adaptation ou encore des problématiques de financement des infrastructures de recherche. Un recul de la recherche tricolore sur ces questions pourtant prioritaires pourrait mettre à mal la transition écologique.