Adaptation des stations de ski au changement climatique : le rapport accablant de la Cour des comptes

Pour la première fois de son histoire, la Cour des comptes et ses cinq chambres régionales ont passé au crible l'adaptation au changement climatique des stations de ski françaises. À travers un rapport fleuve de 147 pages, le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, est sans équivoque : le modèle des stations de ski françaises, héritées des années 1960 et 1970, s'essouffle. Pire : il ne serait pas à la hauteur des enjeux.
Ce rapport de la Cour des comptes émet, entre autres, l'idée d'une conditionnalité écologique des aides publiques versées aux stations de ski.
Ce rapport de la Cour des comptes émet, entre autres, l'idée d'une "conditionnalité écologique" des aides publiques versées aux stations de ski. (Crédits : Pexels.com/ Toni Cuenca)

Il s'agissait d'un rapport très attendu, et qui est appelé à faire beaucoup de bruit. La Cour des comptes l'assume elle-même : il aura certainement vocation à « alimenter le débat et la décision publique ». Car à l'heure où les études scientifiques se succèdent en prédisant une baisse de l'enneigement, consécutive à la hausse mondiale des températures d'ici à 2050, la plus haute juridiction financière française a choisi de se pencher elle-même sur le sujet.

Car en vertu d'un modèle économique hérité des années 1960 et 1970 dans le cadre des plans Neige initiés par l'État, le tourisme montagnard représente à la fois un acteur de poids en France (avec 22,4 % des nuitées touristiques) mais aussi sur la scène internationale, où l'Hexagone se classe désormais en seconde position avec 53,9 millions de journées-skieurs derrière les Etats-Unis (61 millions), et un chiffre d'affaires de 1,6 milliard d'euros généré par la filière des remontées mécaniques.

Un marché concurrentiel où demeure également une spécificité de taille : car depuis la « Loi Montagne » de 1985, les communes jouent un rôle clef en choisissant soit d'exploiter leurs domaines skiables en direct, soit en les délégant à des opérateurs privés.

L'objectif de la Cour des comptes, épaulée par ses cinq chambres régionales (CRC Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et Provence-Alpes-Côte d'Azur), était donc de « préciser les conséquences du changement climatique sur le tourisme hivernal en montagne et d'examiner comment les stations s'y sont adaptées ».

Avec au menu, un passage au crible de la dépendance des stations de ski à la neige, et plus particulière aux activités de ski alpin, et leurs effets sur l'équilibre financier des territoires de montagne.

Un modèle qui s'essouffle

Les institutions financières ont donc pour cela audité depuis novembre 2022 près de 42 stations, réparties sur différents massifs (les Alpes, les Pyrénées, le Massif central et le Jura) et jugées représentatives de la diversité des situations rencontrées, afin de constituer en parallèle une base de données à une échelle plus large, comprenant près de 200 stations françaises. Le tout, sous le regard de plusieurs universitaires spécialisés sur les questions liées au changement climatique.

« En constituant une base de données ad hoc à la fois climatique, juridique et financière et en croisant des données jamais exploitées jusqu'alors (...), ce rapport est novateur et utile dans sa méthode, car il permet de poser des constats chiffrés complets à l'échelle des territoires de montagne sur leur adaptation au changement climatique », expose lui-même Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes.

Et le premier constat de la juridiction financière est sans appel : selon elle, le modèle des stations de ski françaises s'essouffle.

« Alors qu'il pouvait compter à la fin du XXe siècle sur une dynamique alimentée par une croissance du tourisme de ski entraînant celle des infrastructures immobilières et des remontées mécaniques (...), à compter de la fin des années 2000, la diminution de l'activité ski et l'inadaptation croissante du patrimoine immobilier des stations ont commencé à fragiliser l'équilibre financier des remontées mécaniques et l'économie locale qui en découle », observe-t-elle.

Tous les massifs seront touchés à horizon 2050

Un phénomène accentué davantage par le changement climatique, dont les effets et notamment la hausse des températures sont devenus encore plus manifestes qu'en plaine. « Toutes les stations de ski seront plus ou moins touchées à horizon 2050 », affirme ce document, qui rappelle que « seules quelques stations » pourraient espérer poursuivre une exploitation au-delà de cette échéance.

Avec, comme presse à l'appui, une toute nouvelle « classification du score de vulnérabilité des stations » mise sur pied par la juridiction financière durant ses travaux, et qui mêle des facteurs comme l'exposition au risque climatique, l'impact économique et social compte-tenu de la possibilité d'une cessation totale de l'activité ski, et la capacité des acteurs locaux à s'adapter.

« On voit notamment que les Alpes du Nord seront moins vulnérables que d'autres massifs. Huit des dix stations les plus vulnérables sont notamment situées dans les Alpes du Sud, et en particulierement dans les Hautes-Alpes », rappelle Pierre Moscovici.

D'ailleurs, la Cour des comptes observe que le changement climatique a d'ores et déjà un impact sur les finances locales, puisque l'exploitation des remontées mécaniques demeure un poste nécessitant de lourds investissements et qui requiert également un haut niveau de fréquentation. « De nombreuses stations de ski ne sont déjà plus en capacité d'atteindre l'équilibre d'exploitation », tranche Pierre Moscovici.

Le Premier président de la juridiction financière n'y va d'ailleurs pas par quatre chemins : « c'est toute l'économie du ski française, conçue dans les années 1960, qui s'essouffle et qui est aujourd'hui vraiment fragilisée par le changement climatique. Et les politiques d'adaptation ne sont pas à la hauteur des enjeux. »

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... et qui dépend aussi du financement public

Car dans ce travail de fourmi, la juridiction financière pointe, entre autres, le niveau de dépendance de l'industrie du ski à la dépense publique, qui se situerait selon ses calculs entre 23 % et 28% (en fonction du chiffre d'affaires réalisé annuellement par les remontées mécaniques). « Sur la période 2018-2022, les 18 stations de ski françaises qui ont généré un chiffre d'affaires annuel inférieur à 15 millions d'euros par an ont reçu, toutes administrations publiques confondues, 124 millions de subventions par année », rappelle Pierre Moscovici.

Ce n'est d'ailleurs pas tout à fait la première fois que la juridiction financière se penche sur les aides publiques reçues par les stations, puisqu'elle avait déjà émis un rapport en 2022 sur les aides Covid-19 qui avait fait beaucoup de bruit.

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« À défaut de repenser fondamentalement le modèle économique, le niveau de subventionnement public ne pourra que s'alourdir compte tenu des projections climatiques », alerte cette fois ce rapport, qui plaide dès à présent pour une « réorientation fondamentale » de la dépense des collectivités locales.

Avec la mise en exergue d'un autre chiffre : 91,7 millions d'euros par année, qui représente une évaluation du coût des premières mesures d'adaptation nécessaires en France pour le changement climatique par l'Institut d'économie pour le climat.

De quoi justifier, pour la Cour des comptes, la nécessité de mettre en place dès à présent « un fonds d'adaptation au changement climatique destiné à financer les actions de diversification et de déconstruction des installations obsolètes, alimenté par la taxe locale sur les remontées mécaniques ».

C'est là l'une des propositions phares émis par la plus haute juridiction financière de l'Etat, qui envisage ainsi de créer une meilleure solidarité intercommunale entre les stations, qui ne seront pas nécessairement toutes touchées de la même manière par le changement climatique, l'échelle des décennies à venir.

« Il existe déjà une taxe communale de 3% sur le prix des forfaits liés aux remontées mécaniques, qui permet de remonter un maximum de 1,68 euros par jour. L'idée étant de dire que, sur un forfait dont le coût moyen est de 56 euros par jour, on pourrait remonter cette taxe de quelques points, ce qui signifierait quelques euros par semaine, afin de générer par effet cumulé un fonds d'adaptation au changement climatique », résume Pierre Moscovici.

Des politiques d'adaptation insuffisantes ?

Car ce rapport se veut également sévère face à l'économie « du tout ski », en pointant le fait que les politiques d'adaptations menées jusqu'ici par les domaines skiables reposent encore essentiellement sur la production de neige, et de manière plus réduite, sur le développement d'activités de loisirs complémentaires au ski. De quoi constituer, selon la juridiction financière, une protection uniquement « relative et transitoire » face aux effets du changement climatique.

Et de noter même que « dans certains cas, la production de neige peut tendre vers une mal-adaptation », car les investissements réalisés seraient encore trop souvent décorrélés des prévisions climatiques et jugées très (trop) gourmandes en eau. Le président de la chambre régionale des comptes Auvergne Rhône-Alpes, Bernard Lejeune, estime notamment que les nouvelles générations d'enneigeurs pouvant fonctionner sous des températures positives font ainsi partie de cette catégorie.

« Les actions de diversification mises en œuvre sont rarement adossées à un véritable projet », tranche ce rapport, qui souligne également le manque de coordination entre les différentes collectivités territoriales pour penser ensemble l'ère de l'après-ski. « La mobilisation de ressources financières importantes en faveur de la production de neige est au contraire susceptible d'entretenir un sentier de dépendance au ski, ne laissant que peu de place à l'invention d'alternatives ».

Quid des recommandations à mettre en place ?

Ce document met également en exergue un autre enseignement : selon lui, le rôle que l'État peut jouer dans la planification écologique des territoires de montagne est jugé insuffisant, car il ne permettrait pas « d'impulser une réelle dynamique de changement
». Est notamment épinglé le Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC-2) du Ministère de la Transition écologique, ou encore le plan Avenir Montagnes, qui avait été présenté en réponse à la crise Covid-19 pour accompagner la réouverture des stations. « Ces politiques sont souvent incitatives et peu opérationnelles, ou trop dispersées par rapport à la hauteur des besoins », analyse Pierre Moscovici.

Même chose pour les Régions, qui, bien que fléchant de facto les investissements des stations de ski à travers leurs subventions (comme on l'a vu lors du volet du plan Montagne d'Auvergne Rhône-Alpes par exemple, ndlr), n'ambitionnent pas « d'orienter réellement les choix locaux. »

Pour la Cour des comptes, il est donc devenu nécessaire et urgent de bâtir « de véritables plans d'adaptation au changement climatique » et même de « conditionner » le soutien des financeurs publics au contenu (écologique) de ces plans.

Le rapport estime également que l'Hexagone « aurait tout intérêt à promouvoir une organisation fédérant l'ensemble des acteurs concernés autour de projets de territoires et d'une gouvernance élargie », avec l'objectif de mieux préserver les ressources et espaces naturels. Avec, notamment, la mise sur pied d'un Observatoire national qui pourrait ainsi regrouper « toutes les données de vulnérabilité en montagne accessibles à tous les acteurs locaux », sous l'égide du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires).

C'est d'ailleurs à ce même ministère qu'il pourrait également revenir de « faire évoluer le cadre normatif afin que les autorisations de prélèvements d'eau destinés à la production de neige tiennent compte des prospectives climatiques », ainsi que de « formaliser des plans d'adaptation au changement climatique, déclinant les plans de massifs prévus par la loi Climat et résilience ».

Pour formaliser davantage la nouvelle gouvernance des stations de montagne, la Cour des comptes émet d'ailleurs la proposition que celle-ci « ne relève plus du seul échelon communal », mais du Ministère de l'Intérieur et des Outre-mer ou du Ministère des Collectivités territoriales.

Avec, enfin, l'apparition du « fonds d'adaptation au changement climatique destiné à financer les actions de diversification et de déconstruction des installations obsolètes », cité plus haut, et qui pourrait être alimenté « par le produit de la taxe sur les remontées mécaniques ».

Des propositions qui seront soumises dès le mois prochain au gouvernement, dans le cadre d'un rapport plus large que doit déposer la Cour des comptes dédié à l'analyse des politiques publiques à l'aune du changement climatique. De quoi alimenter le débat à l'échelle politique, mais également au sein de la filière du tourisme de montagne, qui ne devrait pas manquer de réagir très fortement au cours des prochains jours, sur un rapport d'ores et déjà jugé offensif.

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Commentaires 12
à écrit le 18/02/2024 à 11:52
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comment pouvez-vous apporter du crédit à un rapport sans queue ni tête édité par des grattes-papiers qui ne sont jamais sortis de leurs bureaux dorés parisiens et n'ont donc jamais mis les pieds en province et dans nos territoires de montagnes trop r...

à écrit le 07/02/2024 à 11:25
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restons optimiste .... de la neige il y en aura dans les années à venir ....le seul problème : trop de tourisme ....il va falloir limiter ....des files de voitures qui vont au ski .... mais là on ne s'occupe pas des habitants des vallées, voir la ...

à écrit le 07/02/2024 à 9:14
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...au même endroit aujourd'hui, à 9 heures 5.9°Celsius!

à écrit le 07/02/2024 à 7:52
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"un modèle économique hérité des années 1960 et 1970 " On voit mal où la cours des comptes veut en venir puisque le ski alpin repose sur ce modèle là depuis toujours et ne le quittera pas d'autant que plei nde financiers se gavent sur le sujet.

à écrit le 06/02/2024 à 13:39
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Pas besoin de la cour des comptes pour s'apercevoir du déficit en neige. Va-t-elle aussi bientôt s'occuper du niveau d'eau dans les fossés ?

à écrit le 06/02/2024 à 13:36
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J'aimerais bien qu'on m'explique pourquoi nous payons des fonctionnaires d'Etat à s'occuper des stations de ski; que la Cour des Comptes vérifie la bonne gestion comptable des communes, des départements, des régions, du ministère et du parlement (où ...

le 06/02/2024 à 13:57
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a partir du moment ou l argent du contribuable est dans une activité la cour des comptes a le droit de regarder si celui-ci est bien gérer , ça vous gêne a ce point ?

à écrit le 06/02/2024 à 13:05
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"le modèle des stations de ski françaises, héritées des années 1960 et 1970, s'essouffle." Pas que : selon les chiffres de la Fnaim, .Quand 6 % des résidences principales françaises sont classées G, ce taux monte à 17,9 % dans ces zones. On y retr...

à écrit le 06/02/2024 à 13:00
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25% du chiffre d affaire des stations de ski sont payés par le contribuable a travers diverses aides en tout genre on n est pas loin du tonneau des danaïdes .donc nier le dérèglement climatique ne fera que de reculer .le jura a deja tourné la page p...

le 06/02/2024 à 14:15
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Alors quel est le sujet : l’élitisme ou le réchauffement climatique et ses éventuelles conséquences ? Les stations disposent de suffisamment d’éléments pour décider comment elles doivent évoluer à moyen et long terme.

à écrit le 06/02/2024 à 12:41
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Le ski?...C'est mort! Je suis (hélas!) suffisamment âgé pour constater, après avoir beaucoup skié sur piste et en ski de fond, que les moments où la neige est présente en montagne ne le sont plus que quelques malheureuses semaines par an et encore un...

à écrit le 06/02/2024 à 12:37
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Si seulement on pouvait retrouver la montagne de mon enfance débarrassée enfin des hordes friquées des citadins prétentieux

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