Prêts garantis par l'Etat (PGE), fond de solidarité, chômage partiel, reports des prélèvements obligatoires... depuis un an, plus de 17 mesures de soutien ont été déployées par le gouvernement pour limiter l'hécatombe dans le tissu productif. Dans son dernier rapport d'étape dévoilé ce mardi 20 avril, le comité de suivi et d'évaluation, piloté par France Stratégie et présidé par l'économiste Benoît Coeuré, évalue le montant mobilisé pour les quatre principaux dispositifs précités à 206 milliards d'euros entre mars 2020 et mars 2021, soit environ 9% du produit intérieur brut (PIB) français.
Avec le prolongement de la crise sanitaire et des mesures prophylactiques, ces sommes pourraient encore gonfler. Le gouvernement qui avait annoncé son plan de relance de 100 milliards d'euros en septembre 2020 reste empêtré dans une pandémie à rallonge. Les mesures d'urgence annoncées comme "provisoires" au début de la crise continuent de jouer grandement leur rôle d'amortisseur alors que le niveau de contamination avec la virulence des variants demeure à un niveau élevé. L'économiste de la banque des règlements internationaux (BRI) et ancien membre du directoire de la BCE a pointé plusieurs risques lors d'un point presse.
"L'impact de la crise sur la profitabilité des entreprises et les comptes extérieurs est préoccupant. Quand on corrige de l'effet du CICE, le taux de marge des entreprises en France se replie plus qu'ailleurs. La dette des entreprises augmentent plus qu'ailleurs. La dette brute augmente de 217 milliards et la dette nette augmente peu, d'environ 17 milliards d'euros. La balance courante se dégrade plus qu'ailleurs. Les importations ont été plus dynamiques en France qu'ailleurs. Les mesures cachent une situation microéconomique qui n'était pas forcément favorable avant la crise. Ce qui peut permettre d'alimenter les débats sur la politique de relance et la sortie de crise".
Des dispositifs jugés "favorables", les délais de versement s'allongent
La mise en place rapide de tout cet arsenal de mesures au printemps 2020 a été globalement saluée par un grand nombre d'économistes et aussi les interlocuteurs (chefs d'entreprises, banquiers) interrogés par le comité. "La réactivité des autorités publiques, ainsi que la facilité de recours aux dispositifs, au moins dans leur version initiale, font globalement l'objet d'une appréciation très favorable. Les dispositifs ont été rapidement adaptés et élargis pour prendre en compte les cas particuliers" a indiqué Benoît Coeuré.
Au moment de la seconde vague, l'accès à certains dispositifs a été rendu plus complexe et les contrôles se sont multipliés. Selon des chiffres communiqués lors de la présentation, près de 6 milliards d'euros de montants indus ont été évités selon la direction générale des finances publiques (DGFIP). "Il y a eu une complexité du fonds de solidarité qui entraîne un besoin de contrôle. C'est un aspect positif. Les contrôles ont été efficaces avec les 5,9 milliards d'euros de montants indus évités. Il y a eu 206 signalements au parquet. En revanche, ces contrôles peuvent allonger les délais de versement" a déclaré Benoît Coeuré.
Un rythme de consommation hétérogène
Il faut en outre rappeler que le rythme de consommation de ces aides reste très hétérogène. La très grande majorité des prêts garantis par l'Etat (90% des 135 milliards d'euros) ont été mis en place lors de la première vague. "Beaucoup d'entreprises ont demandé un PGE de précaution mais elles sont aussi beaucoup à ne pas avoir demandé ce dispositif. Il n'y pas eu vraiment d'effet d'aubaine contrairement à ce que l'on aurait pu penser" a déclaré Cédric Audenis, commissaire général adjoint de France Stratégie.
La proportion de l'enveloppe consommée s'élève aux deux tiers pour l'activité partielle (20 milliards sur 29,8 milliards) et seulement un tiers pour le fonds de solidarité (6,8 milliards sur 21,4 milliards). "Le PGE est monté en puissance très rapidement pour trouver son rythme de croisière. L'activité partielle est très élastique en fonction des restrictions sanitaires. Elle remonte à chaque confinement. L'activité partielle a concerné environ 6% des effectifs. C'est cinq fois moins qu'au printemps 2020. Le fonds de solidarité est monté en puissance très graduellement" a indiqué Benoît Coeuré.
Le fonds de solidarité a beaucoup changé depuis le début de la crise. D'abord conçu comme un outil de prise en charge des frais fixes plafonné à hauteur de 1.500 euros, ses critères ont été considérablement assouplis pour prendre en compte un plus grand nombre d'établissement en grande difficulté dans l'hébergement et la restauration par exemple. Depuis la seconde vague à l'automne 2020, le fonds de solidarité est l'enveloppe la plus consommée. A titre d'exemple, elle représentait en février dernier 2,4 milliards d'euros contre 1,6 milliard au titre de l'activité partielle, 800 millions pour les PGE et 900 millions pour les reports de cotisations.
En Europe, la France a une position médiane
Il est difficile à ce stade de faire des comparaisons internationales tant les montants annoncés diffèrent des montants accordés par les Etats. Malgré ce type de limite, la France apparaît dans une position médiane à l'échelle de l'Europe en ce qui concerne les mesures d'urgence. "S'agissant de l'activité partielle, avec 1,1 % du PIB, elle est proche de l'Espagne et de l'Italie, très en-deçà du Royaume-Uni (2,5 %) et nettement au-dessus de l'Allemagne (0,6 %). S'agissant des subventions hors activité partielle (ce qui correspond en France au fonds de solidarité), avec 0,7 % du PIB, la France apparaît proche de l'Allemagne, légèrement au-dessus de l'Espagne et l'Italie, mais très en deçà du Royaume-Uni (1,5 %), Enfin, s'agissant des prêts garantis, la France, avec 5,5 % du PIB, est au-dessus du Royaume-Uni (3,2 %) et de l'Allemagne (1,3 %), mais en dessous de l'Italie (8 %) et de l'Espagne (7,2 %)" expliquent les auteurs du rapport.
Contrairement aux Etats-Unis, la plupart des pays en Europe ont décidé de soutenir l'emploi par la montée en puissance du chômage partiel. Résultat, l'emploi salarié a relativement peu reculé au regard de l'ampleur de la récession. Outre-Atlantique, les autorités ont préféré distribuer des aides directement aux ménages afin de soutenir la consommation et in fine l'emploi. L'ajustement en Europe s'est fait par le volume d'heures travaillées qui a fondu depuis le début de la crise.
En 2021, une vague de faillites à prévoir
Il est encore complexe à ce stade d'évaluer précisément les répercussions des vagues épidémiques sur les faillites d'entreprises. La plupart des travaux et études s'accordent à dire que les différentes mesures ont permis d'éviter un bain de sang en 2020. Les tribunaux de commerce et les administrateurs judiciaires ont réduit leur activité l'année dernière. Beaucoup d'incertitudes planent néanmoins au dessus de la santé économique des entreprises. "Malheureusement, il y a peu d'informations sur la situation financières des entreprises. Il y a un manque d'informations sur la trésorerie en ce moment. Les statistiques ne permettent pas de le faire. On n'a pas de radar qui permettrait d'avoir une connaissance fine pour les pouvoirs publics" a indiqué M.Coeuré.
"Il y aura un rattrapage des défaillances en sortie de crise mais il n'y aura pas forcément de tsunami. Les entreprises ont été mises 'sous hibernation' avec ces mesures. Il y aura une perte d'activité économique même après la levée des mesures de restriction notamment dans le tourisme international, les transports. Il y aura un choc persistant sur certains secteurs. Il faudra faire la différence entre les manques de liquidité et les entreprises en situation d'insolvabilité. Certaines créances de l'Etat pourraient être abandonnées" a-t-il ajouté.
Face à la montée des difficultés, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a proposé récemment d'annuler les dettes d'une partie de ces entreprises. Interrogé par La Tribune sur ce point, Benoît Coeuré estime que cette proposition "n'est qu'un instrument parmi d'autres. Il s'agit bien d'un outil qui doit faire l'objet d'un diagnostic proche du terrain à l'échelle des régions. Ce n'est pas de notre tour de contrôle à Paris que l'on peut faire ce genre de diagnostic. Il ne répond qu'à certaines situations. Il ne faut pas attendre de miracle. Il peut être combiné à d'autres instruments comme le fonds de solidarité, l'activité partielle de longue durée."
> Lire aussi : Faillites : Le Maire annonce qu'une "partie" de la dette de certaines entreprises pourrait être annulée