La réouverture de l'économie s'approche à grand pas. Le 19 mai prochain, beaucoup d'entreprises vont pouvoir lever leurs rideaux après des longs mois d'impatience. Dans la restauration, l'hôtellerie, la culture, le tourisme, les professionnels vont reprendre leur activité avec des protocoles sanitaires stricts à appliquer. Pour le gouvernement, la sortie de crise s'annonce périlleuse entre la levée progressive des aides et la relance de l'économie française meurtrie par plus d'un an de vagues à répétition.
Dans un entretien accordé au Parisien ce mardi 11 mai, le Premier ministre Jean Castex a rappelé les deux principes qui doivent guider les décisions de l'exécutif. « D'abord la progressivité : on ne débranchera pas les dispositifs brutalement. Puis l'adaptabilité : nous ferons du sur-mesure pour tenir compte des différences de situation. » De son côté, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a fixé le cap pour les semaines à venir sur l'antenne de France Inter. « On passe au 'quoi qu'il arrive', ça veut dire que quelle que soit votre situation et votre type d'activité, vous continuez à être accompagné. On fait du sur-mesure, car la reprise de l'activité ne va pas être pareille partout ».
Pour déminer le terrain, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire et la ministre du Travail Elisabeth Borne avaient consulté les partenaires sociaux il y a quelques semaines pour éviter de nouveaux couacs sur le calendrier et les conditions du déconfinement. Malgré cette prudence apparente, l'inquiétude grandit dans les milieux patronaux et les élus confrontés au quotidien à la détresse des indépendants et des travailleurs.
« Le maître mot, c'est l'accompagnement » a déclaré le locataire de Bercy Bruno Le Maire à l'antenne de France Info. « Malgré les dispositifs d'aides, 90 milliards d'euros de pertes ont été accumulées par les entreprises en 2020 et 2021 selon nos projections. Les administrations publiques ont encaissé une grande partie du choc mais le reste à charge du côté des entreprises reste concentré sur une petite partie de l'économie, notamment sur la fabrication de matériel de transport, les services aux ménages. Les dispositifs n'ont pas permis d'encaisser l'intégralité du choc » a indiqué l'économiste de l'OFCE Mathieu Plane interrogé par La Tribune.
En outre, les craintes d'une quatrième vague restent bien présentes dans les rangs des professionnels de santé. Le conseil scientifique s'inquiète notamment sur le décalage entre les conditions d'ouverture annoncées au 19 mai et le niveau de vaccination de la population française.
« Une compensation au prorata du chiffre d'affaires » pour les secteurs en difficulté jusqu'en août
Le fonds de solidarité, d'abord destiné aux petits indépendants pour les aider à payer leurs frais fixes (loyers, factures d'électricité), a pris de l'ampleur avec le prolongement de la crise. Après un assouplissement des conditions d'éligibilité, la stratégie du gouvernement est de concentrer les efforts sur les secteurs les plus touchés. « Il y a trois dispositifs que nous allons maintenir pour les secteurs en difficulté. Il s'agit du fonds de solidarité, l'activité partielle et les exonérations de charges » a expliqué Bruno Le Maire.
Sur le fonds de solidarité, « il restera ouvert en juin à tous les restaurateurs, tous les bars, tous les hôteliers, le tourisme, et le sport quelque soit leur niveau de perte de chiffre d'affaires. Avant, pour pouvoir accéder à ce fonds, il fallait perdre 50% de son chiffre d'affaires. Aujourd'hui, même si un restaurateur perd 30% de son chiffre d'affaires, il sera éligible au fonds de solidarité donc on va l'accompagner cet été en pourcentage de sa perte de chiffre d'affaires par rapport à 2019 et il y aura une clause de revoyure à la fin du mois d'août pour voir la situation et voir si on doit arrêter les aides ».
Ainsi, le fameux seuil des 50% de perte de chiffre d'affaires saute. Ce qui signifie que toutes les entreprises qui rouvrent pourront prétendre à ce fonds de solidarité. Pour Mathieu Plane, « la suppression de ce seuil est un bon levier pour inciter à la reprise de l'activité ». Le montant de l'aide se fera en fonction du chiffre d'affaires perdu. Pour le mois de juin, l'exécutif a annoncé que l'aide correspondra à 40% des pertes, puis 30% en juillet et enfin 20% en août. A partir de septembre, tous ces leviers disparaîtront si la situation sanitaire se normalise. « L'idée est de couvrir les pertes mais aussi d'inciter. Le seul risque est que cette levée des aides soit trop rapide par rapport à la situation sanitaire » a ajouté Mathieu Plane.
Par ailleurs, la prise en charge par l'Etat de la masse salariale des entreprises des secteurs actuellement protégés passera de 20% actuellement à 15% pour les mois de juin, juillet et août. Les conditions de cette transition vont dépendre en grande partie de la reprise de l'activité encore difficile à mesurer à ce stade. La plupart des instituts de prévision tablent sur des pertes de l'ordre de 5% de PIB au mois de mai à l'échelle nationale avec de grandes disparités selon les secteurs.
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Chômage partiel : un reste à charge plus élevé pour les entreprises
La montée en puissance du chômage partiel globalement salué par la plupart des économistes a permis de préserver une grande partie des emplois en France directement menacée par la fermeture de l'économie. Le chômage partiel avec le confinement concernait encore environ 3 millions de personnes au mois d'avril selon de récents chiffres du ministère du Travail. Cette mesure financée par l'Etat et l'Unedic devrait également connaître une moindre prise en charge.
S'il reste plusieurs décisions à arbitrer au ministère du Travail, la ministre Elisabeth Borne a expliqué récemment que le reste à charge actuellement nul pour les secteurs protégés remonterait progressivement. Il passera ainsi à 15% en juillet et devrait connaître un nouveau pallier en août avant de rejoindre le taux normal de 40% en septembre. L'indemnité des salariés restera pendant ce temps là inchangée à 84% du salaire net. « La hausse de la prise en charge par les entreprise est également une forme d'incitation. L'activité partielle de longue durée pourrait prendre le relais » a indiqué l'économiste de l'OFCE.
Pour les autres secteurs, le reste à charge passera de 15% actuellement à 25% en juin puis 40% en juillet. Les entreprises dont le chiffre d'affaires restera réduit de plus de 80% continueront de bénéficier de 100% de prise en charge pendant l'été, a précisé Elisabeth Borne, en citant les exemples des hôtels accueillant une clientèle internationale et des organisateurs de salons professionnels.
Les prêts garantis par l'Etat prolongés jusqu'à la fin de l'année
Avec la persistance du virus et le prolongement de la crise, les conditions d'octroi des prêts garantis par l'Etat ont été assouplies. D'abord envisagé jusqu'au 30 juin prochain, les entreprises pourront solliciter un prêt auprès de leurs banques jusqu'au 31 décembre prochain. Le ministre de l'Economie a également précisé que les entreprises pourront recourir à ce type d'emprunt pour rembourser leurs dettes auprès de leurs clients et fournisseurs. « Les capacités financières des entreprises vont être très réduites au moment où il va falloir rembourser les PGE, les délais de remboursement vont beaucoup compter » a déclaré Mathieu Plane.
« Il est difficile d'avoir un bilan du tissu productif en France. L'enjeu pour la présidentielle est d'éviter les faillites. Ils ne peuvent pas non plus nourrir les entreprises zombies. Il faut trouver le bon dosage des aides. Si l'Etat surcompense en aidant les entreprises non viables, il y a un risque de gabegie budgétaire » prévient l'économiste. « Il reste beaucoup de questions sur le retour de la confiance des ménages, la consommation. Il s'agit surtout de ne pas rater la sortie de crise sanitaire » conclut-il. D'ici l'été, de nombreux aléas sanitaires pourraient venir chambouler le calendrier du gouvernement.