« Un grand reset ». C'est dans cet état d'esprit qu'Emmanuel Macron est parti en vacances avant Noël. C'est avec la même intention qu'il est revenu à l'Élysée. Dans ce quinquennat si compliqué, le chef de l'État a décidé d'opérer un grand chambardement pour se relancer. Sauf revirement de dernière minute, cela devrait passer par le départ d'Élisabeth Borne de Matignon, la nomination d'un nouveau Premier ministre et un large remaniement du gouvernement. Les grandes manœuvres devraient commencer au plus tôt lundi. Au sein de la majorité, chacun retient son souffle.
Ces dernières semaines, le président s'est montré régulièrement mécontent. « Notre problème, ce n'est pas le savoir-faire mais le faire savoir », a-t-il répété. En décembre, il a été agacé par la conclusion du projet de loi sur l'immigration, fracturant la majorité et provoquant un mouvement de rébellion au sein de l'exécutif. Depuis le milieu de l'automne, plusieurs de ses proches ont plaidé auprès de lui en faveur d'un big bang gouvernemental afin d'affronter dans une posture offensive une année, qui entre les européennes de juin et les JO de l'été serait charnière pour lui.
Emmanuel Macron s'y est rallié. « Le président veut un casting en adéquation avec ses vœux du 1 er janvier : sa volonté de réarmement civique et industriel et sa détermination à tenir compte du combat politique à mener lors des européennes », dit-on à l'Élysée. « Le critère sera l'efficacité, assure un ministre. Le chef de l'État veut des gens forts qui sont vite sur la balle. » Mercredi, Emmanuel Macron a déjeuné avec Élisabeth Borne. Celle-ci en est sortie un peu perdue. Le président n'a pas été clair sur le sort qu'il entendait lui réserver. Les jours qui suivront, la Première ministre comprendra bien ce qui se trame. À l'Élysée, le chef de l'État multiplie les consultations. Si la locataire de Matignon s'attelle à sa tâche quotidienne, elle n'entreprend pas ses ministres sur leurs envies de changer de poste ou non...
Homme de confiance et macroniste historique
Pour la remplacer, ils sont deux à tenir la corde. Le premier est Sébastien Lecornu. Venu des Républicains, le ministre des Armées ne connaissait pas le chef de l'État quand il est entré au gouvernement en juin 2017 (au secrétariat d'État à l'Écologie). Il est dorénavant un de ses hommes de confiance. Brigitte Macron, qui l'estime particulièrement, souligne souvent sa droiture. Le second est Julien Denormandie. C'est un macroniste historique. Il s'est particulièrement distingué au ministère de l'Agriculture entre 2020 et 2022, où il avait su notamment se faire apprécier par les LR. En 2022, à la veille de la compétition présidentielle, les deux hommes avaient déjà été en concurrence. Ils étaient pressentis pour être directeur de campagne d'Emmanuel Macron. Finalement, le poste n'avait jamais été pourvu.
Alors que le chef de l'État a jusqu'à présent toujours eu des Premiers ministres plus âgés que lui, l'un et l'autre sont plus jeunes : Sébastien Lecornu a 37 ans et Julien Denormandie, 43. Ils n'ont pas le même profil. L'ancien ministre de l'Agriculture n'a jamais été élu ; ce qui peut être un vrai handicap, alors qu'à l'Assemblée il faut composer avec une majorité relative. « C'est un ingénieur et pas un énarque, précise un de ses défenseurs. Il n'a pas l'âme d'un collaborateur. Il a peut-être la tête et la voix d'un enfant de chœur, mais il sait aussi être tenace. » Politique jusqu'au bout des ongles, le ministre des Armées a lui enchaîné les mandats locaux. Si cela peut être un vrai avantage, Sébastien Lecornu a en revanche un autre problème : au sein de la Macronie, François Bayrou n'a pas d'estime pour lui. Le patron du MoDem juge qu'il est d'abord un courtisan. Il est ainsi profondément hostile à sa promotion à Matignon. Il l'accepterait difficilement. Le centriste voit en revanche d'un œil plus bienveillant Julien Denormandie. Ce dernier est aussi défendu par Richard Ferrand. Testé par le chef de l'État et quelques proches sur sa propre envie d'être nommé Rue de Varenne, l'ancien président de l'Assemblée nationale leur a répondu ne pas souhaiter revenir à bref délai en politique.
Consultations présidentielles en série
Faut-il ajouter un nom à cette liste ? Pour beaucoup au sein de la majorité, Bruno Le Maire aurait été le choix le plus rationnel. Le ministre des Finances a des relations plutôt correctes avec les députés LR, son ancien parti, alors qu'à l'Assemblée c'est un point clé. Depuis la mi-novembre, il a ouvertement fait campagne pour Matignon, appelant notamment à une nouvelle salve de réformes. Mais Bruno Le Maire ne correspond pas au profil recherché par Emmanuel Macron : Rue de Varenne, il prendrait trop de place et de lumière. Vendredi, le locataire de l'Élysée a reçu en tête à tête le ministre des Finances. Si le premier veut signifier qu'une nouvelle page se tourne, le second peut-il encore rester à Bercy, où il est depuis plus de six ans et demi, comme il le souhaite ? Ensemble, ils n'ont pas évoqué les européennes, alors que dans la majorité beaucoup estiment que Bruno Le Maire serait la meilleure tête de liste. Le chef de l'État a également vu Gabriel Attal. Celui qui a su en six mois à peine s'imposer à l'Éducation nationale ne garantirait-il pas un vrai effet de souffle s'il était promu Premier ministre ?
D'autres membres du gouvernement ont eu droit à un entretien avec Emmanuel Macron. Jeudi, cela a été le cas de Gérald Darmanin. Le ministre de l'Intérieur n'est plus, comme en juillet, dans la course pour Matignon. Mais en poste depuis maintenant trois ans et demi Place Beauvau, ne serait-il pas temps de changer de portefeuille ? « Qu'est-ce que je réponds si le président me propose le Quai d'Orsay ? » a-t-il interrogé récemment plusieurs de ses interlocuteurs. Parmi eux, Édouard Philippe lui a répondu que ce serait un éloignement pour lui mais pas un effacement.
Le sort de l'aile gauche en suspens
Gérald Darmanin pourrait-il aussi se voir proposer un grand ministère social ? Depuis la démission d'Aurélien Rousseau en désaccord avec la loi immigration, il n'y a plus de ministre de la Santé. Le portefeuille du Travail est également en suspens. Le 17 janvier, le jugement du tribunal correctionnel de Paris sera rendu dans le cadre du procès d'Olivier Dussopt, l'actuel titulaire, pour « favoritisme » dans une affaire de marché publics quand il était maire de Privas. Jeudi, Emmanuel Macron, qui a beaucoup de tendresse pour cet ex-socialiste, l'a convié à l'Élysée. Catherine Colonna a également eu droit à un rendez-vous avec le chef de l'État : ces derniers mois, la ministre des Affaires étrangères a été l'objet de vives critiques de la part de l'entourage présidentiel. Roland Lescure est venu lui aussi rue du Faubourg-Saint-Honoré : le ministre délégué à l'Industrie avait fait partie de ceux qui, issus de l'aile gauche de la majorité, avaient signifié leur malaise lors de l'adoption du texte sur l'immigration. Dans la recomposition à venir, le sort qui leur sera réservé - et particulièrement à Clément Beaune, ministre délégué aux Transports - sera scruté.
Dans cette séquence de consultations, Emmanuel Macron a encore reçu les trois patrons des partis de la majorité : Stéphane Séjourné, François Bayrou et Édouard Philippe. En privé, le leader d'Horizons estime que le maintien d'Élisabeth Borne reste la meilleure solution et que la question du changement de Premier ministre ne devrait être ouverte qu'après les européennes. Mais est-ce encore d'actualité ?