ENA : une suppression, et après ?

Plus qu’une suppression de l’ENA, c’est une réforme globale du recrutement, de la formation et du déroulement des carrières dans la fonction publique que propose Emmanuel Macron, lui-même passé sur les bancs de l’école strasbourgeoise.
Emmanuel Macron a annoncé la suppression de l'École nationale d’administration dans son discours du jeudi 25 avril. Fondée en 1945, l’ENA avait pour but de recruter et de former les futurs hauts fonctionnaires de la France.
Emmanuel Macron a annoncé la suppression de l'École nationale d’administration dans son discours du jeudi 25 avril. Fondée en 1945, l’ENA avait pour but de recruter et de former les futurs hauts fonctionnaires de la France. (Crédits : ENA)

L'histoire retiendra peut-être que l'incendie de Notre-Dame aura donné quelques jours de sursis à une autre institution, certes moins vieille, mais qui s'est aussi muée en symbole dans l'imaginaire collectif français. A l'heure où nous mettons sous presse, il était attendu qu'Emmanuel Macron annonce jeudi 25 avril la suppression de l'École nationale d'administration (ENA), mettant ainsi fin à un serpent de mer aussi vieux que l'école elle-même. Depuis sa création en 1945, l'école des hauts fonctionnaires n'a jamais réussi à convaincre pleinement de son utilité, et a même vu les critiques s'accumuler contre elle depuis plusieurs décennies. Pêle-mêle, lui sont reprochés la part disproportionnée de ses élèves issus des classes supérieures, son formatage intellectuel, sa tendance à alimenter un puissant entre-soi.

Nul doute que la suppression de l'ENA est l'effet d'un certain calcul politique de la part d'Emmanuel Macron, et lui permet de marquer les esprits sur un sujet relativement symbolique. Mais y voir une simple concession teintée de démagogie aux demandes des « gilets jaunes » serait réducteur. La mesure s'inscrit au contraire dans le projet de réforme de l'administration que dessine le gouvernement actuel, dont fait partie la loi de transformation de la fonction publique qui sera examinée par le parlement cet été. Plusieurs membres de la majorité présidentielle défendaient cette suppression, dont Bruno Le Maire, François Bayrou, et même Nathalie Loiseau, directrice de l'ENA de 2012 à 2017, qui tenta d'y insuffler un renouveau réformateur.

Plus une réforme qu'une suppression ?

Reste à savoir sous quelles modalités seront bientôt recrutés et formés les futurs hauts fonctionnaires. Derrière la portée symbolique de l'annonce présidentielle, il est peu probable que la « suppression » de l'ENA implique la fin du recrutement par concours. Les fuites du premier discours du chef de l'État, reporté à cause de l'incendie de Notre-Dame, laissaient d'ailleurs entrevoir la création d'une grande école de la haute fonction publique, rassemblant au moins l'ENA et l'école nationale de la magistrature (ENM). Si l'ENA dans sa forme actuelle devrait bel et bien disparaître, le projet d'Emmanuel Macron ressemble donc plus à une réforme en profondeur qu'à une table rase.

Le périmètre de cette nouvelle « école de la fonction publique » en est encore incertain. En plus de l'ENA et de l'ENM, pourraient être concernés l'Institut national des études territoriales (INET), les concours des directeurs d'hôpitaux, du Quai d'Orsay, ou les instituts régionaux d'administration (IRA). Se trouveraient alors rassemblés en une même formation les futurs fonctionnaires centraux, hospitaliers et territoriaux, qui pourraient échanger leur expérience et créer des liens entre administrations.

A terme, cette formation pourrait donc mener à des parcours plus divers, et recruter au-delà des cercles restreints des prépas parisiennes (Sciences Po et La Sorbonne-ENS). Une promotion plus fournie devrait augmenter mécaniquement les chances d'étudiants venant d'autres universités, notamment de province, et contrebalancer l'élitisme du concours actuel.

La réforme acterait aussi l'échec de l'ENA à se réformer, face au poids sans cesse croissant de la reproduction sociale en son sein. Selon ses propres chiffres, la part des enfants de cadres parmi ses élèves dépassait les 70% sur la période 1985-2009, contre seulement 6% d'enfants d'ouvriers et d'employés, et 10% d'enfants d'agriculteurs et d'artisans.

Réduire le poids des origines sociales dans le recrutement des hauts fonctionnaires devrait être l'une des priorités de la réforme, même si les responsables de l'ENA soulignent que ces inégalités sont largement le produit du système scolaire français lui-même. Mais la diversification n'est pas le seul enjeu de la réforme. Figurent aussi les problématiques de la mobilité et de la mise à niveau des compétences des fonctionnaires, alors que le système actuel est critiqué pour sa tendance à produire des schémas de carrière figés et à prendre pour acquises les compétences une fois le concours passé.

Le fameux classement de sortie de l'ENA, qui détermine le poste qu'occupera le futur haut fonctionnaire et donne accès aux « grands corps » (inspection des finances, cour des comptes, conseil d'État) pour les mieux classés, sera-t-il supprimé ? Tous les élèves actuels de l'école strasbourgeoise n'y sont pas opposés : « la fin de l'accès direct aux grands corps est une bonne chose, si elle permet d'affecter les 'meilleurs élèves' sur les missions prioritaires du gouvernement », considère l'un. Ce que tempère un autre : « le classement de sortie est méritocratique, mais il devient absurde dans la mesure où il détermine toute une carrière. Mieux vaut réfléchir à la pertinence des corps, à leur hiérarchie et à la mobilité entre eux ».

D'autres sujets pourraient aussi être à l'étude. Une école élargie des hauts fonctionnaires pourrait proposer des parcours organisés en spécialités, alors qu'à l'ENA, les futurs préfets, juges administratifs, diplomates et administrateurs de ministères suivent tous la même scolarité. Par ailleurs, si l'accès direct aux grands corps est supprimé, le gouvernement aurait dans ses plans une formation de type « école de guerre » pour les hauts fonctionnaires plus expérimentés, qui ouvrirait aux plus hauts postes de l'État. Cette réforme acterait le passage d'une sélection universitaire à une sélection professionnelle, qui reposerait moins sur la réussite scolaire et plus sur l'acquis de carrière. Enfin, une réforme plus globale pourrait étudier la possibilité de soutenir la formation continue des fonctionnaires, notamment dans les cas de carrières longues. « Les façons de manager ont évolué depuis que les préfets actuellement en poste sont sortis de l'ENA », pique un élève de deuxième année.

Réforme de l'État

A travers la suppression, ou le remodelage de l'ENA, c'est une transformation plus profonde qui s'annonce pour la fonction publique. Le gouvernement en a posé les bases avec la loi « pour un État au service d'une société de confiance », promulguée en août 2018, et censée assouplir les relations entre administration et citoyens. Mais c'est le projet de loi de réforme de l'administration, déposé par le gouvernement en mars 2019, qui en constitue le jalon essentiel. Aux côtés de la suppression de 120.000 postes de fonctionnaires, celui-ci prévoit de faciliter le recrutement de contractuels, et de leur ouvrir les fonctions de direction dans l'administration. Le passage entre public et privé s'en trouverait facilité, et contribuerait à introduire plus de « mobilité » au sein de l'administration. Un emprunt aux techniques managériales du secteur privé qui ne convainc pour l'instant pas tout le monde, chez les fonctionnaires et les syndicats.

Commentaires 26
à écrit le 26/04/2019 à 6:10
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c'est cette ecole qui a refuse toute les modifications avec leurs ce n'est pas possible pour mieux saborder le pays a l'image d'un m hollande qui torpillier le ps et la France incapable d'ecouter le peuple qui grondé la crise des jilets jaune est...

à écrit le 25/04/2019 à 18:37
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"ENA : une suppression, et après ?" Ben,les gosses de bourge iront se recaser dans d'autres écoles du même type.

le 25/04/2019 à 19:52
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Bizarrement, je connais des enfants d'ouvriers qui ont fait des grandes écoles et facultés de médecine et écoles d'architecte. Leurs parents n'avaient pas de fric, mais ils ont eu des bourses et c'était des bosseurs , pas des paresseux. C'est évideme...

le 26/04/2019 à 8:58
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@ multipseudos: "Et le travail et le sérieux et l'abgnégation et la motivation, ça ne s'achète pas ! " Tu nous gonfles avec tes messes insipides qui n'ont plus aucune valeur à l'ère d'internet et des vérités qui surgissent un peu partout. Si c...

à écrit le 25/04/2019 à 16:33
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Ben, il faudra supprimer Sciences-Po de cette façon nous supprimerons la Chapelle et la Cathédrale..

à écrit le 25/04/2019 à 12:55
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il ne faut pas supprimer l'ena mais faire sur un an quatre stages 3 mois en milieu ouvrier (manutention travaille à la chaine ) 3 mois dans la police 3 mois dans un(( hôpital ou EPAD) 3 mois sur un chantier btp au bas de l’échelle et vivre avec le...

le 25/04/2019 à 13:25
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Cela existe déjà... les étudiants des IEP le voient comme un service militaire facultatif permettant de voir, pour la dernière fois, ceux d'en bas....

à écrit le 25/04/2019 à 12:15
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La nature française ayant horreur du vide, par quoi vont-ils remplacer l'ENA? Il en est de même - hélas! - des impôts et taxes.

à écrit le 25/04/2019 à 11:37
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L’ENA fait main basse sur la haute administration : ça n’est pas anormal puisque c’est son but ! Mais faire également main basse sur la Politique, ça, ça n’est pas sa mission !!! Finalement le Pays est dirigé par des fonctionnaires de la haute admini...

le 25/04/2019 à 13:32
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En fait le problème de l'ENA est quadruple: - son mode de recrutement qui, pour l'essentiel, s'axe sur du profil IEP Paris... sans aucune expérience longue extérieure - son contournement pour les corps qui y sont issus sauf pour les "grands corps" ...

à écrit le 25/04/2019 à 9:04
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En effet cela ne servirait pas à grand chose puisque oligarchisme oblige, on nous exposerait une nouvelle école ou un nouveau diplôme lui aussi achetable par les mégas riches afin de toujours imposer la médiocrité, au mieux, de leur filiation à la tê...

à écrit le 25/04/2019 à 8:52
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Après l'ENA, on va créer l'école du plus fort en "grande gueule" comme on le voit déjà chez certains et certaines personnes politiques à la T.V

le 25/04/2019 à 11:10
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Excellent ! le seul critère de recrutement serait de n'avoir jamais réussi un seul diplôme. Donner leur chance aux Tuches par exemple qui représentent le vrai peuple et pas les "zélites trop intelligents coupés de la réalité " !

à écrit le 25/04/2019 à 8:44
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une ecole qui ne sert a rien la preuve est que la gestion de la France est en deficit car gerer depuis des annees par cette elite coupe du monde reel qui ne pense que copinage et profit personnel voir le gouvernement hollande et vu le resultat ...

à écrit le 25/04/2019 à 8:10
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Supprimer l ENA fausse bonne idée, il faut plutôt revoir surtout comment on brise cette aristocratie d’etat, qui se distribue les postes et qui s’autoprotège, supprimer le pantouflage, arrêter les aller retour entre le privé et le public. Arrêtez tou...

à écrit le 25/04/2019 à 6:19
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Cette annonce est inutile pour le commun des mortels, absurde et clairement pas une priorité. Le banquier président des riches et son ministre.de l'économie sont en train de régler leurs comptes personnels. Ils ne sont même pas capable de défendre u...

à écrit le 25/04/2019 à 4:13
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Supprimer "l'entre-soi" sera deja une bonne chose. Stop aux privileges.

à écrit le 25/04/2019 à 0:10
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Mesure idiote tant qu'elle ne sera pas explicitée. l'ENA est aussi (et surtout) un centre de formation permanente pour des milliers de cadres moyens français et étrangers qui accèdent à des fonctions plus importantes que ce soit par concours inter...

à écrit le 24/04/2019 à 23:12
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Ensuite ? Ensuite, on supprime l'X, Normale sup, Centrale, Mines, Ponts, ... puis on supprime HEC, Essec, Escp, ... .... et on file le destin de notre industrie, de nos administrations, de la Recherche, du Spatial, ... a des gilets jaunes qui comme...

le 25/04/2019 à 2:00
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Analyse juste et courte , merci

à écrit le 24/04/2019 à 21:00
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On ne supprime pas une école importante . Il faut la faire évoluer vers un recrutement de haut niveau ayant une expérience professionnelle de 5 à 10 ans . Le corps professoral doit circuler dans les autres grands centres universitaire et à l'interna...

à écrit le 24/04/2019 à 18:45
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Combien de ces hauts fonctionnaires issus de Sciences Pipo? Là est le problème de l'ENA, son incapacité à attirer les vrais talents de notre Pays, les jeunes issus des vraies Grandes Ecoles (et quelques Universitaires).. Et évidemment, un diplôme dan...

le 24/04/2019 à 19:06
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Donc pour toi la vraie vie c'est bosser dans le privé, et la fausse vie c'est bosser dans le public ? Les policiers ou les pompiers ou les infirmières ou les profs ou les soldats etc etc ne font pas de vrais métiers dans la vraie vie ??!!!!? C'est p...

le 25/04/2019 à 8:59
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Dans la vraie vie, c'est tous les jours que l'on doit s'interroger sur les coûts qu'entrainent son salaire et ses avantages pour son employeur, à comparer avec son efficacité.. et pour mémoire, les dépenses régaliennes ne représentent qu'un tiers de ...

à écrit le 24/04/2019 à 18:31
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Le but de la création de l'ENA était de permettre l'accès de la haute fonction publique sur la base du mérite et non de la naissance. Ce que devait garantir l'acc-s par voie de concours. Echec total, car le système éducatif, de renoncement en renonce...

à écrit le 24/04/2019 à 18:13
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C e sont les avantages qu elle procure qui sont une honte , mais pas son enseignement Faisons semblant de pas comprendre pour que cela perdure .

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