[Article publié le jeudi 16 novembre 2023 à 11h45 et mis à jour à 14h23] Coup de pression du secteur de la restauration sur l'exécutif. Le chef étoilé Thierry Marx, président du principal syndicat patronal de l'hôtellerie-restauration, l'Umih, demande à être reçu « dans les meilleurs délais » par la Première ministre, Elisabeth Borne. Objectif, contrer Bercy, dont le patron, Bruno Le Maire, a indiqué la veille réfléchir à pérenniser la possibilité d'acheter des produits alimentaires - non-consommables directement, comme les pâtes et les œufs - au supermarché avec les titres-restaurant.
« Avec sa volte-face sur la prolongation de l'utilisation du titre-restaurant aux produits alimentaires, le Gouvernement envoie un très mauvais signal à notre profession », déplore-t-il dans un communiqué transmis à l'AFP ce jeudi 16 novembre.
200 millions d'euros de manque à gagner
« Dans titre-restaurant, il y a "restaurant". Ce titre doit rester une aide au déjeuner des salariés ne disposant pas de restaurant d'entreprise. Il ne doit pas devenir un titre-caddie », assène le chef.
« En 2023, c'est un manque à gagner de 200 millions d'euros pour nos restaurateurs », évalue-t-il, rappelant « qu'en 2023, la grande distribution a vu sa part de marché titre-restaurant augmenter de plus de 6% [quand] celle des restaurants diminuait de 3% ».
En marge d'un déplacement en Indre-et-Loire, la ministre déléguée aux PME et au Commerce, Olivia Grégoire, lui a répondu au nom du gouvernement : « Nous sommes et nous serons aux côtés des restaurateurs ». Pas question, cependant, de reculer pour autant.
« Il faut aussi entendre les Français. L'inflation alimentaire (...) demeure assez élevée » et la possibilité de continuer à utiliser les titres-restaurant pour des achats alimentaires en général « est une liberté de bon aloi », a-t-elle ajouté.
« Il faut que les restaurateurs l'entendent et je ne doute pas que Thierry Marx l'entende », a conclu Olivia Grégoire, fermant ainsi, de prime abord, toute discussion.
Pour rappel, le texte législatif a introduit la possibilité d'acheter avec des titres-restaurant des produits alimentaires non directement consommables (farine, pâtes, riz, œufs, poisson, viande, etc.) en supermarché. Objectif affiché, soutenir le pouvoir d'achat des ménages, dans un contexte de forte inflation, consécutive à la guerre en Ukraine. Cette mesure n'avait toutefois qu'une portée temporaire : la dérogation doit, en théorie, prendre fin le 31 décembre 2023.
« J'entends bien les voix qui s'expriment à propos de l'utilité de ce titre, en période d'inflation, pour faire ses courses au quotidien. L'inflation concerne tous les Français. La hausse des prix impacte aussi nos restaurateurs », fustige Thierry Marx.
Bercy pourtant favorable à la mesure
En conséquence, le patron des restaurateurs ne cache pas ses intentions : obtenir « un retour rapide à la situation précédant la loi de 2022 ». Face à la levée de boucliers causée par la fin du dispositif, Bercy a annoncé son souhait de le prolonger en 2024, voire de le pérenniser. « Au-delà de la prolongation pour un an » de cette utilisation dérogatoire, annoncée mardi par le gouvernement, « je suis prêt à ce qu'on ouvre la discussion sur l'utilisation plus généralement de ces tickets pour acheter de la nourriture », a ainsi confirmé le ministre de l'Economie et des Finances au micro d'Europe 1 et CNews, mercredi.
« Est-ce qu'il ne faut pas utiliser le ticket-restaurant de manière plus globale pour l'achat des produits alimentaires ? Est-ce qu'il ne faut pas changer cette dénomination qui induit un peu en erreur ? Avec une seule obsession, que ça corresponde aux attentes des gens », s'est-il interrogé.
La veille, il s'était dit « favorable » à une prolongation de l'utilisation de ces titres, pour les produits alimentaires qui ne sont pas directement consommables, au-delà de 2023, disant « étudier » la manière d'y parvenir.
« Je suis favorable à ce que nous prolongions au-delà du 31 décembre 2023 cette disposition permettant d'utiliser les tickets restaurant pour acheter des produits alimentaires », avait ainsi déclaré le locataire de Bercy, devant la commission des Affaires économiques du Sénat.
Les négociations commerciales bientôt avancées
Cette annonce intervient alors que l'exécutif est en passe d'acter l'anticipation de quelques semaines des négociations commerciales, entre supermarchés et industriels pour 2024. Une mesure censée lutter contre l'inflation des prix alimentaires, mais fustigée par les oppositions qui la jugent au mieux inopérante.
Le Parlement a, en effet, adopté mardi 14 novembre le projet de loi du gouvernement qui table notamment sur le fait que des baisses de prix de matières premières soient répercutées plus tôt en rayons, dès janvier-février. Pour rappel, les négociations se concluent traditionnellement le 1er mars, afin de fixer les conditions de vente (prix d'achat, place en rayon, calendrier promotionnel...) pour l'ensemble de l'année qui suit. Or, le gouvernement a décidé de les avancer exceptionnellement pour l'année 2024 au motif que les baisses de nombreux prix de matières premières (blé, tournesol, maïs, huiles...) n'ont pas été répercutées l'année précédente sur les prix facturés aux distributeurs par les industriels.
Une inflation alimentaire bien difficile à maîtriser...
L'extension de l'utilisation des titres-restaurant, couplée à l'avancée des négociations commerciales, seront-elles suffisantes pour autant ? Pas sûr. Si l'on en croit le patron des grands industriels. Les prix demandés par les industriels de l'agro-alimentaire aux distributeurs pour 2024 dans le cadre des négociations commerciales sont « plutôt à la hausse » mais moins qu'en 2023, a indiqué mercredi sur RMC leur représentant, l'Ilec.
Le patron de l'UMIH, lui, appelle le gouvernement à « concevoir un titre alimentation ou un chèque alimentaire pour lutter contre l'inflation et aider les plus défavorisés ». Une idée qui est loin d'être nouvelle. Et pour cause, elle avait été évoquée par l'exécutif, avant d'être écartée, devant la complexité du dispositif à mettre en place, tant les critères à prendre en compte étaient nombreux (cible, modalités de versement, panier de produits concerné, etc.).
... Des associations d'aide alimentaire à la peine
Depuis plusieurs mois déjà, les associations de lutte contre la pauvreté tirent pourtant la sonnette d'alarme : le nombre de bénéficiaires d'aide, et notamment les ménages dépendant de la distribution alimentaire, grimpent en flèche. Au point que plusieurs structures, comme les Restos du Cœur, ont réclamé un soutien à l'Etat et aux particuliers.
« Ça craque de partout », avait relaté auprès de l'AFP Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), qui regroupe quelque 800 associations de lutte contre la précarité et à l'origine d'un appel à la mobilisation à la mi-octobre.
« L'appel des Restos du cœur l'a mis en évidence : on a des situations de précarité qui s'étendent et qui s'aggravent et on a des associations qui sont dans l'épuisement et le manque de moyens », avait-il énuméré. Il avait alors qualifié de « très préoccupantes » la « situation des personnes et la capacité des associations à faire face ».
Les Restos du Coeur, qui assurent 35% de l'aide alimentaire en France, avaient particulièrement marqué les esprits début septembre, en prévenant qu'ils allaient être contraints de restreindre le nombre de leurs bénéficiaires cet hiver. Dans la foulée, l'exécutif avait dévoilé le 18 septembre sa nouvelle stratégie de lutte contre la pauvreté.
Des mesures qui vont dans le bon sens, mais qui restent très insuffisantes, selon les acteurs du terrain. La Fédération des acteurs de la solidarité réclame notamment une revalorisation des minimas sociaux. Plus de neuf millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté en France, soit avec moins de 1.120 euros par mois pour une personne seule, selon les données 2020 de l'Institut national de la statistique (Insee).
(Avec AFP)