« La bio-inspiration implique de mettre de côté l’arrogance de l’humain » (Gilles Boeuf)

Biologiste, professeur à l’Université Pierre et Marie Curie, président du Muséum d’histoire naturelle entre 2009 et 2015, ancien conseiller de Ségolène Royal au ministère de l’Écologie, professeur invité au Collège de France sur la chaire « Développement durable », océanographe, spécialiste de physiologie environnementale et de biodiversité, Gilles Boeuf est aujourd’hui président de Ceebios, centre d’études et d’expertises en biomimétisme et président de la réserve naturelle de la Massane (Pyrénées orientales). Gilles Bœuf est l’un des ardents défenseurs du vivant et mieux, il préconise d’utiliser le biomimétisme pour s’inspirer du vivant afin de trouver des solutions innovantes et répondre aux enjeux posés par le réchauffement climatique. (Cet article est issu de T La Revue n°15 – « Sobriété, frugalité, ingéniosité : comment innover autrement ? »)
(Crédits : DR)

Comment définiriez-vous le biomimétisme ?

Gilles Boeuf Le biomimétisme est la discipline qui consiste à aller chercher des idées dans le vivant et la nature pour trouver des solutions à nos problématiques actuelles notamment écologiques. Le vivant est une source d'inspiration colossale qui a plus de 4 000 millions d'années de recul. Le vivant est toujours là et il a subi de très nombreuses agressions : terre gelée, volcans en éruption, séismes, etc. Il a toujours réussi à s'adapter. En changeant. La leçon de cette observation du vivant est double : d'abord elle nous rappelle que l'on ne peut pas s'adapter sans changer et que les techniques issues du vivant sont durables.

Comment faire du biomimétisme une dynamique qui irrigue l'ensemble des activités humaines ?

G.B. Se mettre à la bio-inspiration implique de définitivement mettre de côté l'arrogance de l'humain. Si les arbres étaient vraiment idiots, ils ne seraient plus présents sur la surface du globe. Tous les êtres du vivant possèdent une forme d'intelligence. Ensuite, il convient de sortir de l'imprévoyance de nos activités et d'élaborer une véritable culture de l'impact. En clair, faire de cette culture de l'impact l'un des leviers, et des outils de nos prises de décision. Enfin, il faudra se départir de la cupidité de l'humain. Ce désir immodéré de richesses est l'un des éléments qu'il sera le plus dur à faire disparaître. Et pourtant, si nous n'y parvenons pas, alors le vivant dans son ensemble aura beaucoup de mal à perdurer. Le biomimétisme est une façon de penser, une philosophie de la vie et du monde. Ensuite, sa mise en œuvre a besoin de trois piliers : le chercheur qui doit avoir la capacité de prendre son temps pour observer et trouver, l'ingénieur qui utilisera les trouvailles du chercheur pour industrialiser et rendre opérationnelle la découverte, et enfin le troisième pilier est l'entreprise qui rendra les choses concrètes et possibles en s'en emparant. Pour le dire autrement, la bio-inspiration n'est pas une lubie de hippies ou de poètes, c'est une approche qui consiste à étudier le vivant pour en tirer des solutions moins polluantes qui consomment moins d'énergie, qui sont de meilleure qualité car tannées par l'expérience du temps et qui sont moins chères.

Quelles solutions le biomimétisme permet-il déjà d'élaborer ?

G.B. Ce que fait le Ceebios (voir notre entretien avec Kalina Raskin page 106) constitue déjà un ensemble de solutions très concrètes. Surtout, le Ceebios permet de créer l'écosystème et la mise en relation des chercheurs, avec les ingénieurs au service des entreprises. C'est ce genre de dynamique qu'il convient de favoriser et d'encourager. Souvenons-nous que l'ensemble des grandes découvertes humaines sont venues de l'observation. De Flemming à George de Mestral, l'inventeur du scratch qui a eu l'idée de cette invention en remarquant de retour de ses promenades en montagne que les fruits d'une plante, la bardane, restaient souvent accrochés à ses vêtements ou au pelage de son chien.

Ces derniers mois, le Ceebios a porté de nombreuses réalisations et j'aurais du mal à en distinguer une seule. Nous avons traité des demandes variées telles que comment innover dans le secteur des aérosols, en menant une réflexion sur la capacité de générer des gouttelettes avec des solutions techniques nouvelles inspirées des êtres vivants ? Nous nous sommes tournés vers le scarabée bombardier qui se défend contre les agressions par l'émission d'un spray de solution corrosive à haute température (100 °C). Un système de valves mécaniques lui permet, en contrôlant la mise en présence d'espèces chimiques réactives, de piloter l'émission de cette solution sous forme de jets pulsés à haute fréquence, le préservant ainsi contre la nocivité du produit pulvérisé. De quoi alimenter des pistes de réponses. De même, nous avons également tenté de concevoir de nouvelles routines d'hygiène et de beauté inspirées du vivant, répondant aux grands enjeux sociétaux et environnementaux au travers de projets démonstrateurs. Nous nous sommes rappelé pour cela que chez certains mammifères, comme le chat ou le lapin, on pouvait observer une association entre l'usage de la langue et une solution non rincée (la salive) comme routine d'hygiène.Quand je vous disais que le vivant recelait une richesse incroyable pour inventer.

L'urgence climatique est aujourd'hui incontestable, mais l'action semble marquer le pas. Comment donner de l'émerveillement quant aux solutions disponibles et ne pas seulement rester dans le catastrophisme ?

G.B. Votre question est une excellente question de journaliste et aussi de citoyen. Donner de l'émerveillement est mon viatique lorsque je fais des conférences. Le constat est terrible, certes, mais des voies d'explorations existent, et surtout peuvent nous permettre de vivre mieux. Il faut le dire, le raconter, le marteler et le répéter. J'aime rappeler que le monde va mal non pas à cause de ceux qui contribuent à sa destruction mais à cause des gens normaux qui laissent faire et qui sont majoritaires. Rien n'est jamais perdu. Il y a vingt ans, le major de Polytechnique allait négocier son salaire dans une grande entreprise. Aujourd'hui, il veut faire autre chose et donner du sens à sa vie. De plus en plus de gens comprennent qu'il nous faudra arrêter cette économie stupide et suicidaire.

L'autre élément qui amène à nous interroger est l'urgence qui invite à réagir immédiatement et le besoin de temps malgré tout pour trouver des solutions. Comment concilier temps court et temps long dans cette dynamique sur le biomimétisme ?

G.B. J'aime cette maxime d'Edgar Morin : « À force de sacrifier l'essentiel à l'urgence on oublie l'urgence de l'essentiel. » Elle raconte tout de nos tribulations compliquées actuelles. Il nous appartient de réinventer les priorités de nos sociétés. Je souhaite que l'écologie scientifique du vivant soit au cœur de nos vies et que le bon sens guide les décisions envisagées. Ensuite, pour concilier temps court et temps long, cela passe par la hiérarchisation différente de nos priorités, puis par l'éducation et le financement de la recherche.

Quel rôle l'entreprise peut-elle jouer dans tout cela ?

G.B. L'entreprise a un rôle fondamental à tenir dans ces défis. Elle détient de nombreuses clés, des solutions. Il est urgent d'arrêter de penser que les entrepreneurs veulent uniquement faire toujours plus de profits. Ils sont pour nombre d'entre eux sensibles à ces questions. Certainement que l'ensemble de la société doit aussi permettre qu'il soit impossible d'acheter des produits dangereux, que nous devons aussi imaginer que l'impact environnemental soit évalué réellement sur le même plan que les résultats globaux dans une forme de triple comptabilité par exemple. Les entreprises sont au cœur de la solution.

Au final, vous êtes optimiste ou pas ?

G.B. Je suis au fond de moi très inquiet, mais cela ne doit jamais scléroser l'action. La science, les politiques, les citoyens et les ONG, et les entreprises ont tous un rôle à jouer. Nous devons être plus à l'écoute et plus compréhensifs vis-à-vis du vivant qui a beaucoup à nous apprendre et ensuite nous devons utiliser l'intelligence humaine et la coopération pour construire l'émerveillement pour la société de demain.

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T15

Commentaire 1
à écrit le 15/07/2023 à 8:22
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Le problème des innovations de ce genre c'est soit ceux qui possèdent et détruisent le monde savent qu'ils vont pouvoir se faire du blé avec et donc détruire encore plus le monde et vont le financer soit vont l'ignorer ou chercher à le détourner. On ...

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