Airbus veut voler comme un albatros

Les pionniers de l’aviation ont de tout temps eu recours au biomimétisme. Clément Ader s’inspira de la chauve-souris pour construire son fameux aéronef Éole, premier engin ayant décollé en octobre 1890. Il le baptisa « Avion », du latin avis – oiseau. Depuis, les ingénieurs n’ont cessé de s’inspirer de la nature. Le constructeur Airbus, dont le siège social se trouve dans la banlieue toulousaine, n’en est pas à son coup d’essai et planche très sérieusement sur un modèle inspiré de l’albatros. Reportage au cœur d’UpNext, l’entité d’Airbus dédiée aux technologies de rupture. (Cet article est issu de T La Revue n°15 – « Sobriété, frugalité, ingéniosité : comment innover autrement ? »)
En s’inspirant de l’albatros, Airbus souhaite concevoir un nouveau modèle d’ailes très allongées et équipées de nouveaux mécanismes pour ajuster en permanence la forme de la voilure aux conditions de vol. Ce biomimétisme va réduire la consommation de carburant et améliorer le confort des passagers.
En s’inspirant de l’albatros, Airbus souhaite concevoir un nouveau modèle d’ailes très allongées et équipées de nouveaux mécanismes pour ajuster en permanence la forme de la voilure aux conditions de vol. Ce biomimétisme va réduire la consommation de carburant et améliorer le confort des passagers. (Crédits : Istock)

Imiter l'albatros pour faire voler plus efficacement les avions, c'est le pari engagé par Airbus avec son programme d'ailes ultra-performantes (extra-performing wings). Le constructeur européen planche sur des ailes plus allongées et équipées de nouveaux mécanismes pour ajuster en permanence la forme de la voilure aux conditions de vol.

Ce recours au biomimétisme est loin d'être une première dans le milieu aéronautique où les facultés des oiseaux sont scrutées de près par les ingénieurs. « Sur les avions en service, il peut déjà exister des notions de biomimétisme. Par exemple, certains aéronefs sont équipés de becs sur le bord d'attaque pour augmenter la capacité de portance à très basse vitesse, juste avant d'atterrir ou pour décoller. Ce système est similaire à des plumes d'oiseaux, appelées alulas, qui produisent un même effet. Il existe aussi des volets qui vont sortir à très basse vitesse pour augmenter la portance de l'avion. Cela imite le rôle des rémiges des oiseaux », explique Sébastien Blanc. Cet ingénieur toulousain est le directeur technique du programme d'ailes ultra-performantes porté par Airbus UpNext, la filiale de l'avionneur spécialisée dans les technologies de rupture.

Une aile 30 % plus longue

Son équipe veut aller plus loin que « ce biomimétisme de base » en proposant de nouvelles technologies pour la voilure des avions. La plus visuellement impressionnante, c'est l'idée d'opter pour des ailes beaucoup plus fines et allongées que celles équipant aujourd'hui la flotte Airbus. « Nous voulons démontrer que nous pouvons augmenter de 30 à 40 % l'envergure des ailes des avions. Les oiseaux qui ont besoin de planer très longtemps disposent d'ailes très allongées et très fines parce que c'est plus efficace dans l'air », décrit Sébastien Blanc. Problème : des ailes allongées nécessitent une masse structurale assez forte pour pouvoir soutenir toutes les charges de l'appareil. « C'est la raison pour laquelle Airbus prévoit d'intégrer des technologies de contrôle, de nouvelles plumes, et de nouveaux petits muscles pour venir ajuster en permanence la forme de la voilure. Malgré cet allongement très fort, il faut être en mesure de réduire les charges et donc d'avoir une voilure qui soit très fine mais aussi très légère et donc très efficace », ajoute le directeur technique.

Une voilure capable de se cambrer

Alors que les voilures classiques des avions sont assez rigides, ces ailes nouvelle génération devraient être composées d'une myriade de petites surfaces ou « de petites plumes ».

« Le tendon de l'albatros, au niveau de son épaule, se bloque pour planer. Cela lui permet de garder l'aile déployée à son maximum sans utiliser de muscles, il peut également le débloquer pour libérer le mouvement de ses ailes. De la même manière, notre bout d'aile pourra se libérer pour réduire les charges sur le "tendon" qui maintient notre aile à son envergure maximum pour augmenter sa performance. L'objectif est d'ajuster en permanence la forme de la voilure pour améliorer la performance de l'appareil quelles que soient les conditions de vol. Même en phase de croisière, la voilure sera sans arrêt optimisée et pourra se cambrer comme le font très naturellement les oiseaux en utilisant toutes leurs plumes », développe Sébastien Blanc.

En phase de croisière, l'aile sera dans sa configuration la plus allongée. Mais l'avion sera, à l'instar de l'albatros, capable de replier ses ailes en cas de turbulence ou de manœuvre délicate. « Cela permet de réduire les charges sur la voilure qui se comportera comme si l'aile était plus petite. L'aile pliable a aussi l'intérêt de répondre aux contraintes aéroportuaires en respectant la largeur requise pour accéder aux portes d'embarquement », fait valoir l'ingénieur.

Plus de confort, moins de CO2

Airbus veut aussi équiper ses ailes de « nouveaux muscles », ces actionneurs électriques qui permettent de braquer les ailerons vers le haut ou le bas. Au lieu d'employer de lourds mécanismes pour fixer ces actionneurs sur la voilure, ces derniers seront accrochés directement sur l'aile, leur permettant une meilleure mobilité. L'avionneur va aussi miser sur des mécanismes plus petits et légers mais tout aussi efficaces, à l'image de ces destructeurs de portance (pop-up spoiler) capables de briser le flux d'air. Airbus compte s'appuyer également sur le contrôle dynamique pour maintenir une stabilité de l'appareil en toutes circonstances. « Les oiseaux qui viennent chasser, par exemple des rapaces, ont besoin d'être très stables pour voir correctement leurs proies au sol. Leurs plumes vont réaliser des mouvements très rapides pour suivre le mouvement de la turbulence. De manière analogue, nous allons agiter les surfaces de contrôle pour maîtriser le comportement de l'appareil et augmenter par la même occasion le confort pour les passagers », avance Sébastien Blanc.

Outre le confort des passagers, Airbus entend avec tous ces aménagements obtenir une réduction de 10 % de la consommation de carburant. La démonstration sera menée sur un Cessna Citation 7, un aéronef qui fait le tiers de la taille d'un A320. Dans une première phase d'essais en vol prévue à partir de l'été 2023, l'avion avec les ailes originelles sera observé. Puis, dans un second temps, à l'horizon de fin 2024, les nouvelles ailes intégrées depuis la base militaire de Cazaux en Gironde, seront testées avec un aéronef sans pilote à son bord, dirigé depuis le sol.

L'avion sera équipé à l'avant de capteurs pour mieux appréhender son environnement. Là encore, l'aéronautique n'a rien inventé. « En général un oiseau va être capable de sentir la turbulence à travers des plumes qu'il a sur la tête. Nos avions existants sont déjà équipés de capteurs d'incidence pour livrer des informations sur le vent environnant », décrypte le directeur technique du démonstrateur. À la différence que ce nouveau démonstrateur disposera d'un Lidar capable de mesurer la vitesse du vent avant que l'avion vole dedans pour pouvoir contrôler le comportement de l'avion dans cette turbulence.

Vol en formation, vision de libellule

Au-delà de ce démonstrateur d'ailes ultra-performantes, Airbus a développé ces dernières années toute une série de projets ayant trait au biomimétisme. Au salon de Dubaï en 2019, le groupe avait ainsi présenté Fello'Fly, un programme consistant à faire voler des appareils commerciaux en formation à la manière des grands oiseaux migrateurs. Un premier test grandeur nature mené en 2021 a débouché sur des résultats concluants. Deux A350 se sont ainsi envolés de Toulouse pour rejoindre l'aéroport international Montréal-Trudeau, au Canada. Le premier s'est placé en tête, tandis que le second s'est positionné dans son sillage avec un léger écart latéral à l'image des formations en V observées chez les oies, si ce n'est qu'ils ont dû respecter une séparation longitudinale de trois kilomètres. Par ce positionnement, l'avion suiveur a pu récupérer l'énergie de sillage produite par l'avion de tête et profiter du courant ascendant d'air doux ainsi créé. Cela lui a permis de réduire la poussée de ses moteurs et donc sa consommation de carburant. Airbus estime que 6 tonnes de kérosène ont pu être économisées au cours de cette traversée de près de 6 000 km, ce qui correspond à ses projections d'une réduction de la consommation de carburant de plus de 5 % pour un vol long-courrier.

Après l'albatros, les oies sauvages, le groupe européen cherche depuis plus récemment à s'inspirer... des libellules : le programme DragonFly vise à automatiser le déroutement d'urgence d'un avion en s'appuyant sur la vision à 360° de la libellule.

« De la même manière que les libellules peuvent reconnaître des points de repère qui les aident à définir leurs limites, notre démonstrateur est équipé d'une technologie de détection et d'un logiciel de pointe, capables de gérer les opérations en vol et à l'atterrissage », explique Isabelle Lacaze, responsable du démonstrateur DragonFly chez Airbus UpNext. La nature, une source inépuisable d'inspiration pour la filière aéronautique à l'heure où le changement climatique demande de repousser les limites technologiques des avions.

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Commentaires 4
à écrit le 09/07/2023 à 12:35
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Faut pas rêver ! Un albatros c'est le summum, oui... mais par rapport aux conditions ambiantes. On n'a pas souvent vu des albatros faire évoluer leur portance en jouant sur la structure de leurs ailes... à 800 km/h ! Les évolutions des avions qu'on e...

le 10/07/2023 à 8:30
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D'un autre côté, on n'a jamais vu un albatros à 10 000m d'altitude, où la pression de l'air est si faible que cela compense la vitesse de 800km/h.

à écrit le 09/07/2023 à 11:34
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et l'IA n'y est pour rien, il n'y pas de statistiques au service des mangeurs de bits et de bytes pour être créatif et intelligent.

à écrit le 09/07/2023 à 7:40
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Les avions de tourisme ressemblent surtout à des fers à repasser volant si on veut un peu de grâce esthétique faut la chercher avec les chasseurs.

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