La vente à perte de carburant sera-t-elle vraiment bénéfique pour le pouvoir d'achat ?

La Première ministre Elisabeth Borne a annoncé que les distributeurs pourront vendre des carburants à perte. Objectif affiché, obtenir une baisse des prix à la pompe, et ainsi soutenir le pouvoir d'achat des ménages, dans un contexte marqué par une inflation persistante. La mesure est toutefois loin de faire l'unanimité. Ses effets pourraient même être limités.
(Crédits : ERIC GAILLARD)

« Avec cette mesure inédite, nous aurons des résultats tangibles pour les Français, sans subventionner le carburant », a vanté Elisabeth Borne, dans un entretien mis en ligne samedi sur le site du Parisien. Alors que les prix à la pompe sont repartis à la hausse ces dernières semaines, l'exécutif a annoncé que les distributeurs allaient être autorisés à vendre des carburants « à perte » pendant quelques mois. Que signifie concrètement cette mesure ? Comment sera-t-elle mise en place ? Comment va-t-elle se traduire pour le portefeuille des ménages ? La Tribune vous répond en cinq questions.

Qu'a annoncé le gouvernement ?

Les prix des carburants en France sont remontés régulièrement cet été. Début septembre en moyenne, le SP95-E10 se vendait à 1,9359 euro le litre, le gazole à 1,88 euro et le SP-98 à 2 euros. Les tarifs n'avaient pas été aussi élevés depuis avril pour l'essence et février pour le gazole, selon les statistiques du ministère de la Transition écologique.

Dans ce contexte, le gouvernement a, maintes fois, mis la pression sur les distributeurs, réclamant « un effort de solidarité », notamment en prolongeant les opérations de vente à prix coûtant. TotalEnergies et plusieurs grandes chaînes de supermarchés ont ainsi annoncé des remises sur le prix des carburants. Samedi dernier, l'exécutif, par la voix d'Elisabeth Borne, a toutefois franchi un cap, annonçant autoriser temporairement la revente à perte de carburant. Le projet de loi sera présenté en Conseil des ministres le 27 septembre, a indiqué Bercy à l'AFP.

« Ce sera effectif j'espère le 1er décembre, puisque le texte de loi [sur les négociations commerciales entre producteurs et distributeurs, ndlr] sera examiné à l'Assemblée début octobre », a affirmé le ministre de l'Economie Bruno Le Maire au micro de France 2, ce lundi 18 septembre, ajoutant que la mesure durerait « six mois ».

Que dit le droit français sur la revente à perte ?

Dans les faits, cette pratique commerciale est proscrite depuis la loi du 2 juillet 1963, via l'article L.442-5 du Code de commerce, sous peine d'une amende de 75.000 euros. « Il est interdit de revendre ou d'annoncer la revente d'un produit en l'état au-dessous de son prix d'achat effectif, notion qui détermine le seuil de revente à perte », rappelle la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, sur son site Internet. La DGCCRF liste quelques exceptions comme la cessation ou le changement d'activité commerciale et les soldes. Objectif affiché, protéger les entreprises d'une concurrence déloyale.

En 2018, le troisième distributeur alimentaire français, Intermarché, avait été contraint de verser une amende transactionnelle de 375.000 euros - montant maximal encouru pour revente à perte - pour avoir commercialisé du Nutella à prix très cassé. L'opération promotionnelle avait entraîné des scènes de bousculades et de bagarres qui avaient marqué les esprits.

Quid de la vente de carburants ? « Le principe de la revente à perte dans la logique des carburants vise bien la revente : l'interdiction de revendre à perte s'applique aux opérateurs qui achètent et qui revendent en l'état, c'est-à-dire uniquement les distributeurs », rappelle Boris Ruy, avocat Directeur associé au cabinet Fidal, spécialisé en conseil et contentieux de la concurrence et de la distribution, auprès de La Tribune.

En clair, cette disposition législative ne s'applique pas aux groupes pétroliers, comme TotalEnergies. Elle concerne exclusivement les stations-service des distributeurs, comme E.Leclerc, Casino, Système U et les indépendants. A titre indicatif, environ un tiers des 10.000 à 11.000 stations sont gérées par TotalEnergies (3.400), en France, et une moitié par la grande distribution. Environ 2.500 sont indépendantes. Pour rappel, ces dernières et celles de la grande distribution se fournissent auprès d'entrepositaires agréés dont les prix varient en fonctions des cours du pétrole.

Comment l'annonce du gouvernement a-t-elle été accueillie ?

Du côté des distributeurs, l'annonce n'a suscité aucune réaction, ni négative... ni positive. Il regrettaient pourtant, la semaine passée, ne pas pouvoir faire davantage d'efforts sur les prix à la pompe, en raison de l'interdiction de la revente à perte. Si le texte était adopté, libre à eux de recourir à cette mesure.

De même pour les stations-service indépendantes. Mais dans les faits, impossible pour elles de le faire, assurent les syndicats du secteur. « La vente à perte de carburant n'est absolument pas faisable », tempête ainsi Francis Pousse, président du syndicat professionnel Mobilians qui représente, notamment, 2.400 stations-service indépendantes.

« Et c'est pour celles-ci que je m'inquiète. Cela va de la station rurale à celles situées en zones périurbaines qui, même si elles font de plus gros volumes, vont pâtir de cette mesure si la grande distribution l'applique, et je ne vois pas pourquoi elle ne le ferait pas », s'inquiète-t-il.

Comme Mobilians, la Fédération française des combustibles carburants (FF3C) s'inquiète des conséquences d'une telle concurrence pour les stations indépendantes. Cette mesure « porte en germe un grand danger, car si la grand distribution applique cette mesure, sans compter que TotalEnergies a les moyens de suivre une spirale concurrentielle, les indépendants ne vont plus vendre de carburant, à part pure nécessité dans des zones peu desservies en stations-service ou en cas de dépannage ».

« Le commerce indépendant de carburant achète du produit, le revend et n'a aucune latitude pour revendre à perte ou faire du prix coûtant », insiste-t-il.

« Il ne faut pas oublier le fondement de l'interdiction de la revente à perte : elle vise à protéger les plus petits acteurs », rappelle Sylvain Bersinger, chef économiste au sein du cabinet Asteres. « Sinon les gros acteurs peuvent vendre à perte et casser les prix pendant un moment, évinçant les autres qui ne peuvent pas suivre », explique-t-il.

Face à l'inquiétude des stations indépendantes, Bruno Le Maire devait recevoir le syndicat Mobilians en fin d'après-midi ce lundi. Ce dernier compte demander une compensation financière pour les entreprises impactées. De son côté, la FF3C, qui n'a pas été sollicitée, s'étonne d'une telle contrepartie alors que le gouvernement a récemment refusé de mettre une nouvelle fois la main au portefeuille via une baisse de la taxation ou la mise en place d'une ristourne. « Soit l'Etat a les moyens, soit il ne les a pas du tout... », lâche Frédéric Plan, qui regrette qu'il n'y ait pas eu de « discussions préalables » avec le réseau d'indépendants avant cette annonce.

Celle-ci fut également une surprise pour l'Ufip Énergies et Mobilités. « Il arrive parfois que le gouvernement, lorsqu'il envisage une mesure relative à nos activités, la teste avec nous. Dans ce cas précis, cela n'a pas été le cas », rapporte le président de l'organisation professionnelle qui rassemble les sociétés énergétiques et pétrolières, Olivier Gantois. D'autant que la possibilité de vente à perte n'a, pour l'instant, « pas du tout été envisagée » par l'Ufip qui « prend toujours le cadre législatif comme donnée d'entrée ».

« A ce stade, nous ne sommes pas en mesure de déterminer si la suspension de l'interdiction de revente à perte de carburant est une bonne ou une mauvaise mesure », explique d'ailleurs l'organisation.

Suspendre l'interdiction de la revente à perte, est-ce possible ?

Encore faut-il que son passage dans la loi soit possible. Pour Boris Ruy, il n'y a toutefois aucun « risque juridique » qu'une telle mesure soit retoquée. L'avocat directeur associé au cabinet Fidal cite deux décisions de la Cour de justice de l'Union européenne, visant la Belgique et l'Espagne, respectivement en 2013 et 2017.

Pour rappel, la directive européenne du 11 mai 2005 sur la protection du consommateur a établi une liste des pratiques commerciales déloyales. Or, la revente à perte n'y figure pas. En conséquence, la justice européenne avait estimé que les législations qui interdisent la revente à perte sont non conformes au droit du marché intérieur européen.

« Non seulement, l'annonce du gouvernement ne soulève pas de questions juridiques, mais on pourrait même se demander si, à l'instar de l'Espagne et de la Belgique, l'interdiction de revendre à perte en France, telle qu'elle existe et est en vigueur dans le Code de commerce, ne pourrait pas se retrouver contraire au droit européen », avance-t-il.

La revente à perte sera-t-elle bénéfique pour le consommateur ?

« Cela aura forcément à court terme un effet bénéfique pour le consommateur, puisque cela va faire baisser les prix », estime Olivier Gantois, patron de l'UFIP Énergies et Mobilités, auprès de La Tribune. Quel gain les automobilistes peuvent-ils, dès lors, espérer ? « On parle quasiment d'un demi-euro potentiellement en moins par litre », a avancé, très optimiste, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, au micro de RTL, dimanche 17 septembre. Au micro de France 2 lundi matin, le locataire de Bercy, lui, s'est montré bien plus prudent. « Je ne veux pas donner de chiffres, car je ne veux pas tromper les consommateurs », a asséné Bruno Le Maire.

Sylvain Bersinger émet, lui, de sérieux doutes sur l'intérêt de cette mesure en termes de pouvoir d'achat. La marge des distributeurs est déjà très faible, estimée à deux centimes par litre. En l'état, il estime donc peu probable que les distributeurs s'approprient massivement l'autorisation de revente à perte.

« Le supermarché qui pourrait baisser le prix du carburant pour attirer des consommateurs pour faire un produit d'appel, il n'est pas exclu qu'il augmente un peu les prix dans les rayons, pour refaire la marge qu'ils ont perdu sur le carburant : au bout du compte, ça ne fera pas forcément du pouvoir d'achat », avertit l'économiste.

A plus long terme, il estime que la suspension de l'interdiction de la revente à perte - permettant de protéger les petits acteurs - risque d'entraîner une concentration du marché de la distribution de carburants. « Les gros acteurs qui ont les reins solides peuvent vendre à perte, et casser les prix pendant un moment, évinçant ainsi les plus petits acteurs, et se retrouvent en capacité d'augmenter à nouveau leur prix, ce qui nuit au pouvoir d'achat du consommateur », avance Sylvain Bersinger.

Commentaires 12
à écrit le 19/09/2023 à 20:10
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A l'instant ,les enseignes de la grande distribution refusent de vendre à perte.Les distributeurs vont s’en tenir à la vente de carburant à prix coûtant, qu’elles pratiquent chacune à leur tour depuis plusieurs mois.

à écrit le 19/09/2023 à 19:52
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Tout ce qui permet de pousser à la consommation est apprécié par la classe financière ! ;-)

à écrit le 19/09/2023 à 8:44
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Les français raffolent des SUV, qui consomment environ 15% de plus qu'une voiture standard. Alors aider les petits revenus qui sont obligés de se déplacer en voiture OK, mais ce genre de mesure qui profite à tous sans distinction de revenus, c'est s...

le 19/09/2023 à 17:36
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@DS. Votre considération du "standard" dans l'automobile n'est forcément pas la mienne. Prenons un autre exemple si vous le voulez bien, avec des questions: - C'est quoi la notion de "standard" pour la classe du prolétariat et-ou pour la classe moyen...

le 20/09/2023 à 8:49
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@Raymond Une clio ? Je ne pense pas qu'on puisse dire que les SUV consomment 15% de plus. Ça dépend, un Captur par exemple par rapport à une clio c'est 2-3% de +. Mais c'est vrai que c'est difficile d'entendre des gens se plaindre de l'augmentatio...

à écrit le 19/09/2023 à 7:15
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L'état stratege donc de gauche profiteur de guerre dans la bienveillance avec 70% de taxes, qui a fait prendre 70cts par litre de taxe ecolo ģrace à duflot cosse et royal pour sauver la planete dans la justice donc morale donc de gauche, cet état ...

le 19/09/2023 à 8:14
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Macron au pouvoir depuis 2017, socialiste comme staline, polpot et jaruzelski ? Merci, vous m'avez bien fait rire ce matin !

à écrit le 19/09/2023 à 6:20
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Vente à perte pour les actionnaires et eux seuls mais non le dogme veut que jamais ils ne perdent un centime entassant leurs milliards dans les paradis fiscaux, ce monde est débile. à l'image de ceux qui le possèdent.

à écrit le 18/09/2023 à 20:59
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Effectivement, toutes les actions de M. MACRON sont du gauchisme. Nous comprenons qu'avec des analyses aussi poussées (du genre, c'est pas ma faute, c'est la faute des communistes et des gauchistes), la FRANCE va bien devenir un pays du tiers-monde ...

à écrit le 18/09/2023 à 20:21
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Le régime gauchiste de macron fait couler la France ! Après l'argent magique lié à SES décisions démentes sur le covid, Après les aides magiques liées à SES décisions absurdes sur l'Ukraine qui ont généré une grosse poussée d'inflation et creusé la d...

le 20/09/2023 à 8:50
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Toujours aussi drole !

le 20/09/2023 à 10:29
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macron gauchiste, c'est une plaisanterie rassurez moi.Lui et son gouvernement s'approche dangereusement de l'extreme droite avec les dernieres propositions de son ministre de l'intérieur. tres loin des idées de la nupes.quant à sa politique financie...

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