
Vous avez dit (dans une interview au Figaro du 13 décembre 2022) « La France a raté le train de la souveraineté industrielle ». Pouvez-vous préciser votre point de vue ?
CAROLE DELGA- Notre pays a besoin d'une vision industrielle d'ensemble pour les grandes filières économiques. Prenons l'exemple du ferroviaire. Les Régions investissent massivement dans ce secteur et alertent face au sous-investissement chronique de l'État. Les comparaisons avec nos voisins européens sont accablantes : le ferroviaire représente 45 € d'investissement par habitant en France, contre 124 € en Allemagne. Une vraie stratégie doit être pensée pour consolider les écosystèmes et faire monter en puissance des leaders internationaux. Je pense aussi à des fleurons industriels, qui n'ont pas reçu le soutien nécessaire de l'État : la SAM, Bosch, Valdunes... Réindustrialiser, c'est aussi ne pas désindustrialiser. Car j'en suis convaincue : concilier économie et écologie, c'est possible et c'est la stratégie que nous menons depuis plusieurs années en Occitanie. Nous œuvrons pour renforcer notre souveraineté et transformer l'industrie. Avec notre Fonds Souverain, nous soutenons des projets à l'image de celui porté par l'entreprise biterroise Genvia, futur géant de la production d'hydrogène vert, dont la Région est actionnaire.
En tant que présidente de Régions de France, quelle serait, selon vous, l'articulation à mettre en place entre État et collectivités pour relever le défi de la souveraineté industrielle, tant au point de vue financier que décisionnel ?
C.D. Les Régions sont les mieux placées pour aider nos entreprises et relever le défi de la souveraineté industrielle. Elles sont en capacité de structurer des écosystèmes locaux entreprenants et compétitifs et d'embarquer filières, entreprises et citoyens dans des transformations majeures en misant sur la proximité. Pour que cela fonctionne, il y a un prérequis nécessaire : la politique industrielle de notre pays doit être co-construite entre le Gouvernement et les Régions. L'État doit définir des grandes priorités industrielles en s'articulant avec les stratégies développées dans chaque territoire. Les Régions ont proposé la constitution d'un conseil national réunissant Bercy, Régions, industriels et syndicats pour définir ensemble les grands enjeux stratégiques sur lesquels coordonner leurs initiatives. Ce serait ça, faire de la politique industrielle autrement.
Vous défendez en particulier le rôle central des Régions en matière de transports... Vous parlez même d'un « airbus ferroviaire ». Qu'entendez-vous par là ? Cela semble impliquer d'autres Régions européennes...
C.D. Les Régions, cheffes de file des mobilités et de l'intermodalité sur leurs territoires, jouent un rôle central. C'est pourquoi, nous, présidents de Région, appelons collectivement à un New Deal ferroviaire pour moderniser et renforcer notre réseau. Les montants aujourd'hui proposés par l'État demeurent très en deçà des besoins du rail français et inférieurs aux sommes allouées par nos voisins européens. L'Europe doit aussi changer de paradigme. Les fonds européens doivent bénéficier à l'ensemble du réseau ferroviaire et une politique européenne ambitieuse doit être menée pour préserver nos savoir-faire. En 2019, la Commission européenne a empêché la fusion d'Alstom et Siemens, alors qu'elle était nécessaire. Aujourd'hui, si l'on veut rester dans la course internationale, la création d'un « Airbus du ferroviaire » est primordiale.
Mais au-delà des infrastructures, dont le rail, la réindustrialisation (menant à la souveraineté) passe aussi par la transition énergétique et écologique, n'est-ce pas ? Que font ou que peuvent faire les Régions dans ces domaines pour permettre ensuite aux entreprises et aux citoyens d'agir ?
C.D. En Occitanie, la transition écologique et énergétique est l'affaire de tous. L'adoption de notre Pacte vert régional en 2020 a permis de constituer un collectif rassemblant citoyens, entreprises, associations et acteurs publics, afin de réussir ensemble les transformations qui s'imposent à nous aujourd'hui. En matière de rénovation énergétique, par exemple, la Région accompagne les citoyens dans leur projet, du diagnostic jusqu'à la réalisation des travaux. En 2022, près de 70 M€ ont été engagés dans la réalisation de 240 projets d'énergie renouvelables, générant plus de 500 M€ de travaux. Dans le même esprit, nous accompagnons les initiatives coopératives et citoyennes de production d'énergies renouvelables : 46 projets ont pu se développer sur tout le territoire, un record en France qui en compte 250 en tout. Accompagner les entreprises dans leur transition énergétique est également déterminant : aide à destination des artisans à proximité d'une ZFE (Zone à Faibles Émissions, ndlr) pour l'achat d'un véhicule électrique, mise en place d'un Pass efficacité énergétique pour encourager les entreprises à réaliser des travaux d'économie d'énergie, création du dispositif FITEEO (Financeur pour l'Industrie et le Tertiaire de l'Efficacité Énergétique en Occitanie, ndlr) doté de 10 M€ pour des projets de transitions énergétiques des entreprises... tout est mis en œuvre pour ne laisser personne, PME ou TPE, seule face au défi du changement climatique.
Autre élément à prendre en compte si l'on veut réindustrialiser la France et l'Europe, la formation, pour que les entreprises disposent d'un vivier de compétences nécessaires. Là encore, quel doit être le rôle des Régions ?
C.D. Le constat est clair et partagé par tous : les métiers de l'industrie peinent à recruter et il est urgent d'aider nos entreprises à trouver les compétences nécessaires à leur développement. Il faut agir pour améliorer l'attractivité de ces métiers, en communiquant sur leur réalité, leur diversité. Cela passe par des actions dans nos Maisons de l'Orientation ou sur les salons TAF. C'est aussi, un investissement massif de 70 M€ sur cinq ans pour financer des places de formation dans le domaine de l'industrie. Les entreprises sont également accompagnées dans la modernisation de leur modèle de production, pour le rendre plus propre et moins pénible pour les salariés. Ces enjeux sont au cœur du Pacte pour l'embauche que nous avons lancé en Occitanie. Les aides régionales sont désormais conditionnées à la qualité de vie au travail et, pour les demandeurs d'emploi et salariés en reconversion, nous levons les freins à l'embauche et à la formation avec des aides pour la garde d'enfant, pour se déplacer ou encore pour se loger dans le cadre d'une recherche d'emploi. Plus de 20 000 personnes en ont déjà bénéficié. Les Régions sont le meilleur échelon pour piloter une politique orientation-formation-emploi efficace.