À quoi va ressembler l’industrie du XXIe siècle ?

Après des années de désindustrialisation, la France change de cap. La renaissance, qui s’appuie sur de nouveaux outils technologiques, doit évidemment rompre avec les méthodes de production carbonées d’antan. Le tout avec à la clé un nouvel élan économique, mais aussi sociétal. (Cet article est issu de T La Revue n°16 - Réindustrialiser et décarboner la France)
(Crédits : Istock)

À la mi-mai dernière, Emmanuel Macron s'est rendu à Dunkerque pour saluer l'implantation prochaine d'usines spécialisées dans les batteries pour voitures électriques, tandis que quelques jours plus tard, Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, présentait le projet de loi « Industrie verte », visant à dynamiser la création de nouvelles industries pour lutter contre le dérèglement climatique et à accélérer la décarbonation de la production industrielle traditionnelle. Deux évènements emblématiques pour une seule et même ambition, celle de faire de la France le « leader de l'industrie verte en Europe ».

Pour le moment, la France est loin du compte... Non seulement elle est en retard en matière d'industrie verte par rapport à certains de ses voisins, mais en plus, elle pâtit encore de la désindustrialisation qui a caractérisé son économie pendant plusieurs décennies, à partir des années 1970. Ironie de l'histoire, en effet, nombre de pays industrialisés, dont la France, ont choisi, sur fond de crise pétrolière, de délaisser la production de biens industriels pour se concentrer sur les services. Du textile à la métallurgie, plusieurs secteurs, de moins en moins compétitifs, se sont ainsi expatriés dans des pays où la main-d'œuvre est moins chère. Quelque 2,5 millions d'emplois industriels ont ainsi été détruits, même si les gains de productivité ont également contribué, et davantage que les délocalisations d'ailleurs, au phénomène, tandis que la part de l'industrie dans la richesse nationale a été divisée par deux, passant de 22 % dans les années 1970-80 à 11 % depuis 2012 et jusqu'à aujourd'hui... En revanche, plus que la France et le Royaume Uni, l'Allemagne, mais aussi l'Italie, ont su préserver des pans entiers de l'industrie, qui représentent encore environ 25 % de leur richesse nationale.

Nouvelles ouvertures d'usines

Aujourd'hui, cependant, une nouvelle carte industrielle se dessine en France... Et depuis 2018, le gouvernement ne manque jamais une occasion de souligner que le nombre d'ouvertures d'usines dépasse celui des fermetures... « Après la crise financière et économique de 2008-2009, la vision a changé, avec la création d'outils tels que Bpifrance en 2012, France Industrie en 2018, et la French Tech en 2019. La réindustrialisation a pris place dans le débat public », confirme ainsi Max Blanchet, directeur exécutif, responsable de Supply Chain & Operations au sein d'Accenture. En outre, ajoute Anaïs Voy-Gillis, docteure en géographie, chercheuse associée à l'IAE de Poitiers et auteure de l'ouvrage Vers la renaissance industrielle (2020), avec Olivier Lluansi, « la réindustrialisation est redevenue un sujet central depuis mars 2020. La pandémie de Covid-19, puis la guerre en Ukraine ont rendu visibles les dépendances industrielles de la France, en raison de la désorganisation temporaire des chaînes d'approvisionnements ». Masques, médicaments, respirateurs : la pandémie a en effet renforcé la prise de conscience quant à la nécessité d'assurer l'indépendance de la France dans ce domaine et dans d'autres, dont les semi-conducteurs - sans oublier la résilience, l'économie devant pouvoir résister à de tels chocs. Ce souffle nouveau, qui anime désormais aussi bien les élites que les élus et les acteurs de l'économie, doit encore se transformer en une véritable dynamique, qui permettrait, « dans 10 à 15 ans, de passer des 11 % actuels de part de l'industrie dans la richesse nationale à 20 % », poursuit Max Blanchet, également auteur de L'industrie France décomplexée (2013), d'Industrie 4.0 : nouvelle donne industrielle, nouveau modèle économique (2016) et de L'industrie du XXIe siècle (2022). Mais, prévient-il, « la concurrence avec des pays qui font mieux, en Europe de l'Est, au Maghreb ou en Asie, reste entière. Il ne s'agit donc pas de relocaliser ou de créer des usines pour des produits de base, fabriqués en masse, mais de se concentrer sur des produits de haute qualité, adaptés, quasiment, au goût de chaque client, qui offrent une forte valeur ajoutée. » Pas question, donc, de reproduire l'industrie « d'avant »... Et « ce ne sont plus, comme du temps de Renault à Boulogne-Billancourt, des usines avec 20 000 salariés, mais de petites unités, de l'ordre d'une cinquantaine d'emplois, auxquelles s'ajoutent de rares unités comme les nouvelles usines de batteries, de 2 000 emplois environ, très gourmandes en capital et très automatisées », précise de son côté Pierre Veltz, professeur émérite à l'École des Ponts ParisTech et dont le dernier ouvrage s'intitule Bifurcations. Réinventer la société industrielle par l'écologie (2022).

L'industrie du XXIe siècle est donc d'abord 4.0, autrement dit, elle s'appuie sur des modes de production automatisés et intelligents, grâce à la technologie et au numérique. « Les implantations sont souvent le fait de secteurs nouveaux, dont celui de la voiture électrique, ou touchent des procédés industriels sophistiqués, comme la fabrication additive (3D), parfois mis au point par des start-up », poursuit Pierre Veltz. En outre, ces entités de production dernière génération, de même que les anciennes qui ont subsisté, ont plusieurs contraintes : produire de façon la plus décarbonée possible et attirer des candidats à l'embauche. Pour ce qui est du premier aspect, « le fait de produire en France nous garantit l'accès à un mix énergétique moins carboné que dans d'autres pays ainsi qu'à des normes sociales et environnementales plus élevées, souligne Anaïs Voy-Gillis. Cela nous permet d'avoir une meilleure maîtrise de notre trajectoire environnementale, puisque nous importons environ 50 % de nos émissions, en raison des produits que nous consommons et qui sont faits à l'étranger. » Le mouvement, aiguillonné par des mesures gouvernementales et des réglementations françaises et européennes, est en marche. « Cela devient une réalité du business, les entreprises qui ne réduisent pas leur empreinte carbone ne vont plus être considérées comme compétitives », ajoute Max Blanchet. De fait, actionnaires, banquiers-prêteurs, salariés, consommateurs et collectivités locales poussent tous dans le même sens, celui d'une industrie propre, qu'elle soit nouvelle ou ancienne. Et les outils pour mesurer l'empreinte carbone, de même que les méthodes pour la limiter existent. Il suffit de se les approprier... « Les jeunes ingénieurs sont désormais formés en ce sens et ils n'envisagent pas de produits qui ne seraient pas éco-conçus, ni un cycle de vie du produit qui ne serait pas vertueux, depuis l'approvisionnement jusqu'au recyclage », se félicite à cet égard Bénédicte Durand, directrice générale d'Altheora, une ETI ardéchoise, spécialisée dans la transformation de matériaux composites pour l'industrie et pionnière de la décarbonation dans sa filière.

Des emplois à la clé

Mais quid des emplois ? Seront-ils très nombreux ? Le projet de loi « Industrie verte » évoque la création de 40 000 emplois à l'horizon de 2030, tandis que France 2030, le plan d'investissement d'avenir d'octobre 2021 (34 milliards d'euros sur cinq ans), table sur 100 000 emplois directs et indirects créés d'ici 2030 dans l'hydrogène, 18 000 d'ici 2024 dans la filière électronique et sur + 20 % d'emplois dans les filières agroalimentaires, sans horizon de temps... « Il est généralement admis qu'un emploi direct dans l'industrie génère deux à trois emplois indirects, chez les sous-traitants, donc, ainsi que des emplois induits, dans les restaurants, les écoles, les hôpitaux, les boutiques... L'un des enjeux de la réindustrialisation est bien sa capacité d'entraînement sur le reste de l'économie », complète Anaïs Voy-Gillis.

Peut-être plus important encore, les emplois directs seront-ils de qualité ? Si l'industrie du XXIe siècle repose aussi, en plus du respect de l'environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique, sur l'avènement du 4.0, quelle sera la relation, dans ces nouvelles usines connectées, robotisées et intelligentes, entre humains et machines ? Le travail effectué aura-t-il du sens ? « L'automatisation permet de supprimer les tâches pénibles ou répétitives, qui utilisent mal l'humain, pour qu'il puisse se concentrer sur celles à valeur ajoutée », répond Max Blanchet. Ainsi, c'est l'humain qui, à l'aide de données récoltées, analyse et prend, in fine, la décision. De quoi apporter du sens, contenu dans la qualité de ce travail, et de la fierté puisqu'il sera bien fait - deux exigences salariées clés. L'expert d'Accenture va même jusqu'à parler de « ré-artisanalisation du travail »...

Mieux encore, alors que la vielle industrie, du temps des Trente Glorieuses, avait permis à l'ouvrier de devenir contremaître, de s'acheter un pavillon et de faire faire des études supérieures à ses enfants, et qu'au contraire, la désindustrialisation, associée aux gains de productivité, a détruit des milliers d'emplois de ce type, ceux de techniciens et autres salariés payés au-dessus du salaire minimum, « la nouvelle industrie comporte non seulement une diversité de métiers, mais en plus, des métiers qualifiés, offrant justement la possibilité d'une promotion sociale », souligne Bénédicte Durand, dont l'entreprise compte 300 collaborateurs et 80 métiers différents. Un avantage clé pour la France, qui souffre particulièrement d'un ascenseur social en panne... « L'autre enjeu, à travers la réindustrialisation, est la création de valeur ancrée dans les territoires, qui nous permet d'assurer la pérennité de notre modèle social. Il faut considérer l'industrie comme l'un des piliers d'un projet de société, relève pour sa part Anaïs Voy-Gillis. En fonction de la société que nous souhaitons construire, les politiques industrielles n'auront pas les mêmes orientations, la même organisation territoriale ni les mêmes volumes produits. » Une réflexion qui semble encore en cours...

Mais si la renaissance industrielle, en plus d'assurer l'indépendance et la bonne santé de l'économie, voire le rééquilibre de la balance commerciale, pourrait contribuer à la préservation de l'environnement et à la nécessité d'offrir de l'espoir aux citoyens sous forme de mobilité sociale, encore faut-il qu'elle puisse trouver les compétences pour s'épanouir. Au-delà des ingénieurs formés, les jeunes ont eu tendance, depuis des années, à bouder l'industrie. Ils en ont encore, ainsi que les parents et les professeurs, une image vieillotte et singulièrement négative... Les fédérations d'industriels font certes feu de tout bois pour attirer les jeunes vers des métiers en pénurie - soudeur, chaudronnier, câbleur électrique et électronique... - mais « il faut un énorme effort pour changer l'image du secteur et un investissement colossal de formation pour les compétences », assurent aussi bien Max Blanchet que Pierre Veltz. L'avènement de l'industrie du XXIe siècle est aussi à ce prix...

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T16

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Commentaires 4
à écrit le 25/09/2023 à 9:15
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L'industrie de demain aurait pu se faire à la maison via les imprimantes 3d, une révolution identique à internet mais non exploitée car décapitant le dogme financier alors que pourtant quelle innovation géniale dont nous devrions tous disposer d'une ...

à écrit le 23/09/2023 à 12:48
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Tous ces articles qui traitent de la désindustrialisation partent tous du même constat défaitiste , pessimiste rebattu à longueur d'années là où je propose de partir d'exemples qui existent et prospèrent et d'analyser la clef de leurs réussites .Da...

le 23/09/2023 à 22:38
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Les dénominateurs communs sont un usage intensif de la technologie pour démultiplier la productivité et puis aussi le professionnalisme commercial... Inversement les industries qui ont disparu étaient généralement trop ringardes pour survivre autreme...

le 25/09/2023 à 9:21
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Il n'y a pas de secret, les grands pays performants en matière d'industrie (Allemagne, Japon, Chine) et d'export ont tous utilisé leur démographie comme variable d'ajustement alors qu'inversement, le dynamisme de la démographie des pays "natalistes" ...

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